Interview

Georges Van Linthout

Sceneario.com: Georges Van Linthout, bonjour, et merci d’être parmi nous. Pour aider les lecteurs qui ne te connaissent pas, je vais te présenter un peu : Tu es Dessinateur, Scénariste, Décorateur, Styliste, euh… polyvalent ?

Georges Van Linthout: J’ai 44 ans, 4 enfants de 20, 18, 16 et 12 ans (un garçon, une fille, un garçon, une fille). Je vis en Belgique, dans le village de Cheratte où je suis né, c’est un village qui se situe près de la ville de Liége et qui fait partie de la commune européenne la plus au nord où on parle encore le français, elle se trouve effectivement à 9 kilomètres de la frontière hollandaise. Je vis dans une maison entourée de vergers menacés par la spéculation immobilière. J’ai la chance de vivre dans un cul-de-sac, ça protège de la circulation et du bruit. Les décors de ce village sont en grosse partie ceux que l’on retrouve dans « La nuit du lièvre ». Comme mon nom ne l’indique pas, je suis belge francophone. d’origine lointaine flamande.


Je suis polyvalent dans le sens où, dans le métier du dessin, je ne fais pas que de la BD, quoique ce soit ma principale occupation. Je suis bien entendu scénariste (Lou Smog et les enquêtes Scapola pour ne citer que les principales séries), j’ai dessiné des décors pour plusieurs albums de NATACHA avec mon voisin François Walthéry, j’anime des séries pour des revues… Je fais aussi, mais c’est plus dans le cadre de la détente, de l’illustration, un peu de sculpture, je me balade toujours en vacances avec des carnets de croquis et une boîte d’aquarelle. J’essaie d’aborder tout ce qui est possible en dessin en particulier et en matière artistique plus largement.
Je fais aussi un peu de musique. J’ai toujours travaillé sur plein de trucs à la fois, c’est souvent un peu difficile pour le respect des délais, mais c ‘est surtout beaucoup plus amusant. Je ne conçois pas de me consacrer uniquement à une seule série. La seule que j’aurais pu envisager de cette manière est la série « Lou Smog ». Je travaille également en collaboration avec mon frère, Stibane et le dessinateur/scénariste et ami Didgé sur un certain nombre de projets et de réalisations dont dernièrement le tournage épique d’une publicité pour des télés régionales !

Sceneario.com: Ta carrière est très remplie, tes débuts dans le métier remontent à quand, et comment est-tu devenu dessinateur ?


Georges Van Linthout: Mes tout débuts dans le métier en tant que professionnel remontent en novembre 1982. J’ai à cette époque vendu mes premières planches au journal Spirou. Il s’agissait des 12 planches d’une histoire complète absurde intitulée « Le petit Robert et la cousine aubeurre » publiées dans le numéro spécial 45° anniversaire. Après ça, j’ai été remarqué par un magazine de polar qui m’a demandé des BD courtes de polar noir, c’était le défunt et éphémère journal Ice crim’s (très beau mensuel).
J’avais envoyé la BD publiée au Lombard (comme « le petit robert. », d’ailleurs) et au moment où le polar allait être publié, j’ai reçu un coup de fil de la rédaction du Lombard qui voulait absolument cette BD pour un journal adulte qu’ils avaient en projet. Je ne pouvais évidemment pas leur vendre ce que j’avais déjà vendu ailleurs, mais j’ai sorti de mes cartons plusieurs autres polars qui les ont séduits. J’ai donc signé mon premier contrat chez eux pour une série d’histoires courtes noires qui sont restées dans les tiroirs puisque leur revue adulte n’est jamais parue.

