Interview

Entretien avec Serge Perrotin et Chami, auteurs de Terra Incognita

SCENEARIO.COM: pouvez vous vous présenter, présenter votre parcours professionnel ?


Serge Perrotin : Je m’appelle Serge PERROTIN. Je vis sur la côte vendéenne où j’enseigne à temps partiel tout en écrivant mes petites histoires. « Terra Incognita » est ma seconde série publiée. J’ai, auparavant, créé avec Gaël Séjourné la série Lance Crow Dog » publiée par les éditions Soleil.

Chami : Je m’appelle Bernard Jamilloux dit Chami, je vis moi aussi en Vendée où je
suis infographiste tout en dessinant la série Terra Incognita.

SCENEARIO.COM: Chami, peux tu nous raconter comment s’est fait ta rencontre avec Serge ?


Chami : J’ai rencontré Serge lors d’une rencontre d’auteurs organisée par Didier
Crisse, le courant est tout de suite passé car nous avions les mêmes pôles
d’intérêt, ainsi que la même culture BD. Serge m’a proposé un projet et
depuis je le suis à la lettre.

SCENEARIO.COM: tu es donc infographiste de profession. Tu es venu à la BD assez tard. Si jamais ça marche bien dans ce domaine, comptes-tu arrêter ton métier pour ne faire plus que de la Bande dessinée ?


Chami : Non, car j’ai besoin de contacts avec les gens, je ne me vois pas travailler
chez moi 24h/24. De plus, financièrement, un travail « normal » est moins
aléatoire.

SCENEARIO.COM: Serge, la décision de travailler avec Chami sur Terra Incognita ressemble à un coup de coeur ? Qu’est-ce qui t’a persuadé de travailler avec lui ?


Serge : La rencontre avec Chami fut d’abord un coup de cœur commun autour d’un livre. J’ai rencontré Chami lors d’une rencontre d’auteurs vendéens organisée par Didier Crisse. En regardant ses planches, j’ai constaté, un peu effaré, qu’il était en train d’adapter un roman que j’avais adoré : « Azteca » de Gary Jennings.
Effaré, car le bouquin en question est d’une densité incroyable qui nécessiterait une dizaine d’albums de BD pour en venir à bout. Je trouvais le pari gonflé pour un dessinateur débutant. Mais amusé par cette passion commune pour ce roman, et trouvant ses premiers travaux prometteurs, je lui ai proposé une collaboration sur un projet moins ambitieux qui traiterait également des cultures précolombiennes. Ce projet ne fut pas accepté par les éditeurs. Mais l’expérience fut très enrichissante et nous donna envie de persévérer.
C’est ainsi qu’est né « Terra Incognita ».

SCENEARIO.COM: peux-tu nous parler de Terra Incognita. Comment est née cette idée ?


Serge : Avant d’être une bande dessinée, Terra Incognita fut d’abord une nouvelle. Ce texte initial ne fut jamais publié mais il me permit de développer quelques réflexions sur cet animal étrange qu’est l’être humain. Le propos exposé dans Terra Incognita n’est pas particulièrement optimiste.
A l’époque, je ne pouvais m’empêcher de penser (et je le pense toujours) que l’être humain porte en lui une capacité d’oubli abyssal ; qu’il ne peut s’empêcher de répéter inlassablement, au fil des siècles, les erreurs de ses ancêtres. Imaginons en effet qu’une catastrophe terrible s’abatte subitement sur la planète Terre. Une apocalypse qui entraîne la destruction totale de l’espèce humaine. Imaginons maintenant qu’une « entité » quelconque arrive à sauver in extremis une poignée d’êtres humains en les projetant sur une planète inhabitée. Je suis prêt à parier qu’il ne faudrait pas longtemps pour que ces survivants oublient leur statut privilégié pour se taper sur la figure ; que leurs différences de sensibilités, de races, de religions prendraient vite le pas sur les impératifs de la survie.
Tout en faisant ce triste constat, je me disais qu’il serait cependant intéressant de voir évoluer cette bande de robinsons. D’autant plus si le groupe était composé d’une vingtaine d’hommes pour une seule femme… Des survivants qui n’auraient pas été choisi au hasard et qui s’apercevraient rapidement que ce nouveau jardin n’est peut être pas aussi édénique qu’on a bien voulu leurs faire croire… Des rescapés qui, enfin, seraient confrontés à une menace extérieure engendrée par la propre capacité d’oubli de l’être humain…

SCENEARIO.COM: en combien de tome est-elle prévue ?


Serge : C’est une trilogie.

SCENEARIO.COM: cette trilogie est-elle écrite depuis le premier tome ?


Serge : Oui, les synopsis des trois tomes ont été écrit dès le début.

