Interview

Entretien avec MIYA en attendant le T3 de sa série Vis-à-vis aux éditions Pika

Sceneario.com : Bonjour Miya ! Vous êtes une toute jeune dessinatrice de manga que l’on connaît grâce à la série Vis-à- vis publiée aux éditions Pika. Le dessin est-il « votre truc », votre passion, depuis toujours ou est-ce une culture axée manga reçue pendant votre enfance qui vous a fait prendre les crayons et vous essayer vous aussi aux standards de la BD japonaise ? Racontez-nous donc un peu votre parcours artistique…

Miya : Durant mon primaire, je prenais déjà des cours de peinture, j’aimais vraiment ça ! Je dessinais des paysages à la peinture à l’huile, j’avais l’impression de manipuler du matériel précieux ! En matière de BD, je connaissais les classiques tels les Schtroumpfs, Lucky Luke ou Yakari, mais pour autant ils ne m’avaient pas donné envie de faire de la BD. C’est à l’âge de 12 ans, lorsque j’ai lu mon premier manga papier, Fly (Dragon Quest), que j’ai vraiment eu le déclic pour dessiner des histoires sous forme de manga. Au début, je recopiais des styles de manga connus et très vite je suis passée à mes propres personnages. J’ai continué à dessiner tous les jours du manga, la progression s’est faite naturellement. Vers 16 ans, j’ai créé mon fanzine avec des amies, qui s’appelait Carte Blanche. En sortant d’un bac scientifique, j’ai voulu me lancer dans les arts et je suis allée à l’ école Emile Cohl de Lyon car l’animation m’intéressait aussi et ils le proposaient dans le cursus. J’en suis sortie avec un diplôme d’illustratrice infographiste en 2005. Pendant ces 4 ans d’études, je n’ai pas du tout dessiné de manga en cours, mais ça ne m’a pas empêché de signer chez Pika mon premier manga en 2006…

Sceneario.com : Vis-à-vis est un shojô, une lecture qui s’adresse plutôt aux jeunes filles. Comment vous est venue l’ idée de l’histoire, et à quel moment vous êtes-vous dit : « Oui, ça y est, je la tiens : cette histoire va marcher ! » ?

Miya : Je crois que c’est d’abord le personnage d’Elodie qui est venu, même si elle était brune avec des lunettes au départ ! Le fait que ce soit l’histoire d’une jeune femme qui doit se débrouiller à Paris avec des petits boulots, c’est ce qui est venu en premier… Il me semble que ce sont les personnages qui ont construit l’histoire. Quand au côté « mode », ça c’était pour me faire plaisir, je voulais apporter une touche de rêve et de féerie car j’aime le dessiner, et je crois que mes lectrices craquent aussi sur ce côté « girly » !!!

Sceneario.com : Aviez-vous dès le départ conçu votre histoire du début à la fin ou bien le scénario est-il toujours resté ouvert à des modifications, des changements, voire une autre fin ?

Miya : J’avais le début et la fin, la conclusion est toujours restée la même dans ma tête depuis la première page. Le milieu était prévu pour être assez malléable. Prévoir une fin que j’aime, c’est ce qui me motive aussi à avancer ! Je suis comme une lectrice : j’ai très envie de voir ce que ça donne ! Ah ah!

Sceneario.com : Vis-à-vis devrait se clôturer avec le tome 3. Une série courte de trois tomes, pour commencer, c’est déjà un sacré boulot, avec plus de 600 pages ! Bravo ! Que retiendrez-vous, pour vos futures réalisations, du travail que vous avez fourni, du rythme que vous avez tenu et des contraintes qu’ils ont générées ?

Miya : Que toute seule, ça m’a pris du temps à trouver mon propre rythme ! Je retiens qu’il me faut un cadre de travail fixe, c’est-à-dire des horaires « de bureau » et un lieu de travail. C’est mon caractère qui veut ça. D’autres auteurs préféreront n’avoir pas de contraintes, ou travailler la nuit…
Je pense que pour un prochain manga, il faudra revoir aussi mon côté perfectionniste si je veux être un peu plus rapide, c’est-à-dire peut-être mettre moins de trames, car ça me prend beaucoup de temps et parfois certains détails sont un peu inutiles.

