Interview

Interview de CLOD et CEKA, les auteurs du PROCES


Sceneario : Avant tout, je tiens à vous remercier pour la disponibilité que vous avez affichée en acceptant très rapidement ce petit jeu de l’interview ! C’est toujours un plaisir quand les auteurs savent être proches de leurs lecteurs en n’hésitant pas à prendre un peu de leur temps pour leur en dire plus.

Alors, Clod, Céka, racontez-vous un peu, en quelques mots, histoire de mieux savoir d’où vous venez, et quel chemin vous avez parcouru avant la sortie de votre BD "Le Procès"…


Photo (c) Yannick Chazareng

 

CEKA : Avant de faire du scénario BD, j’avais un vrai métier, un métier sérieux… (rires) J’étais créatif en agence de publicité ! Mais bon, j’ai toujours voulu faire de la BD depuis tout petit, alors, un jour, j’ai décidé de faire une cure de désintoxication salariale !!! Bien sûr, ça ne s’est pas fait du jour au lendemain, j’ai attendu d’avoir un peu plus d’expérience et quelques contacts, en presse et en édition !

CLOD : Pareil pour moi, j’ai été salarié dans une entreprise pendant huit ans avant de décrocher complètement pour me consacrer au dessin. Contrairement à Céka, j’ai mis longtemps avant de m’imaginer pouvoir vivre un jour du dessin. Je suis autodidacte et cela m’a demandé beaucoup de travail et de persévérance. Aujourd’hui, je suis récompensé par la sortie du Procès. Cet album n’est pas seulement mon premier livre, mais l’aboutissement d’un long processus… une victoire sur moi-même, en quelque sorte (bon j’arrête là, ça devient freudien !)

 


Photo (c) Yannick Chazareng

Sceneario : "Le Procès", c’est votre actualité. Ce titre de Franz Kafka doit sonner pour beaucoup comme le souvenir de la lecture imposée du cours de philo, comme la lecture que l’on n’a pas forcément choisie… Alors… cette passion pour Kafka, était-elle commune ou bien l’un de vous deux a-t-il refilé le virus à l’autre ?

CEKA : Effectivement, c’est Clod qui m’a refilé le virus, mais sans le vaccin ! Alors, voilà le résultat… Depuis qu’on se connaît, Clod me parle de Kafka, du Procès, de Prague… Il y a donc déjà une bonne dizaine d’années que l’idée est née ! On attendait simplement de se sentir prêt à le faire !

CLOD : Kafka, c’est plus fort que tout. Tu peux le relire cent fois, tu trouves toujours de quoi te nourrir l’esprit. C’est fort non ? Je ne peux pas m’empêcher de voir les images quand je lis ses textes. D’où l’envie de faire Le Procès en bande dessinée.

Sceneario : Comment s’est construite votre collaboration ? Comment s’est fait le choix du partenaire ? Qui a appelé l’autre, ou bien est-ce Akileos qui vous a mis en relation ?

CEKA : Je suis scénariste, Clod est dessinateur, on est amis : le choix de le faire ensemble s’est donc fait très naturellement ! En plus, nous avons une grande admiration mutuelle (du moins, j’en ai pour le travail de Clod !). Cette collaboration fut donc très stimulante… et vraiment basée sur la confiance. Nous devons aussi beaucoup à Akiléos qui nous a laissé carte blanche et nous a confortés dans nos choix !

CLOD : Le moteur dans tout ça c’est le plaisir. J’ai la passion de Kafka, j’avais envie d’adapter une de ses œuvres, mon meilleur ami, et qui plus est scénariste, m’accompagne, notre éditeur nous laisse carte blanche pour l’adaptation : pourquoi se priver d’un tel plaisir ? On l’a fait avec passion et en toute sincérité, sans calcul commercial. Et si l’album marche, tant pis (rires…)

Sceneario : Comment ce projet a-t-il été accueilli par Akileos ? Est-ce une « commande » de l’éditeur qui pourrait vouloir commencer une collection ?