Quelques-unes de ces histoires ont été publiées vers 1998 dans un fanzine qui voulait absolument les publier. Bon, c’est vieux mais c’est marrant à voir ! Après un an à dessiner sans être publié, j’en ai eu marre et j’ai proposé une histoire courte humoristique pour le journal « Tintin ». L’histoire a été acceptée, le rédacteur en chef (Jean-Luc Vernal) m’a demandé pourquoi j’avais fait ce truc humoristique. Je lui ai répondu que si c’était pour travailler pour des tiroirs ça ne m’ intéressait pas, je voulais être publié dans le journal et que cette histoire était le moyen que j’avais trouvé ! Il était étonné du fait que cette histoire était une histoire humoristique, m’a demandé si je n’avais pas autre chose. Je lui ai alors sorti les 14 premières planches de « LOU SMOG » qui ont été acceptées avec beaucoup d’enthousiasme puisque le rédacteur en chef a bouleversé la programmation et la couverture du journal pour présenter la nouvelle série. J’ai donc travaillé en histoires courtes sur Lou smog de 1985 à 1989.

Ces planches étaient également revendues en Allemagne et enfin j’ai eu l’heureuse surprise de pouvoir dessiner le premier album qui est sorti pour Angoulême 1990. J’ai terminé l’album numéro 5 en juin 1992, je n’ai pas chômé. Mais entre-temps, les éditions du Lombard, revendues, restructurées etc… ont changé maintes fois de direction, le journal Tintin a disparu, remplacé à la hâte par « hello BD », la série Lou Smog s’est arrêtée et je dois reconnaître que je n’ai pas fait grand-chose pour tenter de la replacer chez un autre éditeur.
Cette décision tombe en fin 1993. C’est à cette époque que je travaille sur l’album Jenny et emmène dans l’aventure Didgé et Stibane. Les années 1994 et 1995 furent très riches en souvenirs, voyages aux Etats-Unis, galères et folklore. Bref de belles années paradoxalement puisque je n’avais plus de série.
C’est également à ce moment que je discute avec un vieil ami, Yves Leclercq, qui était antiquaire. Il me dit qu’il a envie d’écrire un scénario. Pourquoi pas ? Et il me présente la série « Falkenberg ».
Je la propose au Lombard pour un one-shot, eux veulent une série. On signera trois albums. Entre la présentation du projet et la sortie du 1° album, 3 ans vont s’écouler. Je sais qu’à cette époque j’ai fait beaucoup de choses, mais ne me demandez pas quoi, j’ai oublié pas mal de trucs. Bref, Falkenberg vivra jusqu’en1999.
Notre entente avec le Lombard se détériorant de plus en plus, nous n’avons plus l’envie de continuer cette collaboration. C’est avec soulagement que nous arrêtons la série chez eux. Il reste que nous n’avons pas été soutenus, alors que le 2° album était épuisé, l’éditeur a toujours refusé de le réimprimer ! Bref il valait mieux laisser tomber. J’ai alors planché sur « la nuit du lièvre » avec Leclercq, une vieille envie de dessiner en noir et blanc, ma vraie passion.
Il se fait que Leclercq avait écrit une histoire de son côté et que moi j’en avais dessiné une autre du mien. Les décors de ces deux histoire étaient ceux de notre enfance. Nous avons monté le projet comme ça, un peu par hasard. Delcourt a été emballé et nous l’avons publié chez eux. Dans le même temps, j’ai écrit « Enquêtes Scapola » pour mon frère Stibane chez Casterman. Et cette série a pu commencer. Peu après, avec Leclercq, nous avons présenté la série « Twins » chez Casterman. Et parallèlement à tout ça, on été éditées les histoires courtes de Lou Smog en album chez « point-images ». En 2001, j’ai ainsi sorti 5 ou 6 albums !

Sceneario.com: Est-ce que certains « mastodontes » de la bande dessinée belge t’ont influencé, ou guidé dans cette voie ?


Georges Van Linthout: Oui, j’ai bien entendu été influencé par les mastodontes. Mais je n’ai pas subi une influence particulière. C’est plutôt l’ambiance de la BD à l’époque qui m’a donné envie. Je retiens surtout Tillieux et Jijé. Mais ce sont des influences que j’ai dégagées par après, je les ai identifiées parce qu’elles ont été formatrice dans mes goûts. Du point de vue du dessin, je n’ai pas recopié » qui que ce soit, j’ai pris plutôt dans l’atmosphère. Plus tard, j’ai aimé d’autres dessinateurs comme Giraud, par exemple ou le dessin d’Hermann, mais tout revient à Jijé quand même. Quand j’ai travaillé professionnellement, j’ai beaucoup lu et regardé le travail de Milton Caniff, un maître du noir et blanc. Le dessinateur Munoz fait partie de ceux que j’ ai admirés et que j’admire toujours. Hugo Pratt également qui vient d’ailleurs tout droit de Milton Caniff. J’aime beaucoup le noir et blanc.