SCENEARIO.COM: comme tu nous l’as dit, l’histoire débute avec 28 personnages; parmi eux, une seule femme ! Quelle est la raison d’un tel déséquilibre ?


Serge : Difficile de répondre à cette question sans dévoiler une partie de la trame du dernier album. Joker, donc.

SCENEARIO.COM: aujourd’hui, écologiquement parlant, la planète est en danger, ce thème est-il une source d’inspiration pour « Terra Incognita » ?


Serge : Pas vraiment. Nous sommes, bien sûr, sensible à cette thématique et atterrés par les outrages répétés inlassablement contre notre bonne vieille terre. Mais plutôt que de mettre en scène la destruction d’un monde, nous voulions plutôt nous projeter vers un futur hypothétique qui mettrait en scène une renaissance. Un nouveau départ qui ne pourrait être qu’incertain et dramatique…



SCENEARIO.COM: as-tu été influencé par des oeuvres telles que « La planète des singes » ou des destins apocalyptiques tels que « Métropolis » etc..?


Serge : Je n’ai vu pas le « Métropolis » de Lang. Par contre, la séquence finale de la « Planète des singes » m’a effectivement beaucoup marqué. J’étais très jeune à l’époque et la vision de Charlton Heston découvrant la statue de la liberté m’avait incroyablement ému. Je découvrais que l’être humain pouvait être la cause de sa propre perte. Je n’ai pas pu m’empêcher de glisser un clin d’œil à ce final dans celui du tome 2.

SCENEARIO.COM: pourquoi avoir choisi une civilisation aux influences précolombiennes comme seule survivante dans ce futur ?


Serge : C’est certainement lié à notre passion commune pour ces cultures et au destin tragique qui accompagna leur chute. Ce sont des civilisations fascinantes qui avaient atteint un haut degré de connaissances. Certaines ont fait preuve d’une grande ingéniosité dans la construction de leurs cités, l’élaboration de leur écriture ou la beauté de leur artisanat. Elles ont également fait preuve d’un grand raffinement dans l’art de la guerre et des sacrifices religieux. Rituels qui horrifièrent les premiers conquistadores. On retrouve certains de ces aspects dans « Terra Incognita » car ces civilisations sont une source inépuisable et pourtant peu connues de notre monde occidental.

SCENEARIO.COM: Chami, pour réaliser les décors, te documentes-tu ? Travailles-tu à partir de photo ?


Chami : En fait, très peu car le décor doit être inspiré par l’architecture et
l’ambiance précolombienne mais historiquement c’est dans 30 000 ans donc
forcément avec des décalages. Par contre dans le tome 2, la place San Marco
de Venise est dessinée d’après photo.

SCENEARIO.COM: le premier tome de Terra Incognita avait été édité chez feu Nucléa2. Maintenant vous êtes chez Théloma. Avez vous eu du mal à trouver un nouvel éditeur ? Est-ce que Théloma vous a laissé le champ libre ?


Serge : Le passage de Nucléa² chez Théloma fut, somme toute, assez rapide si l’on considère que Nucléa² a cessé son activité en Septembre 2004 et que nous avons signé chez Théloma en décembre de la même année. Nous avions également eu des propositions de deux autres éditeurs. Nous sommes très heureux de notre choix. Théloma nous fait confiance et nous laisse toute latitude de développer notre histoire et notre travail jusqu’à son terme. Ce qui n’est pas toujours le cas chez certaines maisons d’éditions de taille plus importante.

SCENEARIO.COM: comment vous organisez-vous pour travailler sur cette BD ? Vous travaillez chacun chez vous ? En studio ?


Serge : On travaille chacun dans notre tanière. Lors de la réalisation du premier album nous nous voyions cependant toutes les semaines afin de bien se « caler » sur le même projet. Il faut dire que nous habitons tous les deux en Vendée, à 15 mn en voiture, ce qui facilite grandement le lancement d’une collaboration. Nous continuons à nous voir régulièrement mais pas toujours pour des raisons artistiques. Elles sont aussi bien liées aux nécessités de l’histoire et à la vie des albums en librairie qu’à celles de la 3ème mi-temps…

SCENEARIO.COM: Chami, peux-tu nous expliquer ta technique de travail ? Comment t’organises-tu ? Quel matériel ou logiciel utilises-tu ?


Chami : J’ai une démarche très classique : j’ai le scénario de Serge page par page
avec déjà un découpage de case dans chaque page. Je storyboarde par rapport
à ces données, souvent je change un peu le découpage de Serge. Je fais mes
croquis et les redessine sur ma planches grâce à une table lumineuse.
Avant l’encrage je montre à Serge, c’est la partie la plus intéressante, il
est d’accord ou pas sur mes changements si il y en a. Chacun défend son
bout de gras (parfois on en arrive aux mains). Après j’encre soit à la
plume, au Rotring, au pinceau ou avec un feutre noir selon les besoins du
trait.

