Interview

Fabien Vehlmann, scénariste de bandes dessinées

A l’occasion de la récente sortie du quatrième tome de la série Seuls (avec Gazzotti au dessin), quelques questions centrées sur son métier de scénariste de bande dessinée ont été posées à Fabien Vehlmann.

Sceneario.com : Parle nous de la conception d’un de tes albums : comment trouves-tu ta documentation, est-ce que tu envoies les pages une à une à ton dessinateur ou bien en une fois ?…

Fabien Vehlmann : La doc, je la trouve progressivement, au gré de mes lectures, de mes découvertes sur internet, etc… Et quand je pense tenir une idée, je précise mes recherches sur un sujet plus précis, souvent en allant en bibliothèque pour affiner tel ou tel point. Parallèlement, je discute beaucoup de l’histoire avec le dessinateur, pour être certain que le récit lui plaira, qu’il aura du plaisir à le dessiner : ça peut d’ailleurs orienter mes recherches de documentation. Par la suite, je vais écrire un synopsis, résumé de l’histoire que le dessinateur validera ou non et après, je passe au scénario lui-même, que j’écris d’une traite, pour avoir le loisir de retravailler certaines parties autant de fois qu’il le faut, je ne donne au dessinateur qu’un scénario achevé, quitte à ce qu’on retravaille encore ensemble certaines scènes pour les rendre plus efficaces.

Sceneario.com : Est-ce qu’il t’est déjà arrivé qu’un de tes dessinateurs n’aime pas un scénario que tu lui proposais ? Que se p-il dans ce cas-là ?

Fabien Vehlmann : Pour ce qui est des idées, c’est arrivé plein de fois et ça m’arrivera encore bien souvent ! L’idéal est que ce constat soit fait par le dessinateur le plus tôt possible : au moment où je lui soumets mes premières idées, ou encore au moment du synopsis. Ces étapes sont justement supposées servir de garde-fou, avant de me lancer dans l’écriture du scénario lui-même. Il m’est arrivé une seule fois de devoir réécrire un scénario complet, car le dessinateur n’avait pas osé me dire au moment du synopsis qu’il n’était pas complètement convaincu… Autant dire que désormais, je préviens mes dessinateurs de ne surtout JAMAIS avoir peur de me dire ce qu’ils pensent de mes idées : mieux vaut une petite vexation au tout début qu’une réécriture complète, qui est assez épuisante et démoralisante.

Sceneario.com : Tu as co-écrit le scénario d’un film, en 2008, celui de « Un Monde à Nous ». Que retires-tu de cette expérience, qu’est-ce qui change par rapport à un scénario de BD ?

Fabien Vehlmann : J’ai appris en particulier que les dialogues ne sont absolument pas les mêmes : au cinéma, un dialogue qui sonne "trop écrit" ou "faux" ne passera jamais, ça s’entend tout de suite, ça ne fait pas naturel. Alors qu\’en BD, on peut mettre des tartines de dialogue, parfois très "littéraires", les lecteurs l’acceptent généralement assez bien, ils voient ça comme un code de narration (même s’il ne faut évidemment pas en abuser). Une autre chose que j’ai apprise, c’est que le cinéma est très exigeant en matière de réécriture. On réécrit 3, 6, 10 fois la même histoire, autant de fois qu’il le faudra pour satisfaire tous les décideurs. C’est à la fois très positif, car ça permet d’améliorer des séquences, mais c’est aussi un peu asséchant au bout d’un moment : difficile de rester lucide sur une scène multi réécrite, d’en préserver toute la fraîcheur et le dynamisme initial.

Sceneario.com : Es-tu tenté par l’écriture d’un scénario de manga ?