Je me souviens lors d’une grande fête jazz/BD à Cheratte, ma mère m’avait obligé à aller montrer mes dessins. J’avais 16 ans et j’avais dessiné la mouette et le chat de Gaston, deux gouaches que je trouve encore très chouettes. J’étais évidemment complètement liquéfié, mais ma mère avait décidé, je n’avais qu’à m’exécuter. Ce que je fis, tremblant, ému, transpirant, bégayant. Et je suis allé trouver Tillieux. Celui-ci regarde mes dessins, se lève (il était grand en plus, le salaud) et appelle autour de lui « venez voir ça, les gars » ! Hop, il fait passer les dessins chez ses collègues. Ils y vont tous d’une dédicace dessus, Will, Hubinon, Beautemps, Deliège. les dessins reviennent chez Tillieux qui en discute avec Paul Deliège et avec moi. Tillieux me dessine une petite tête de Gil Jourdan que la mouette pond et m’écrit « désolé de ne pas pouvoir pondre aussi bien que vous » ! J’étais aux anges. Il me dit de continuer à dessiner, Deliège me tient le même discours, encouragements, et voilà, je suis reparti et j’ai continué ! Dois-je vraiment les remercier ?

Sceneario.com: Ton premier travail en solo, c’est « Lou Smog » , tu racontes les enquêtes d’un lieutenant de police des années 50. D’où te sont venues ces idées ? Tu as une préférence pour le style polar ?


Georges Van Linthout: À l’époque, je lisais beaucoup de polars de série noire se passant aux Etats-Unis et en plus, souvent dans les années 50. Les années 50 m’ont toujours intéressé tant pour les voitures que pour la musique, le cinéma et tout ce qui tourne autour. Pour les Etats-Unis, il s’agit plutôt du mythe que de la réalité, les Etats-Unis en tant que tels ne me passionnent pas vraiment, mais on a tous des images en tête qui font rêver. C’est aussi bête que ça. Pour ce qui est des idées de scénario, c’est très variable. Soit je réuni des éléments que j’aimerai traiter et je monte une histoire avec tout ça, soit je pars d’une anecdote. L’anecdote n’est jamais suffisante, il faut la nourrir, elle n’est que l’allumage, il faut mettre autour le bloc moteur, les suspensions, la mécanique, la carrosserie. les personnages vont lui donner une couleur. Je recherche alors un maximum de documentation et je démarre. L’album Carrera Panamericana est venu parce que j’avais envie de dessiner cette course mythique qui d’ailleurs se recourait au début des années 90. J’étais et je suis toujours passionné de voitures anciennes… j’ai d’ailleurs possédé la Karmann que je dessine dans Lou Smog J ! .

Mais je privilégie l’atmosphère dans l’histoire. Ce qui me fait démarrer, c’est une envie d’une certaine atmosphère. Après ça viennent les détails. Tout ce qu’ on trouve dans Lou Smog, c’est moi, mes intérêts, mes passions, ma manière de parler, de faire de l’humour. C’est vrai que le polar reste un style qui me plaît particulièrement. Je pense que c’est une école d’écriture scénaristique très enrichissante qui ne laisse pas le droit à l’ approximation. Lou Smog était un polar mais un polar destiné à un large public. Quand j’écris du scénario, je suis toujours attiré par l’énigme policière, l’enquête. C’est plus fort que moi. Exemple, « les enquêtes Scapola ». Quand j’écris moi-même, je ne conçois pas de le faire sans glisser des notes d’humour dans les dialogues ou les situations. Ce sont d’ ailleurs les dialogues qui me procurent le plus de plaisir .

Sceneario.com: En même temps, tu fais les décors pour « Natacha », et puis tu commences a travailler sur « Falkenberg » avec Leclercq au scénario. Malheureusement, cette histoire n’est pas terminée, est-ce qu’on peut savoir pourquoi ? Et est-ce que tu comptes reprendre « Lou Smog » ainsi que continuer de coopérer sur « Natacha » ?