CEKA : A la base, j’avais déjà un projet en cours de signature avec Akiléos : Egovox. Lors d’un rendez-vous, je leur ai donné un dossier du Procès que nous venions de terminer avec Clod. Ils ont eu un coup de cœur immédiat ! Mais non, Le Procès ne s’inscrit pas dans une collection, même si Akiléos apprécie ce travail d’adaptation, les références littéraires…

   

CLOD : Quand Akiléos nous a dit oui, on ne s’est pas posé de questions : on a dit oui aussi !

Sceneario : Le pari, dans ce genre de travail, c’est l’adaptation d’une œuvre quand elle est très connue. Et c’est le cas. Aussi deviez-vous vous attendre à avoir toutes sortes de retours. Qu’en est-il vraiment ? Avez-vous fait lire votre BD, avant qu’elle sorte, à des "grands littéraires" ? Des remarques à ce stade-là vous ont-elles fait changé des choses que vous aviez prévues ?

CEKA : J’avais lu Le Procès quand j’étais ado à la recherche de mon moi profond ! (rires) J’en avais le souvenir d’un roman très existentiel, très noir. Ô surprise quand je l’ai relu pour l’adapter : le côté burlesque m’a immédiatement sauté à la figure. J’ai été littéralement fasciné par la finesse de l’humour de Kafka, sa force ! Mon moi profond devait être perturbé à l’époque pour ne pas le voir !

En tout cas, c’est ça que j’ai eu envie de mettre en avant, en accord avec Clod ! Nous avons évité d’en parler trop autour de nous… On nous disait aussitôt : "Kafka ? Oh la la ! ça va être super noir et déprimant !!!" D’ailleurs, c’est amusant, certains critiques nous reprochent d’avoir hésité entre humour et angoisse. Quelle idée ! Kafka, lui, n’a pas hésité : il a pris les deux, ce qui fait son style si inimitable… Si notre BD peut donner au lecteur l’envie de lire ou relire les romans de Kafka pour s’en faire peut-être une autre idée, nous en serions vraiment ravis. À la base, notre travail est d’abord un hommage à son œuvre, un témoignage de notre admiration ! Avec des imperfections, sans aucun doute, mais sincère…

CLOD : Comme je l’ai dit plus haut, nous avons fait ce qui nous faisait envie. C’est sûr que les détracteurs ne vont pas manquer. C’est sûr qu’en adaptant Le Procès, on trahit l’œuvre. À mon sens, toute adaptation est une trahison, puisqu’elle n’est pas l’œuvre par définition. Même les adaptations "réussies" trahissent l’œuvre originale. Il y a un débat en ce moment sur le fait qu’il existe de plus en plus d’adaptations littéraires en bande dessinée. Certains disent que les auteurs vont chercher dans la littérature les idées qu’ils n’ont pas. Après en avoir discuté avec Céka, nous pensons qu’au contraire, la bande dessinée s’ouvre vers d’autres formes artistiques. Remettons-nous en cause le cinéma, alors que plus des trois quarts des films sont issus de romans ? Lynch, Kubrick ou Welles, sont-ils moins grands auteurs quand ils adaptent des œuvres littéraires ? Nous pensons que la bande dessinée se considère encore comme un art mineur et ne s’assume pas complètement. Cela viendra, mais il faudra encore un peu de temps.

Sceneario : Comment avez-vous travaillé pour choisir ce que vous alliez traiter et ce que vous alliez laisser de côté ?

CEKA : Avoir à choisir a été le côté le plus terrible pour moi : quand on a du caviar devant les yeux, on aimerait tout garder ! Pourtant, il a fallu faire des choix, que je l’adapte à la structure et à la narration BD… J’ai donc resserré l’intrigue sur le procès de Joseph K. et éliminé certains personnages secondaires, notamment féminins. Par contre, j’ai donné plus de place à Leni, le personnage féminin qui m’a le plus touché, le personnage féminin qui me semble le plus important dans le roman… Avec un message subliminal : l’amour peut peut-être nous sauver de la mort ?