Fabien Vehlmann : Si c’est manga dans le sens "dessiné à la manière japonaise", je ne pense pas (mais il ne faut jamais dire "fontaine je ne boirai pas de ton eau…", je me laisserai peut-être convaincre par un dessinateur !). Si c’est manga dans le sens d’un format 300 pages, d’une narration plus étalée dans le temps, alors peut-être bien que oui, mais il faudrait que je trouve un projet s’y prêtant. Parce que ça peut être un cadeau empoisonné, d\’avoir plein de pages à disposition : on peut se laisser aller à du remplissage, au lieu d’aller à l’essentiel de la narration…

Sceneario.com : Est-ce que des producteurs t’ont déja proposé une adaptation de tes bandes dessinées pour la télé ou le cinéma ?

Fabien Vehlmann : On a déjà eu des propositions pour les séries "Wondertown" et "Seuls", mais rien n’a encore abouti. C’est aussi un des traits de l’audiovisuel : les choses prennent beaucoup de temps à se mettre en place, il ne faut pas être impatient, surtout si on veut que l’adaptation soit bonne, ce qui n’est pas toujours le cas comme nous le démontrent moult séries animées…

Sceneario.com : Es-tu tenté par l’adaptation de tes bandes dessinées au format téléphone mobile, ce qui se fait de plus en plus ?

Fabien Vehlmann : Si c’est bien fait, et sans ajout indésirable (musique, bruitages, effets de caméras intempestifs), pourquoi pas, même si je préfèrerais autant une adaptation respectant le format initial (par exemple avec un e-book de taille A4, si les couleurs sont à la hauteur). Par contre, je ne m’interdis pas de réfléchir à des BD directement pensées pour le format I-phone, ce qui ne serait pas la même chose du tout. On verra si j’y arrive !

Sceneario.com : Aujourd’hui, dans le monde de la BD, beaucoup de gens parlent du danger de la surproduction et de la déferlante des mangas comme une menace sur la bande dessinée franco-belge. Que penses-tu de ça ?

Fabien Vehlmann : La surproduction reste de mise, à mon avis : il y a trop de BD éditées chaque année, et les libraires eux-mêmes ne peuvent plus suivre le rythme. Par contre, je pense que le phénomène Manga s’est stabilisé et que la nouvelle "déferlante" qui va secouer notre petit milieu est plus celle du numérique : difficile de savoir quels effets va avoir l’éclosion du marché internet sur le coût des livres, les ventes d’albums cartonnés, le prix de page pour les auteurs… C’est à la fois excitant et flippant, comme toutes les révolutions.

Sceneario.com : Cela fait en gros 10 ans que tu es un pro dans le monde de la BD, et tu as sorti une trentaine d’albums. Que retires-tu du temps passé ?

Fabien Vehlmann : Qu’on n’a jamais fini d’apprendre… J’aimerais pouvoir me reposer sur mes acquis, mais malheureusement, plus j’apprends à écrire, et plus je me rends compte de mes lacunes ! À la limite, j’étais beaucoup plus sûr de moi à mes débuts, quand j’étais "jeune et fou" et que le monde m’appartenait… Par contre, le point positif c’est que je me suis endurci à la critique, ou plutôt assoupli en fait : je ne suis plus malade à l’idée de ne pas plaire aux lecteurs, je suis devenu plus zen là-dessus. Après tout, si les gens n’aiment pas mon boulot, ce n’est pas très grave, ils peuvent tout à fait aller chercher leur bonheur ailleurs, je n’oblige personne à acheter ou lire mes albums !

Sceneario.com : Sais-tu précisément vers où tu veux orienter ta carrière, quels sont tes projets les plus fous ?

Fabien Vehlmann : Non, je n’ai pas de plan de carrière très précis. Je sais juste que je vais essayer de me mettre un peu plus en danger, en tentant des choses que je n’ai pas forcément encore faites; mais je ne sais pas encore lesquelles ! Je me laisse porter par les envies du moment, par mon instinct, et en général, les choses se font d’elles-mêmes.

Sceneario.com : Merci, Fabien…

 

Livres

Fabien Vehlmann, scénariste de bandes dessinées

Auteurs, séries ou albums liés.

Publicité