Georges Van Linthout: J’ai expliqué un peu plus haut la chronologie de mes zigzags Bédéistiques. Falkenberg ne continue pas parce que nous avons quitté le Lombard d’un commun désaccord. C’est une manière polie de dire les choses. Je reste attaché à cette maison parce que c’est là que j’ai fait mes débuts, mais il ne s’agit pas de la maison, plutôt de certains de ses locataires.

Quand l’album n°2 de Falkenberg est sorti, il a été épuisé en 8 jours. Avec Leclercq, nous avons logiquement demandé une réimpression qui a été refusée. Les arguments étaient complètement idiots, du style on en tirera plus du 3°, et comme ça, les libraires seront plus attentifs à la série et en
commanderont plus puisqu’ils ne peuvent pas assurer la demande sur le 2°. Bref, on est sortis de cette réunion en se disant que comme on avait signé le 3° on le faisait mais que c’était terminé. Le 3° est sorti, et j’ai constaté que les libraires ne recevaient pas l’entièreté de ce qu’ils avaient commandé, pas assez d’albums. Je me suis retrouvé dans des dédicaces où les albums n’étaient pas livrés. Enfin, c’était merdique. C’était également l’époque ou la collection 3° vague était initiée, nous avons très vite compris que nous n’en ferions pas partie. Enfin, il y a des attitudes qui déontologiquement me semblaient très discutables (et je reste poli) !
Quand un directeur éditorial qui n’a jamais écrit une ligne de scénario se réserve une reprise de « Blake et Mortimer » dans sa propre maison d’ édition, ça me paraît plus que limite. Surtout quand le même personnage te dit quelques semaines avant que « pour pouvoir jouer dans la cour des grands, il faut d’abord faire ses preuves ». Bon, il devait y avoir probablement un manque de souplesse de ma part, dans un divorce tout n’est jamais blanc ou noir. Mais bon, moi ça ne me convenait plus et je pense que je ne leur convenais plus non plus. Bref, il valait mieux arrêter tout et aller faire mes preuves ailleurs !
Maintenant, je suis chez Casterman, tout va bien, l’ ambiance me plaît et les relations humaines sont bien meilleures, plus franches. Et en plus, ça m’a permis de faire « La nuit du lièvre » chez Delcourt, ça je n’aurais pas pu le faire au Lombard.

Quant à reprendre Lou Smog, c’est sûr que ça m’amuserait. Mais encore faut-il intéresser un éditeur et obtenir des conditions valables pour travailler. C’est une série qui bien qu’elle soit arrêtée depuis dix ans, (exceptés les albums « point-images ») est toujours connue et très demandée.
Dans toutes les séances de dédicaces que je fais, j’ai énormément d’albums de Lou Smog qui passent et toujours la même question de savoir si il va y avoir un nouvel album. Qui vivra verra, c’est ouvert.

En ce qui concerne Natacha, je ne prévois pas de continuer une collaboration, j’ai de toute façon trop de travail actuellement. C’est une période qui est passée, je laisse la place à d’autres. Je travaille encore de temps en temps sur des petits trucs avec François, mais c’est du dépannage. Je verrais plutôt quelqu’un comme Bruno Di sano reprendre les décors, il ferait ça très bien.

Sceneario.com: A propos de Natacha, il y a également un album très particulier « Mambo à Buenos Aire » qui est sorti accompagné d’un cd et le 4e de couv te montre avec Walthéry et Renaud (le chanteur) entre autres, comment s’est passée cette aventure et combien de temps avez vous mis pour la réaliser ?


