Interview

Gil FORMOSA, dessinateur


Gil Formosa
Sceneario.com: Comment es-tu venu à la bande dessinée ?

Gil FORMOSA: Et bien, en décembre 1974, j’ai été engagé au studio artistique des Éditions Dargaud par René Coscinny pour assister Morris. Pendant 4 ans, j’ai dessiné Lucky Luke et Rantanplan pour le Merchandising, pub, dessins animés, affiches de cinéma, etc.… découvrant ainsi les exigences professionnelles, j’avais 18 ans.

Sceneario.com: Il a coulé de l’eau sous les ponts depuis CARGAL ! Pourquoi as-tu arrêté la BD ?


Gil FORMOSA: Pour des raisons qui ne semblent plus si évidentes aujourd’hui !

À l’époque j’étais très jeune, et l’envie de goûter à de nouvelles expériences artistiques m’attira très vite. 

Entre-temps, j’ai continué d’exercer dans le domaine de l’image, animée ou pas. Je suis revenu à la BD parce que cela me manquait tout simplement ! 

Après avoir travaillé pour des médias différents, le seul média qui puisse donner entière satisfaction, j’entends d’une façon artistique, c’est la BD. Pourquoi ? Parce qu’en dessinant une BD on reste le véritable maître de son travail, on est le seul responsable du succès ou de l’échec.

En animation, on peut créer les plus beaux personnages qui soient, si le réalisateur et l’équipe d’animation n’ont pas suffisamment de moyens, le résultat final sera très, très éloigné de la création originale. 

En pub, il faut toujours passer par les désirs d’un directeur artistique et souvent des commerciaux qui d’une façon ou d’une autre seront obligés d’aseptiser la création. Cela dit, travailler dans ces secteurs permet d’apprendre énormément graphiquement et humainement parlant !

Donc revenir à la BD est aussi pour moi un besoin artistique d’assumer seul ma propre création.

De plus je voulais revenir à la BD avec un projet original, et la grande liberté de travail avec JM m’est apparue comme l’idéal pour remettre le pied à l’étrier. Je venais juste de refuser un autre projet de reprise d’une série. 

À la lecture de son synopsis j’ai tout de suite senti que j’avais enfin la matière pour créer mon nouvel univers graphique, et changer complètement avec ce que je faisais en Héroic Fantasy avec Cargal.

Sceneario.com: Comment vis-tu cette reprise ?


Gil FORMOSA: C’est tout à fait étonnant. J’ai l’impression étrange de bien connaître le milieu de la BD et la même impression de le découvrir !!! C’est comme si les choses avaient changées, mais pas tant que ça, où alors c’est plutôt mon regard sur la BD qui a changé !


Extrait de Robur T1

Sceneario.com: Ton regard, ta façon de travailler doivent avoir évolués !


Gil FORMOSA: Effectivement, j’ai quelque peu modifié ma façon d’aborder une BD.
Je travaille généralement en suivant les étapes standards que nous utilisons dans le dessin animé, c’est-à-dire :

– Story board, (il faut savoir où l’on va) puis,
– Lay out, c’est-à-dire mise en place des décors dans la perspective,
– vient ensuite la modélisation de tous les engins et l’architecture en 3D,
– couleurs et ambiance des décors avec incrustation de la 3D,
– crayonnés des personnages,
– encrage et mise en place des personnages dans leurs décors,
– mise en couleurs des personnages dans l’ambiance couleur générale.
– ballons et textes,
– Fin.

Cette technique me permet de peaufiner ce qui est le plus important… la narration et la mise en scène.

Sceneario.com: Pour ROBUR tu as choisi la couleur informatique et la 3D. Pourquoi pas la couleur directe comme pour CARGAL ?

Gil FORMOSA: Je ne pense avoir été parmi les précurseurs de la couleur directe à l’époque, ce qui m’a valu bien des déboires avec les responsables de la fabrication, absolument pas habitués à ce genre d’exercices techniques. 

J’avais envie de revenir à la BD avec quelque chose d’original donc, et l’utilisation de la 3D m’a paru tout à fait appropriée au sujet de notre série SF. 

Et puis, mes années de travail pour les autres médias m’ont permis d’acquérir d’autres techniques que j’ai expérimentées pour Robur. 

Modéliser des vaisseaux et des architectures complètement folles est un vrai bonheur, en fait ce qui est agréable, c’est de prendre son temps à fabriquer un vaisseau avec pas mal de détails et à pouvoir l’utiliser sans problème sous tous les angles possibles et imaginables. Cette utilisation de la 3D permet une grande liberté de création.