CLOD : Nous avons fait un véritable travail au niveau des images. Nous voulions qu’une seule image puisse, à elle seule, remplacer ce que Kafka exprime en plusieurs pages. Par exemple, si on prend le cas de l’avocat Huld, Kafka le décrit comme l’avocat le plus important et plus puissant de la Cour. Dans le roman, plusieurs scènes servent à décrire sa tyrannie. Dans notre adaptation, nous l’avons représenté démesurément gros, gargantuesque et dévorant littéralement ses dossiers. Une page de bande dessinée suffit finalement pour donner toute la mesure du personnage. Ainsi, nous avons pu, à maintes reprises, "contracter" l’œuvre originale. Et au fond, le roman n’est pas si long que ça. 

Sceneario : L’humour de Kafka, qui est souvent laissé dans l’ombre des univers qu’il a créés a visiblement été un objectif dans votre vision du "Procès". Quelle était votre ambition sur ce plan-là ? Distordre quelque peu le roman pour mettre plus en valeur cet humour présent ? Insister sur ce point afin que les lecteurs changent leur vision du roman ?

CEKA : Tout à fait ! Nous avions une vraie volonté, avec Clod, de montrer un autre aspect, plus méconnu, de l’œuvre de Kafka : son humour ! Il me rappelle par certains aspects celui de Desproges ! Ce détachement, ce décalage dans les situations les plus désespérées… Kafka, ce n’est pas que kafkaïen, et c’est un peu le message qu’on avait envie de faire passer à travers notre adaptation… Le dessin nous a permis de traduire cet humour burlesque avec toute la force que permet ce média !

    CLOD : Nous ne voulions surtout pas conforter le lecteur en faisant une adaptation "kafkaïenne" du Procès, uniquement basée sur l’angoisse et l’absurde.

Sceneario : Y a-t-il des choses qui ont été trop compliquées à retranscrire en BD, que ce soit par le dessin, ou que ce soit par le "manque de place" sur le nombre de planches ? (Ce nombre de planches était-il imposé par l’éditeur ?)

CEKA : C’est nous qui avons fixé le nombre de planches, dès le départ. Nous voulions faire un one-shot dans un format standard. Pas par défi contorsionniste, non : en travaillant sur le synopsis, je me suis rendu compte que ça se passerait bien sur 46 planches, du moins de mon point de vue… Nous nous sommes même permis le luxe suprême d’avoir des pages avec très peu de textes…

CLOD : Franchement, à aucun moment je ne me suis senti frustré par un manque de place. Je me suis attaché à faire des cases intégrant beaucoup d’éléments. J’ai l’impression de n’avoir fait aucune concession et d’avoir exprimé tout ce que je souhaitais à priori.

Sceneario : Clod, as-tu changé quelque chose dans tes habitudes de dessin pour cette BD ?

CLOD : Non, les choses sont venues assez naturellement. Comme je voyais depuis longtemps les images, il me semble que tout est venu assez vite. Je ne me suis pas beaucoup posé de question sur le style graphique. Je voulais simplement qu’au fil de l’album, les dessins soient de plus en plus tranchés au niveau des noirs et blancs et que les planches s’assombrissent vers la fin. Avec le recul, je me rends quand même compte que finalement cela ne ressemble pas beaucoup à tout ce que j’ai fait auparavant.

 

 

Sceneario : Qu’est-ce qui a motivé ces premiers pas dans le monde de la BD ?

CLOD : Etre dessinateur de bande dessinée, c’est un travail de dingue. Il faut être masochiste… (rire) ou alors avoir envie de raconter des histoires. C’est de raconter des histoires qui me motive. D’ailleurs, j’écris moi-même des scénarii, dont un signé chez les Editions Petit à Petit avec un dessinateur qui peine à finir l’album (quand je vous dis que c’est un boulot de fou !)