Georges Van Linthout:

Ca s’est passé comme tout ce que je fais, calmement et en s’amusant. C’était un projet d’un ami commun à François et moi, Patrick Dewez, chanteur et compositeur. Il a imaginé l’histoire, le concept et écrit tout ça. Il s’est entouré de musicien venant entre autres du jazz, mais pas seulement, tous des pointures (Charles Loos, Stephan Martini, Toots Tielemans, Thierry Cromen) . Ensuite, on sait que Renaud et François sont amis, et la collaboration s’est faite naturellement. Le tout a pris à peu près 1 an si je me souviens bien. C’était assez marrant ce genre de travail, ça changeait de l’habituelle bande dessinée. Et puis, c’est un métier qui permet de rencontrer des gens qu’on ne pourrait pas côtoyer autrement, autant en profiter ! Ça a été très chouette de passer une journée avec Renaud, aller visiter des expos BD (il est passionné de BD), enfin, c’était bien.
Dans un autre registre, on a aussi illustré un livre du chanteur Ricet Barrier (le sac à fouilles de Ricet Barrier.). Là, c’était avec mon frère, son épouse et François Walthéry. Depuis, je revois Ricet de temps en temps quand il passe en Belgique, ce sont toujours des moments très réjouissants, Ricet fait la cuisine pour tout le monde, dernièrement on a fait ça chez François, il y avait aussi René Hausmann et des copains, c’était vraiment très chouette. On a droit aux dernières chansons de Ricet, on mange bien, on arrose bien la soirée et c’est du bonheur.

Sceneario.com: On en arrive à l’actualité qui est très chargée, tu fais « La nuit du Lièvre » qui obtient le prix du meilleur scénario à Darnétal, tu fais « Twins » avec ton complice Leclercq chez Casterman – thriller très noir et sur les jumeaux , tiens donc ! – et tu fais « Les enquêtes Scapola » avec ton frère Stibane ! Comment fais-tu ? Comment organises-tu ton travail ?


Georges Van Linthout: La nuit du lièvre n’est déjà plus une actualité. Comment je fais pour tout mener à bien ? Je bosse 😉 Et encore, là on ne parle que de la partie la plus visible de l’iceberg. Il faut ajouter à ça, les séries gags pour des revues, les travaux publicitaires, les illustrations pour des revues anglaises et la vie aussi. Bref, les journées sont bien remplies. Parfois, je suis comme le requin face à un banc de poisson, je ne sais pas lequel choisir. Je passe alors d’un travail à l’autre. Quand c’est vraiment trop, je prend un assistant. En fait, avec Didgé et Stibane, il y a quelques années, on a décidé de partager un certain nombre de boulots. C’était une façon de ne jamais se retrouver sans rien et de garder une liberté sans être tenu par un seul travail. C’est aussi une manière de travailler plus collective. Le tout est de doser le travail effectué en groupe et celui effectué seul. Je reste attaché malgré tout à la quiétude de mon atelier, à dessiner en écoutant la radio. France Inter en général ou alors la radio belge.

Sceneario.com: Parmi tous ces travaux lequel te demande le plus de travail et pourquoi?

Georges Van Linthout: Celui qui me prend le plus de temps est la série Twins parce qu’elle fait partie d’une programmation sur plusieurs années. Elle demande de la documentation précise et un travail de scénario de tous les jours. En effet, si je n’en écris pas le scénario, celui-ci s’écrit toujours en concertation.
J’ai l’habitude de dire qu’à partir du moment où le fond est écrit et que nous l’approuvons tous les deux, je ne touche plus qu’à la forme. Là je veux toujours pouvoir intervenir. Mais ça se fait très naturellement. Les scénarii des enquêtes Scapola sont une récréation pour moi parce que je sais que je n’aurai pas à assurer les dessins. Le contexte religieux me plait particulièrement, je peux enfin utiliser concrètement mon éducation catholique !

C’est aussi une respiration parce que je suis dans le domaine de l’humour et du polar. Les enquêtes démarrent toujours sur des vérités, des mystères de l’église, des dogmes, etc. Pour le premier album, j’avais esquissé avec beaucoup de précision l’ensemble de l’album, fourni avec une description écrite et des dialogues plus encore de la documentation. Pour le coup, ça m’a pris du temps, mais c’était très bien. Cette manière de dessiner les mises en page au feutre m’a permis d’aborder la nuit du lièvre facilement.

Sceneario.com: As-tu une préférence pour une de ces séries ? ou, comme tu as porté toutes les casquettes, que préfères-tu ? Dessiner, Scénariser,….. ?


