Interview

Gauthier Langlois, historien et scénariste

Sceneario.com : Bonjour Gauthier Langlois. Vous êtes probablement encore un inconnu pour la plupart d’entre nous, alors… pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Gauthier Langlois : J’ai fait des études d’histoire et d’archéologie à Paris et à Toulouse. Puis, comme beaucoup de jeunes, j’ai travaillé plusieurs années sous contrat à durée déterminée. J’ai été archéologue dans diverses régions, et chargé d’études historiques dans l’Aude. A la recherche d’un emploi stable pour fonder une famille, j’ai passé le concours de professeur et j’enseigne actuellement l’histoire-géographie au lycée Jules Fil, à Carcassonne. Cependant, je continue à faire des recherches historiques.

Sceneario.com : Vous avez déjà écrit ou participé à différents livres historiques. Quels sont vos thèmes de prédilection ?

Gauthier Langlois : Je m’intéresse un peu à tout. Mais en tant que chercheur je me suis spécialisé dans l’histoire médiévale méridionale, l’histoire des techniques et les croisades. J’ai publié par exemple la biographie d’un des plus célèbres chevaliers du XIIIe siècle : Olivier de Termes. Vous trouverez un aperçu de ce personnage et de ces thèmes dans la BD L’Aude dans l’Histoire.  

 

Sceneario.com : Si je vous interviewe aujourd’hui, c’est justement parce que vous co-signez le scénario de cette bande dessinée, L’Aude dans l’Histoire, qui sort le 6 juin 2006. Comment s’est fait ce passage à l’écriture pour la BD ?

Gauthier Langlois : Alain d’Amato, fondateur d’une jeune maison d’édition, Aldacom, à Villeneuve-lès-Béziers, venait de publier L’Hérault dans l’Histoire et Le Gard dans l’Histoire, deux BD qui ont rencontré un fort succès local. Il cherchait un auteur pour faire la même chose dans l’Aude. Mon site internet « Paratge » ( http://paratge.chez-alice.fr ) lui a plu et il m’a contacté. Il se trouve que peu de temps avant j’avais écrit le scénario d’une adaptation illustrée pour enfants de l’histoire d’Olivier de Termes. Le livre n’a pas été réalisé, faute d’éditeur, mais cela m’a donné une première expérience, proche de l’écriture d’une BD. Aussi j’ai tout de suite accepté la proposition d’Alain d’Amato.

Sceneario.com : En combien de temps avez-vous écrit votre scénario ? Quelles étaient les limites qui vous ont été imposées ? (nombre de pages, périodes ou événements à traiter…) Comment avez-vous choisi les choses que vous y avez plus particulièrement développées ?

Gauthier Langlois : L’écriture d’une BD historique est un travail très long. Pour respecter les délais prévus initialement, soit 6 à 8 mois, j’ai partagé une partie du travail avec un ami, Dominique Baudreu, également historien et archéologue. Il en a assuré le quart. Mais finalement il nous a fallu plus d’un an pour boucler le scénario.

L’objectif était de rendre accessible l’histoire de l’Aude de la Préhistoire à nos jours, dans toute sa diversité, au public le plus large, de manière pédagogique et agréable, en respectant une certaine rigueur scientifique. Le respect de tous ces objectifs a été un véritable exercice d’équilibre. Pour ce qui est des faits historiques, l’histoire de l’Aude étant très riche, il était impossible de tout dire. Il a donc fallu faire des choix, sans négliger aucune période, aucun thème ni aucune zone géographique du département. Le premier principe retenu a donc été de développer quelques moments représentatifs dans chaque période chronologique, en privilégiant à chaque fois quelques lieux et thèmes. Le second principe retenu a été de choisir dans chaque séquence un ou plusieurs personnages servant de fil conducteur. Ceci afin de rendre l’histoire plus vivante et de donner plus de cohérence au récit.

Bien évidemment, une bande dessinée n’est pas un livre d’histoire et il a donc fallu adapter les connaissances historiques aux contraintes du support. Ainsi certains personnages et leur histoire sont parfois imaginaires. C’est le cas évidemment des personnages antérieurs à l’Âge du Fer, périodes pour lesquelles les sources écrites sont inexistantes. Mais même pour les personnages attestés historiquement, le récit est toujours une adaptation. Cependant, on s’est toujours efforcé d’être le plus fidèle possible aux connaissances que l’on a sur l’époque. Bref, de créer des histoires vraisemblables.

 

Le même esprit de rigueur et les mêmes nécessités d’adaptation ont inspiré le dessin. On s’est appuyé sur un grand nombre de documents historiques et sur les recherches les plus récentes pour reconstituer les lieux, les costumes… Mais il ne faut pas perdre de vue que notre connaissance du passé comporte beaucoup de lacunes. Il en est ainsi par exemple des costumes à la Préhistoire et au Haut Moyen Âge sur lesquels les sources sont très maigres et viennent d’autres régions que la nôtre. La déontologie de l’historien pousserait à ne rien dessiner… Au total les connaissances historiques s’organisent dans la bande dessinée de trois manières : le dessin, les paroles et les commentaires. Par le dessin nous avons essayé de restituer l’évolution du cadre de vie : les paysages, l’architecture, les costumes…

   Les dessins ne sont donc pas seulement l’illustration du texte mais sont porteurs de nombreuses informations complémentaires. Par les paroles des personnages nous avons essayé de rendre compte des relations sociales, des modes de pensées… Pour ces raisons, les paroles sont très souvent empruntées ou adaptées de sources authentiques ou au minimum rédigées dans l’esprit de l’époque et des personnages. Quelque fois même, des mots ou des paroles ont été laissées dans la langue de l’époque. On en trouvera la traduction en notes. Les commentaires sont destinés à situer les faits dans une perspective historique. Ils permettent en particulier d’insérer la vie des audois et les évènements qui se déroulent dans l’Aude dans une perspective plus large, régionale, nationale ou internationale.