Sceneario : Qu’auriez-vous à dire que vous souhaiteriez apprendre aux lecteurs de cette interview que mes questions n’auront pas appelé ??!

CEKA : Clod, je voulais te le dire : ce fut un vrai bonheur de travailler avec toi ! Et peut-être que cette amitié se ressent dans notre travail, qui sait… En tout cas, tout s’est passé in a perfect harmony, et c’est vraiment appréciable ! Quitte à travailler aussi longtemps sur un album, autant que ça se fasse dans la joie et la bonne humeur !

CLOD (tout rouge) : Moi aussi, tout pareil ! Je suis même content de bosser actuellement sur un deuxième album. Et pour la suite, je ne vois pas les choses autrement.

Sceneario : Céka, on connaît sur Sceneario.com différents autres des titres que tu as publiés. Autant dire qu’on ne peut pas forcément y voir une quelconque homogénéité (!) Question classique, alors : n’est-ce pas difficile de travailler sur des styles de récits complètement différents, de passer d’adaptation à des inventions pures ?

CEKA : C’est vrai ! Mon travail de scénariste est à l’image de mes lectures BD : très éclectique ! Et tant mieux, sinon quel ennui… L’idée me plaît bien de passer d’une illustration humoristique à un récit historique, d’un thriller fantastique à une planche gag… Avec le temps, peut-être que certaines préférences se dessineront… Rendez-vous dans 10 ans pour faire le point !

Sceneario : Rendez-vous pris ! Mais en attendant… (Clod nous en a déjà touché mot plus haut) quels sont vos projets ? Sur quoi travaillez-vous actuellement ? (Ensemble ?) 

CEKA : On ne change pas une équipe qui gagne (à être connue !). Avec Clod, on prépare une autre adaptation littéraire pour le premier semestre 2007. Non pas par manque d’imagination, mais pour travailler dans la continuité du Procès. Le titre ? Le double assassinat dans la rue morgue, d’Edgar Poe, le premier roman policier moderne ! Nous avons déjà trouvé une idée pour apporter notre touche personnelle. Sans changer l’intrigue cousue main, bien sûr ! À côté, je prépare également pour Akiléos deux séries : Egovox avec Yigaël, une trilogie de science-fiction, dont le premier tome va sortir en mai 2006 et Billy Wild avec Guillaume Griffon, un western gothique, dont le premier tome est prévu pour la fin de l’année. Je vous l’avais dit que j’avais des envies éclectiques !

CLOD : En plus de cette nouvelle adaptation avec Céka pour Akiléos, d’un album chez Petit à Petit avec Benoît Frébourg au dessin : Le Testament du Docteur Weiss, je continue à développer des scénarii et à chercher désespérément des dessinateurs pour les illustrer. Je me suis écrit aussi quelques histoires que je garde au chaud pour ma pomme.  😉

Sceneario : Héhé ! Bon, et sinon, au fait… connaissiez-vous Sceneario.com ? Qu’en pensez-vous ?

CEKA : Oui, je suis abonné à la lettre d’information. C’est un des sites sur lesquels je me balade pour avoir de l’information sur la BD. J’apprécie sa fonctionnalité et la qualité de ses journalistes (Quoi ? J’en fais trop ?).

CLOD : Je ne connaissais pas, mais maintenant oui ! J’apprécie sa fonctionnalité et la qualité de ses journalistes (Quoi ? J’en fais deux fois trop ?).

Sceneario : Arf ! Ces auteurs, alors ! (rires) Non, il n’en font jamais trop : au travail !!! 😉

En tout cas, merci beaucoup, une fois de plus, pour le temps que vous avez bien voulu prendre pour cette interview. Je vous souhaite très bonne continuation à tous les deux ainsi que beaucoup de succès ! (Tiens, ça finit comme "procès", d’ailleurs !)

SITE OFFICIEL DE L’ALBUM: http://leproces.free.fr 

 

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