Georges Van Linthout: Je garde toujours un faible pour Lou Smog, c’était mon personnage, celui qui me ressemblait le plus. J’aime les personnages que je crée, comme les personnages des enquêtes Scapola, je m’y attache plus facilement, ce sont un peu mes enfants. Quand j’ai arrêté la série Lou Smog, mes enfants étaient au bord des larmes.
Mais Falkenberg, et plus précisément Clara me laissent de beaux souvenirs nostalgiques, je me suis beaucoup amusé sur cette série, en particulier les deux premiers albums. Il y avait encore des choses à dire avec ces personnages. Le changement de contexte par rapport à Lou Smog m’a particulièrement plu.
L’esthétique de cette époque surtout. Mon trait était plus fin dans cette série, c’était presque inconscient, c’est tout le contexte, toute l’époque que j’abordais qui me poussait à travailler plus fin, plus « gravure » plus détaillé.
Pour Twins, il est encore trop tôt pour en parler. Il faut laisser décanter, pour l’instant je suis dedans. J’aime le côté « jumeaux » évidemment, gratter un peu sur ce qui est fondateur du mythe des couples jumeaux, sur les questions qu’on peut se poser mais sans tomber dans le déjà vu, le cliché, ça fait un peu « travail sur soi » puisque comme on le sait, Stibane est mon frère jumeau. Je sais donc dans quoi je mets les pieds. Ça m’a permis de connaître la vision qu’a par exemple Leclercq du « couple » que je forme avec mon frère, il a utilisé des trucs que je lui ai racontés, des observations personnelles….Mais ça, ça mériterait toute une dissertation.

L’Amérique est un lieu où j’aime faire évoluer mes personnages, mais c’est plus une Amérique d’image, de mythe que l’Amérique réelle. L’album que je défend le plus est «La nuit du lièvre » parce que c’est un album plus particulier, en noir et blanc et en grosse partie une autobiographie mélangée de Yves Leclercq et moi.

Je n’ai pas une casquette préférée. Mais c’est sûr que je me passerais difficilement de l’un ou l’autre aspect du métier. Maintenant, j’aimerais refaire un truc entièrement seul. J’ai besoin de toucher à tous les aspects du métier. Cependant, j’ai remarqué qu’un dessinateur qui scénarise lui même ses BD a plus de mal à être reconnu comme scénariste que le scénariste qui ne fait « que » ça. Pourtant, je crois que la plupart des dessinateurs sont arrivés au métier parce qu’ils avaient envie de raconter des histoires, ils sont scénaristes, même s’ils n’écrivent pas, je pense qu’ils sont tous ou à peu près capables de scénariser une histoire. Maintenant, il pourrait y avoir un long débat sur ce qu’est le travail de scénariste. Un type comme Walthéry qui reçoit une histoire, qui ensuite la découpe, l’articule, souvent la dialogue et ne se dit pas scénariste. ça me paraît injuste.

Sceneario.com: Tu travailles beaucoup avec des amis ou des membres de ta famille, est-ce que c’est un choix ou un pur hasard ? et est-ce qu’ils t’influencent ?


