Interview

Interview de AMEZIANE pour l’album LEGAL chez Casterman

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Sceneario.com: Votre album rend compte d’un futur pas si éloigné de ce que l’on connaît aujourd’hui, vous y traitez de la légalisation du cannabis, même si c’est assez rapidement récupéré et instrumentalisé dans le récit. Néanmoins on sent bien que la fiction n’est pas si fictive qu’elle semble vouloir le montrer. Quelle est l’état des lieux aujourd’hui ? Cette légalisation est-elle une solution ou une chimère utopiste ?

AMEZIANE: Pour moi le principal problème de la prohibition d’un produit aussi (voire moins) toxique que d’autres produits à fonction récréatif, c’est le double standard, l’hypocrisie autour du sujet. La société française a choisi l’alcool comme symbole culturel (ach… le vin français très bon, good good, faisons la tournée des vignobles goûtons cela sans modération et achetons une caisse… pour se retourner la tête à la maison). Pourtant on sait que plus de 50% des morts au volant sont causés par des fêtards. Et pour la clope c’est pire, 400 produits chimiques par clope, des addictifs ultra-nocifs pour la santé et addictifs. Qui ne connaît un fumeur qui vous raconter la tige au bec "nan, vraiment faut que j’arrête". Mais l’État touche un max d’impôts sur tout cela, alors personne ne bronche. Sauf quand faut faire la morale aux gens le temps d’une campagne pub genre "le cancer n’est pas ton ami"… J’ai une position privilégié car je ne fume pas, ne boit pas et ne prend pas de drogue (à part les séries sur HBO). Je suis assez critique sur les abus du cannabis mais que les jeunes fassent leur crise d’autorité et jouent aux "grands", c’est une phase et cela m’importe peu. Par contre, maintenir une politique répressive pendant des décennies, mettre des consommateurs de shit en taule, ça je trouve hypocrite. La seule chose qui fait barrage à une légalisation d’un produit utilisé par l’industrie pharmaceutique, c’est que "l’état dealer" est une idée qu’ils ne peuvent pas concevoir. Et je parle de la droite comme de la gauche. Cela voudrait dire assumer le fait qu’ils se sont trompés pendant si longtemps. Personne ne veut être celui à qui on dit "je te l’avais dit, fallait pas faire comme ça ducon".

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Avec Cédric, nous n’avons pas imaginé cette légalisation comme une création de toutes pièces, elle est effective dans plusieurs pays dont les deux derniers furent l’URUGUAY et un petit pays nommé USA… Second mandat de OBAMA et boom, la légalisation dans le COLORADO et WASHINGTON. On était en pleine production de LEGAL, on a beaucoup ri. Ici, c’est un sujet tabou, LCI et M6 ont commandé 2 sondages au même moment et le "public" était contre à 64 %. Bon c’est le même public qui répond à chaque à hauteur de 5% de "sans opinion" avec un SMS surtaxé à toutes les questions… En choisissant de placer notre histoire entre NANTERRE et LA DEFENSE, on avait une situation idéale à mi chemin entre les HLM et les tours du CAC 40 où l’on pourrait raconter notre histoire sans justement ne rien piquer à "THE WIRE" car les dealers ont trouvé le moyen d’échapper aux écoutes… Vu la situation politique du moment, je ne pense pas que l’on soit dans une période favorable à ce genre de débat. Pourtant cette question de société est au centre des préoccupations d’un réservoir d’électeurs qui se compte par millions. Pensez à tous ces jeunes qui fument et qui vont avoir 18 ans pour la prochaine élection, dites-leur que vous allez leur donner leur SPLIF du week-end sans risque et moins chère. Vous risquez d’avoir une surprise. Sans compter la manne financière qui va avec, parce que les dealers ne font pas ça par amour de la flore bio. Ce sont de sauvages capitalistes. Et on pourrait les taxer au lieu de les envoyer en prison. Tout le monde pourrait en profiter, ceux qui ne veulent pas plus fumer des graines de ducros achetés en cité, ceux qui pourront financer des centres de lutte contre toutes les dépendances et l’état qui toucherait sa part de taxe… au bas mot 1 milliard d’euros par an, soit la moitié du budget de la culture.

Sceneario.com : Vous bravez les interdits en parlant ouvertement de la légalisation du cannabis comme d’une éventuelle solution… Il y a aussi un vrai enjeu moral derrière ce projet, comment s’inscrit votre démarche sur ce plan, notamment vis à vis d’une certaine hypocrisie bien pensante ?

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AMEZIANE: Nous ne bravons aucun interdit car nous ne faisons pas l’apologie de la consommation de stupéfiant, on ne risque rien ou alors allez mettre les menottes à QUENTIN TARANTINO parce que sa séquence de shoot d’héroïne dans PULP FICTION est bien plus graphiquement attirante que tout ce qu’on a produit dans LEGAL. D’ailleurs on ne voit qu’une seule fois des personnages fumer du cannabis dans LEGAL et c’est lorsque de MARIE et son copain LASCENE sont au lit avec un verre de champagne. Des adultes consentants dans une activité récréative. LEGAL parle de drogue mais surtout de tout ce qu’il y a autour. Vous savez à quoi ressemble le cannabis – les ados ont des fleur de canna sur leur fringues et sur la moitié de leur sac à dos. Par contre, comme ça fonctionne en vrai, qui cultive quoi, où et à qui profite le crime, ça c’est moins vu. Notre but est de faire nos devoirs, débusquer des infos inédites pour le grand public et les présenter de façon agréable dans un polar. Aucune BD n’a jamais changé le monde, on ne se fait aucun illusion, mais si on parvient à créer un débat, on serait content. SCORSESE parle de la "moralité du plan". C’est toujours quelque chose qui a eu un écho chez moi. Si je vous demande de me dessiner un astronaute, combien vont dessiner une femme, combien dessineront un black ? Cela ne veut pas dire que les gens sont misogynes ou racistes, juste que les images ont un poids par la répétition et l’oeil s’habitue aux choses et ne les questionnent plus. Par exemple quand vous voyez un jesus blond aux yeux bleus alors que le gars est un juif d’il y a 2000 ans. certains savent qu’il y a un problème, d’autres avalent ça tout cru…

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Sceneario.com : Comment s’est construit ce projet, beaucoup de doc je pense, des rencontres… ?