SCENEARIO.COM: est-ce que Serge te laisse le champ libre pour le dessin, ou est-il plutôt directif ?


Chami : Il me laisse le champ libre du moment que le dessin serve au mieux
l’histoire.

SCENEARIO.COM: quelles sont tes influences pour le dessin ? Le dessin de Terra Incognita représente-t-il ton style de prédilection, où l’a tu adapté à l’ambiance et à l’histoire ?


Chami : Mes dessinateurs préférés : Herman, Giraud, Swolf… Mais mon style
d’instinct est plus proche de Tota, j’ai dû changer, faire un dessin moins
carré pour Terra, il correspondait mieux avec l’ambiance de Terra.

SCENEARIO.COM: le festival Abracadabulles va bientôt avoir lieu. Serge tu en es toujours l’un des organisateurs ? Peux-tu nous dire quelques mots sur cette édition 2005 ?


Serge : Je suis toujours membre de l’association Abracadabulles même si je m’y investi moins que par le passé. Je continue cependant à donner un coup de main pour la programmation. L’année 2005 devrait être un bon cru car nous accueillerons les 25 et 26 Juin une trentaine de dessinateurs dont : BALLAND – BONNET – LE FLOCH – MANGIN – CAZA – MARTIN – CECILE – MENVIELLE – CHAILLET – MICHAUD – CHAMI – MIGUEL – CRISSE – PATY – CUZOR – PEYNET – DAMOUR – PERROTIN – DAV – ROUDIER – DERMAUT – SEJOURNE – DU PELOUX- SUPIOT – GAUDIN – TRICHET – GUERINEAU – WYLLOW – HUB… Une vingtaine de dessinateurs de fanzines seront également présents.

SCENEARIO.COM: vous allez y concocter quelque chose de spécial pour Terra Incognita ?


Serge : Terra Incognita sera effectivement à l’honneur car on trouvera sur le festival un ex-libris spécialement édité pour l’occasion. Les amateurs de vins de Brem pourront également repartir avec une (ou plusieurs) bouteilles aux couleurs de notre héroïne.

SCENEARIO.COM: quels sont vos projets pour l’après Terra Incognita ? D’autre collaboration en vue ?

Serge : Il faut d’abord dire que le tome 3 marquera la fin de l’histoire. Une vraie fin sans possibilité de suite. Il n’est cependant pas impossible qu’un deuxième cycle estampillé « Terra Incognita » voit le jour. Nous aimerions en effet reprendre certains thèmes du premier cycle (une terre inconnue, le voyage dans le temps, les peuples amérindiens…) et les approfondir en les éclairant d’un jour nouveau. Nous ne retrouverions aucun des personnages du premier cycle. Ou alors seulement un descendant (ou un ascendant) d’Erwan le Naëc, le personnage principal, et qui aurait les traits de celui-ci. Un peu comme l’avait fait, autrefois, Sirius, avec sa saga des « Timour ».

SCENEARIO.COM: comment décririez vous le public de Terra Incognita ? A qui s’adresse cette BD ?


Serge : C’est une histoire pour ado-adultes. Lors des dédicaces, ou de certaines interventions que l’on peut faire en collège, on se rend compte que les adolescents réagissent plutôt bien et se sentent interpellés par le destin des personnages.

SCENEARIO.COM: a-t-elle selon vous trouvé ce public ?


Serge : On aimerait, bien sûr, que son public soit le plus large possible. Mais on a eu la chance que le tome 1, à l’époque de Nucléa², ait trouvé assez vite son public, comme vous dites. Ce qui a certainement facilité la reprise ultérieure de la série.

SCENEARIO.COM: auriez vous une petite info exclusive à nous livrer sur le tome 3 pour Sceneario.com ?


Serge : Nous voudrions juste dire aux fans transis de la pauvre Jezabel qu’ils ne désespèrent pas trop. Nous lui avons certes fait subir un traitement de choc irréversible dans le tome 2. Mais il ne faut pas oublier que la licence poétique et la providence peuvent parfois avoir de la compassion pour les âmes en peine. En tout cas, certainement pour celle du malheureux Erwan le Naëc…

SCENEARIO.COM: pour quand est prévu le tome 3 ? Y aura-t-il une édition spéciale ? Un coffret ou autre ?


Serge : La sortie du tome 3 est prévue autour de l’été 2006. Nous ne savons pas encore si cet album sera accompagné, comme pour le T2, d’un tirage de luxe en N&B. Par contre, Théloma sortira certainement pour Noël un coffret regroupant les trois volumes, accompagnés d’un ex-libris numéroté-signé.

SCENEARIO.COM: rendez-vous est pris alors pour l’année prochaine pour la suite et fin de cette aventure…




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