Georges Van Linthout: Clairement un choix. Je ne pourrais pas travailler avec quelqu’un avec qui je ne pourrais pas boire un verre, manger, quelqu’un qui ne serait qu’une relation professionnelle.
On m’a déjà proposé de travailler avec des scénaristes renommés, j’ai refusé parce que, de un, je ne veux pas être un dessinateur de plus de ce scénariste et de deux, parce que j’avais le choix entre lui et un ami, en l’occurrence, Yves Leclercq, je n’ai même pas eu à réfléchir. Je me fous de la notoriété qu’untel ou untel pourrait m’apporter, si je fais ce métier c’est pour me payer la liberté de travailler avec qui je veux.
Attention, ça n’est pas forcément plus facile, il peut y avoir aussi des frictions. Mais le fait que ça soient des amis reste toujours le moteur principal, on peut se dire les choses franchement. Ça élimine également le côté concurrence que je déteste. Qui fait quoi ? À qui revient la paternité de cette série ? On s’en fout, c’est du travail entre amis, du coup ça passe moins pour du travail !
Qui ne rêverait pas de ce genre de manière de bosser ? On ne se farci pas un chef de bureau, un collègue casse-couilles ! Avec mon frère c’est plus une évidence qu’un choix. Je n’ imagine même pas ne pas travailler ensemble. Pas sur tout, bien sûr. Là, c’ est un peu spécial. On se connaît depuis tellement longtemps que pour pas mal de trucs, je n’ai pas besoin d’expliquer ce que je veux, il comprend tout de suite, et inversement. C’est sûr que tout ce que font ces frères et amis a une influence sur moi comme je pense que j’ai une influence sur eux.
Par exemple, j’ai un côté fignoleur, détail, que mon frère n’a pas forcément, quand on travaille ensemble, il se plie fatalement à ma manière de voir les choses. Lui, il a un côté spontané dans son dessin, un côté expressif que je n’ai pas, et bien là, je regarde sa manière de faire. Je sais que si je lui décris une scène brièvement et que je lui dit qu’un mec sursaute en hurlant, ça va être dix fois plus animé que si moi je le fais.

Sceneario.com: Quels sont tes projets actuellement ?


Georges Van Linthout:
1) Terminer Twins 3, ça c’est l’immédiat immédiat !

2) Leclercq et moi signons et allons commencer un album roman noir et blanc (crayon et lavis) chez Casterman. Un album de 74 pages sur le blues la vie d’un guitariste de blues, ses souvenirs. Sortie en janvier 2005. Ce sera un album plus dans l’esprit de « la nuit du lièvre ». C’est d’ailleurs suite à cet album qu’ Arnaud de la croix, directeur éditorial chez Casterman nous a demande de penser à un album roman. J’attendais ça depuis des années, ça va être le pied.

3) Je suis à la recherche de documentation pour écrire une histoire pour mon frère. Une histoire qu’il réaliserait en couleurs directes selon la technique qu’il utilise en illustration, c’est une technique et un graphisme assez impressionants.

4) Avec Didgé et Stibane, alors là c’est LE SCOOP : nous adaptons la série télé « Caméra café ». Nous avons donc rencontré Bruno Solo, Yvan le Boloch et Alain Kappauf, le directeur artistique. C’est très chouette, ça change un peu du monde de la BD. Nous allons sur le tournage bientôt. Le premier album en novembre 2003. On va se mettre la tête dans le guidon !

Sceneario.com: Tu travailles en Belgique, pays très orienté bd, aurais-tu eu le même parcours si tu étais en France, y’a t-il des différences au niveau des choix éditoriaux, ou autre ?


Georges Van Linthout: Je ne sais pas si mon parcours aurait été le même. En Belgique, il reste quand même une référence aux « anciens », à ce qui a fait l’école Belge, c’ est parfois un peu lourd ce rappel constant des « grands anciens ». Parfois j’ai l’impression que ce type de BD est un peu méprisée en France, mais plus par certains auteurs que par le public.
Il y a 20 ans, je pense que même si j’avais vécu en France j’aurais eu le même départ. C’est maintenant que les choses changent, les références sont plus larges, mangas, comic’s américains. Je remarque que chez beaucoup de jeunes auteurs on retrouve des caractéristiques graphiques du manga, ce sont des références qu’ils ont été puiser dans ce qu’ils regardaient par exemple à la télé quand ils étaient petits.
Moi, ce n’est pas du tout dans ma culture quoique j’estime que le manga a apporté une manière différente de raconter, il a permis aussi de créer des collections comme « Encrages », « Tohu bohu » des petits bouquins noir et blanc. Il y a toujours à prendre et à apprendre partout. Je remarque également une espèce de folie « héroïc fantasy » en France. Je trouve qu’on a affaire à des dessinateurs souvent virtuoses, mais je n’accroche pas à ce monde là, à la limite, je ne vois pratiquement pas la différence entre deux dessinateurs d’héroïc fantasy chez Soleil par exemple, je me perds dans le dessin. Peut-être les choix éditoriaux français ont-ils une tendance à moins se diriger vers la BD classique. D’ailleurs, ce terme est parfois synonyme de « ringard » pour certains.

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