AMEZIANE: Quand j’ai eu l’idée de LEGAL je ne savais pas sous quelle forme la faire, ma première impulsion était une série TV, alors j’ai analysé ce type d’écriture et de narration. J’ai rencontré Cédric et on a bossé sur le projet sans trop savoir la forme finale de la chose. Puis après BAGMEN, Didier Borg a été très très enthousiaste pour LEGAL. On a eu le feu vert et on a dévoré une vingtaine de livres et rencontré de nombreuses personnes impliquées de près ou de loin avec le trafic du cannabis. Par chance pendant la production de LEGAL, Cédric a écrit un reportage sur la légalisation. Nous avons écrit le tome 1 de LEGAL, je l’ai mis en images et on a eu la chance de rencontrer STEPHANE GATIGNON le maire de SEVRAN qui a fait de la légalisation un combat personnel. Cette rencontre fut capitale pour le projet, on a eu un point de vue inédit, celui de l’homme derrière le bureau du maire d’une ville où il y a un gros problème de trafic. Après ça, on avait tout le matos pour écrire et dessiner le tome 2. Ce n’est qu’après que Casterman a décidé de coller les 2 tomes ensemble dans un oneshot de toute beauté.

Sceneario.com : Pouvez vous nous parler de votre façon de travailler sur vos planches, comment s’organise l’artiste, des photos, des lieux particuliers ?

AMEZIANE: Règle 1 du ART CLUB – tu ne dessineras que ce que tu connais. Règle 2 du ART CLUB – tu ne dessineras que ce que tu connais. J’ai grandi à côté de LA DEFENSE et de NANTERRE donc je connais les moindres recoins de LA DEFENSE, je savais où trouver les bons spots. Quand j’ai raconté que je voulais mettre en scène la fin de la prohibition du cannabis, tout le monde m’a demandé si ça allait se passer à MARSEILLE. J’ai su à ce moment-là que le choix de NANTERRE/LA DEFENSE était le bon car personne ne s’attendrait à ça. Règle 3 du ART CLUB – tu apprendras à connaître ce que tu dessines. Je suis parti en repérage, j’ai mitraillé tout ce qui me paraissait agréable à l’oeil et aussi ce qui était suffisamment moche pour être utile à l’ambiance générale. Tous les lieux présents dans LEGAL sont purement et simplement réels, à l’exception de 2 ou 3. Si un opérateur veut organiser un parcours touristique "LEGAL" comme ils ont fait pour DA VINCI CODE, c’est possible. On voulait rester dans une ambiance réaliste et crédible. LEGAL, c’est pas l’histoire pas d’un comptable agent-secret qui couche avec des top models qui travaillent à l’Élysée pour sauver le Vatican d’une malédiction qui peut se résoudre en finissant une grille de sudoku. Tout doit être vrai ou possible dans LEGAL, sauf peut-être le second mandat de François Hollande… On peut voir une sélection de mes photos de repérage en version couleur -> (http://amazing-ameziane.blogspot.fr/2014/10/yellow-b.html).

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Sceneario.com :Quels sont les premiers échos face à l’album dans la presse, quelques jours avant sa sortie ?

AMEZIANE: Positif, la masse de recherches pour créer une histoire de ce genre est assez perceptible durant la lecture et cela plaît assez. On parle un peu plus du sujet que de la BD en elle-même mais c’est normal. Le mot "documentaire" revient assez souvent et cela nous convient tant qu’on ne nous impose pas les codes du genre. LEGAL est une fiction, un polar social, une histoire qui se passe dans le futur… presque la même année que BLADE RUNNER.

Sceneario.com : Au jour d’aujourd’hui quelle est la prise de conscience, les débats à ouvrir pour amener des solutions (peut-être que la réponse aura été abordée dans la première et la deuxième question, si c’est le cas zapper cette nouvelle question 😉 ) ?

AMEZIANE: S’il y avait "une solution" simple, je ne ferai pas de la BD, je me lancerai en politique pour que les choses change pour de vrai. Mais non, je me borne à faire mon travail de cartonnist et si parfois j’utilise des sujets de société, je fais mes devoirs et je tente de produire le meilleur livre possible avec le temps que j’ai. Et la politique a eu le peau de Bernard Tapie, c’est pour dire comme c’est un milieu de requins. Aujourd’hui chacun campe sur ses positions, les pours et les contres. les 2 camps se regardent méchamment, un coté vit dans l’ignorance et l’autre dans la fumée.

Sceneario.com : Pour revenir à vous, quels sont les prochains projets, les envies qui se profilent ?

AMEZIANE: Des envies… ça le jour où j’en aurai plus, faudra commencer à faire autre chose. mon prochain livre sera un polar YAKUZA que je vais dessiner et écrire. Je bosse sur ce projet depuis 2001, il devrait être ma première BD. J’ai fait un tumblr (http://fuckyeahzatoichi.tumblr.com/page/4) où je collecte des images et des gifs en rapport avec l’histoire : CLAN (Ed. LOMBARD, fin janvier 2015). Les 4 prochains projets sont déjà en route…

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Sceneario.com : Toute l’équipe de Scéneario vous remercie pour ce temps passé à vos côtés !

AMEZIANE: Toujours un plaisir.

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