Sceneario.com: Qu’est-ce qui t’a séduit dans ROBUR.


Gil FORMOSA: À la base, la possibilité de créer un nouvel univers !


Couverture T3

Sceneario.com: Les références/influences utilisées sont multiples. Comment as-tu concrétisé graphiquement le scénario que te proposait Jean-Marc Lofficier ?


Gil FORMOSA: À l’origine son histoire se déroulait dans les années 1890-1910, et j’ai proposé à JM de basculer cette histoire dans les années 30, simplement parce que graphiquement cela me semblait plus riche, étant sensible à l’Art Déco et à la technologie de cette époque j’ai tout de suite pensé que j’aurai plus de possibilité pour m’exprimer. JM n’y a vu aucun inconvénient !

Pour la recherche pour les personnages, l’univers graphique et technologique, j’ai eu quelques indices de la part de JM sur 2 ou 3 personnages. Autrement je suis resté libre d’imaginer les persos, la technologie, les décors comme bon me semblait.

Sceneario.com: Entre CARGAL et ROBUR tu as travaillé dans bien des domaines ! Tu as un goût prononcé pour le changement, la découverte de nouveaux horizons ?


Gil FORMOSA: Oui, comme je le disais plus haut, j’ai été successivement, Illustrateur de pub, réalisateur de spots publicitaires animés, Character designer et directeur artistique pour le dessin animé de série, décorateur pour la scène et le cinéma, photographe…

Sceneario.com: Est-ce à dire que ton retour à la bande dessinée est un nouveau passage. Mais peut-être ne travailles-tu pas aujourd’hui que sur la bande dessinée ?


Gil FORMOSA: Exact, en parallèle je dessine pas mal d’illustrations de couvertures de romans SF ou d’Héroic Fantasy, c’est une vraie récréation pour moi ! Quant à la BD, je planche actuellement sur une deuxième série aux antipodes de l’univers SF/Steampunk de Robur.


Extrait de Robur T2
Sceneario.com: Comment s’organise ta collaboration avec JM ? Tu participes au scénario ?

Gil FORMOSA: Sur le premier tome pas tellement, le second j’ai apporté quelques d’idées, quand au troisième tome je m’y suis d’avantage investi. Avec JM, j’ai la plus grande liberté, à tel point que je peux lui suggérer toutes mes idées et la plupart du temps elles sont intégrées au scénario final. L’important étant de respecter « la ligne directrice », et de ne pas faire de contre sens avec le but final de notre trilogie.

Exemple : Dans le tome 2, j’ai rajouté un affrontement direct entre Robur et son nouvel adversaire, puis un rapport relationnel plus fort entre les personnages principaux. Pour le tome 3, je lui ai suggéré le lieu de la 2e Base secrète ainsi qu’une idée pour un nouveau complot du traître de l’équipe de Robur…

Bref, lorsque JM m’envoie ses premières idées, son synopsis, j’élabore un story board/pré découpage très rapide afin de voir si la ligne narrative est bonne, (voir sur mon site l’exemple de story board) c’est à ce moment-là que je lui soumets mes idées, nous en discutons avec JML pour trouver un accord, puis je précise mon dessin, je lui renvoie le tout, il peaufine les dialogues sur les dessins, je passe à l’encrage et la mise en place de la typographie.

Graphiquement, j’aborde le nouvel album en créant d’abord les décors, les engins, l’univers, etc., puis je dessine les personnages dans la perspective, je les encre aux pinceaux, je scanne le tout et la couleur est réalisée sur informatique – les vaisseaux et d’autres éléments du décor sont essentiellement réalisés en 3D.

En gros, en ce qui concerne le travail avec JM, c’est à « l’américaine ».

Sceneario.com: Robur dans sa conception finale est-il très proche ou au contraire très éloigné de l’idée d’origine ?

Gil FORMOSA: Du point de vue de JM, sûrement éloigné, c’est un projet qu’il avait dans ses cartons depuis très longtemps. En ce qui me concerne, j’ai pu réaliser Robur comme je l’ai senti ! Bien sûr je vois maintenant d’avantage les défauts que les qualités. Tout le travail consiste à réduire la différence qu’il y a entre les images que j’ai à l’esprit et celles que je dessine.

Sceneario.com: Quelles ont été tes recherches pour donner corps à Robur ?