Sceneario.com : Connaissiez-vous Claude Pelet (le dessinateur) avant ? Son travail ?

Gauthier Langlois : Non, j’ai découvert la qualité de son travail et la diversité des styles qu’il maîtrise grâce à sa première BD, le Gard dans l’Histoire, et à son site internet. (NDLR : http://www.pelet.net )

Sceneario.com : Avez-vous trouvé de suite dans son trait ce que vous souhaitiez pour porter votre récit ? Dans quelles mesures avez-vous dû vous adapter l’un à l’autre au cours de votre collaboration ? Comment celle-ci s’est-elle passée ?

Gauthier Langlois : Dès la première réunion nous étions d’accord sur les objectifs et la façon de travailler. Le scénario des premières planches achevé, Claude nous a proposé deux styles de trait. L’un, caricatural, un peu à la manière d’Astérix, l’autre, très réaliste. Nous avons pensé qu’un style réaliste était plus adapté aux objectifs pédagogiques de la BD.

Dans notre collaboration, plusieurs difficultés, que nous avions pourtant envisagées, ont surgi très tôt. La première est celle de la place. Malgré le choix de ne raconter que l’essentiel, notre scénario était encore trop riche en détails à dessiner, en bulles ou en commentaires. Le scénario d’une planche, Claude Pelet le développait sur une planche et demi. Nous avons donc sacrifié beaucoup de choses pour que la BD reste lisible et ne dépasse pas 50 planches.

La seconde difficulté est l’éloignement. Claude vivant à Lunel puis à Montpellier, Dominique et moi à Carcassonne, nous avons limité le nombre de réunions et avons beaucoup utilisé internet pour communiquer. Mais rien ne remplace le contact direct !


Le second visuel a été préféré au premier pour cette vignette

La troisième difficulté est liée à la reconstitution historique. Malgré une abondante documentation iconographique et des descriptions détaillées, il n’a pas toujours été facile pour Claude de comprendre ce que nous souhaitions. Des faits qui nous paraissaient évidents pour nous, historiens, ne l’étaient pas pour Claude, qui a dû recommencer plusieurs fois son travail. J’avais par exemple demandé à Claude de dessiner un mangonneau, une sorte de fronde géante utilisée au Moyen Âge pour envoyer des boulets de pierre. Trouvant l’image fournie inadaptée à l’angle sous la quelle il voulait la dessiner, Claude a dessiné une catapulte (voir visuels ci-dessus). Or la catapulte, fréquente dans l’Antiquité, n’est plus utilisée au Moyen Âge. Pour le non-spécialiste, ce fait est d’autant moins évident que l’on voit cet engin dans de nombreuses reconstitutions. Tout vient d’une erreur de l’architecte Viollet-le-Duc qui, au XIXème siècle, a dessiné une catapulte dans son Dictionnaire Médiéval. Et depuis, la catapulte fait partie de notre vision imaginaire du Moyen Âge, au même titre que l’huile bouillante et les oubliettes…

Sceneario.com : Ces premiers pas dans la BD vous ont probablement donné des idées… Avez-vous d’ores et déjà d’autres projets dans ce domaine ?

Gauthier Langlois : Oui, je souhaite notamment adapter à la BD la biographie de quelques personnages historiques.

Sceneario.com : Quel est le style de BD que vous aimez le plus ? Lesquelles ?

Gauthier Langlois : Je lis un peu tous les genres. De la science-fiction, avec les BD de Christin et Mézière (Valérian), Bilal, Bourgeon et Lacroix, Rodolphe et Léo… Du fantastique, comme La Quête de l’oiseau du temps. Des polars comme les BD de Van Hamme (XIII, Largo Winch…). Du western comme Blueberry, Jackson. Et même les mangas de mon fils qui est un passionné de ce genre. Et aussi les séries Corto Maltese, Giacomo C, Le moine fou, les Cités obscures, le Génie des alpages…

En matière de BD historique j’apprécie beaucoup et je recommande à mes élèves Carnets d’Orient de Ferrandez, les Passagers du vent de Bourgeon, Max Fridman de Giardino, Tramp de Kraehn et Jusseaume, le Sursis de Gibrat… Ces dernières BD sont pour moi un modèle. Un scénario bien ficelé, un dessin très soigné, des reconstitutions rigoureuses sur le plan historique. Mais surtout, les auteurs ont su parfaitement traduire l’ambiance, les mentalités et les rapports sociaux de l’époque, ce qui est sans doute le moins évident.

Sceneario.com : Vous êtes un grand utilisateur d’internet. Comment avez-vous connu le site Sceneario.com ?

Gauthier Langlois : Par hasard, en cherchant des renseignements sur la BD « La foire aux frisés », dont vous avez fait la critique. Le site m’a tout de suite séduit par la qualité et la richesse de ses informations.

Sceneario.com : Merci d’avoir bien voulu répondre à ces quelques questions. Bonne chance pour votre BD et pour vos futurs projets !

 

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