Gil FORMOSA: L’image de ROBUR s’est tout de suite imposée à moi dès la première lecture du synopsis. Le contexte des années 30 que j’ai choisi m’a permis de m’orienter vers le style Art Déco et d’y ajouter un grain de folie ! En ce qui concerne les SÉLÉNITES, l’iconographie classique les représentait généralement comme des monstres « insectoïdes », j’ai proposé à JML d’en faire une race extraterrestre qui aurait la particularité de changer de formes et de matière, cela nous donnera la possibilité de surprendre les lecteurs dans les prochains albums, et nous aussi d’ailleurs ! Dans le tome 3 on voit à quoi ils ressemblent…

Sceneario.com: Vous avez créé un univers steampunk auquel vous avez intégré un petit côté SF avec la civilisation des sélénites. Quelle était votre volonté ?


Gil FORMOSA: Ma volonté est en priorité la liberté d’expression que je me suis accordée, utilisant ou pas des références, c’est selon… L’autre priorité est tout simplement de raconter une belle aventure, de dépayser le lecteur le temps de la lecture.


Extrait de Robur T2
Sceneario.com: Quelles sont les rencontres ou les découvertes qui t’ont marqué, influencé en tant qu’artiste ?

Gil FORMOSA: À 10-13 ans, je lisais Zembla, Akim, Blek le Roc, Kiwi, Captain Swing, etc…
Et puis, à 14 ans, un ami m’a mis entre les mains les Fantastic Four de Kirby. J’ai été déstabilisé par le dessin, je le trouvais bizarre, il ne correspondait pas aux critères auxquels je m’étais habitué, et en plus cette BD était en 2 couleurs !

Mais, mais… Au bout d’un moment, je me suis retrouvé scotché par l’ambiance de Kirby, et de ses étranges personnages. J’étais comme aspiré dans son univers, et j’ai été conquis.
Avec le recul, je me rends compte que ce qui m’avait subjugué, c’était la sobriété, l’efficacité, l’énergie de son dessin, et le destin extraordinaire de ses héros.

Plus tard, j’ai découvert  » Enemy Ace  » et  » Sergent Rock  » de Joe Kubert (Si on retrouve un certain type d’avions dans Robur ce n’est pas par hasard). Dans le tome 2 de Robur, je fais un autre clin d’œil à Kubert.
Il y a aussi le phénoménal John Buscema et son Silver Surfer et son Conan. Au sujet de Surfer, il y avait une dimension spirituelle que je ne comprenais pas quand j’étais gamin, mais qui m’attirait, je sentais que c’était différent. Le message allait plus loin que l’incontournable règlement de compte entre bons et méchants.

Quelques années plus tard je suis tombé par hasard, sur les œuvres de Frazetta. Là, évidemment ce fut le choc !
Giraud, aussi bien sûr. Ce qui m’impressionne surtout chez lui, c’est son éclectisme, son côté touche à tout, il adopte des styles très différents et tout est toujours d’une grande qualité.

J’ai une grande admiration pour Uderzo, aussi. J’ai eu quelques-uns de ses originaux entre les mains et j’ai pris une « claque » : avec la publication en album, on ne peut se rendre compte de la maîtrise de son incroyable dessin. Cela vient de la réduction, car l’encrage, lui, était exceptionnel. Je l’ai vu dessiner, c’était vraiment étonnant. Uderzo est l’un des rares dessinateurs à pouvoir travailler dans des styles totalement différents.
Je voudrais rajouter Druillet, pour son univers. À 14 ans, j’achetais tous les jeudis  » Pilote  » pour Druillet, Giraud et Gotlib !
Il ne faudrait pas oublier Cheret, avec « Rahan ». Il y en a bien d’autres, difficile de tous les énumérer…

Mais ma plus belle rencontre, est celle avec John Buscema, à New York, je lui ai toujours voué une admiration sans borne, alors tu penses le rencontrer, lui montrer mon premier album, quel émerveillement pour le jeunot que j’étais !

Sceneario.com: Le prochain tome de ROBUR viendra boucler le premier cycle. Comment va s’organiser la série ?

Gil FORMOSA: À l’heure actuelle je n’ai pas une réponse très précise à te donner, mais j’aimerai que la psychologie, les rapports entre les personnages soient plus prédominants que dans la première trilogie. Je pense que ce qui fait une bonne histoire c’est la complexité des personnages avant leurs aventures.

Sceneario.com: Sa sortie est prévue pour quand ?


Gil FORMOSA: Mars 2005 pour le Mondial Jules Verne d’Amiens.

Sceneario.com: As-tu envie d’explorer d’autres univers dans le monde de la BD ? Des projets ?


Gil FORMOSA: Effectivement j’ai un autre projet en cours, totalement différent, sans 3D, tout fait main ! Aux antipodes de Robur, finalement !


Extrait de Robur T1

Publicité