Sceneario.com : Les lecteurs qui viennent vous faire dédicacer vos livres ont le plaisir de repartir avec de bien beaux dessins en couleurs. Est-ce un regret pour vous de ne pas pouvoir coloriser vos planches ? Envisagez-vous un jour de travailler en couleurs sur d’autres bandes dessinées ?

Miya : Ce n’est pas un regret car manga ne rime pas avec couleur. Je voulais faire un manga, donc j’étais prête à faire du noir et blanc ! Et 600 pages en couleurs, je pense que je me serais tapée la tête contre les murs ! Ah ah ah !!! Ca m’a d’ailleurs beaucoup appris, travailler en gris, c’est apprendre à gérer les contrastes, c’est la base de la couleur finalement… C’est sûr qu’au bout d’un moment, j’ai envie de faire de la couleur mais il faut savoir être patient, chaque chose en son temps, et les dédicaces me permettent cette évasion. J’envisage effectivement de faire un jour une BD en couleurs, ça me plairait beaucoup !

                           

Sceneario.com : Comment s’était passée votre recherche d’éditeur ? Car des maisons d’éditions accueillant des mangakas français, il n’y en avait pas forcément des masses, à l’époque où vous cherchiez, non ?…

Miya : Oui, mais finalement c’était la meilleure période car les maisons d’édition cherchaient et n’avaient pas encore le flot de propositions qu’elles ont aujourd’hui. Je suis arrivée prête graphiquement sur « le marché » au moment où Pika cherchait des auteurs français. Je n’ ai donc pas attendu longtemps la réponse de Pika suite à un mail dans lequel j’avais envoyé quelques planches et quelques dessins. Nous nous sommes rencontrés rapidement avec Pierre Valls, le directeur de collection, et avons préparé les bases de Vis-à-Vis. Il m’a quand même fallu presque un an pour convaincre et signer pour Vis-à-vis suite à ce premier contact !

Sceneario.com : Votre éditeur a-t-il demandé à ce que soient modifiées des choses par rapport à votre scénario d’origine ou à votre dessin ?

Miya : Effectivement puisque je n’étais pas arrivée avec Vis-à-vis mais avec un autre scénario, plus fantastique. La ligne éditoriale de Pika étant de publier du manga français se passant en France (ou à la rigueur en Europe), j’ai dû mettre cette histoire de côté. Ce n’ était pas vraiment un problème pour moi du fait que depuis l’âge de 12 ans j’avais dû imaginer des centaines d’histoires en tous genres, notamment du shôjo contemporain de notre époque. J’ai donc proposé 2 autres synopsis et celui de Vis-à-vis a été retenu. J’ai ensuite élaboré le storyboard et nous avons fait des séances de travail avec Pierre Valls pour voir ce qui pouvait être amélioré. Une fois les bases posées, il m’a laissé suivre ma route !

Sceneario.com : Les éditions Pika ont été un des promoteurs du manga français, notamment en publiant Reno Lemaire dont la série Dreamland connaît un certain succès. Pensez-vous que Vis-à-vis a répondu à une volonté de l’éditeur d’équilibrer son catalogue en proposant, face au shônen Dreamland, votre shojô Vis-à-vis ?

Miya : Je pense qu’effectivement Pierre Valls a choisi 4 dessinateurs français complètement différents (Reno Lemaire, Moonkey, Vald et moi-même) afin d’avoir des œuvres qui ne se ressemblent pas entre elles. Nos manga correspondent à nos styles et ainsi nous ne sommes pas en concurrence les uns avec les autres. Il y a une vraie entente entre nous, et c’est vraiment super de pouvoir s’envoyer nos planches, se donner nos avis, se soutenir… En créant cette diversité, je pense qu’il touche tous les publics et c’est le rôle de tout bon éditeur !

Miya sur le stand Wacom à Angoulême en janvier 2010                            Miya sur le stand Wacom à Angoulême en janvier 2010

Sceneario.com : Vous figuriez donc parmi les pionniers de la première vague du manga français… La place fut-elle dure à se faire ? Et est-elle dure à tenir ?

Miya : Je ne me vois pas trop « à une place » car je ne fais pas que du manga. Je fais aussi de l’illustration, un peu d’infographie, j’ai envie de faire de la BD… Contrairement aux mangakas japonais, je pense qu’on est plus polyvalent. Je m’aperçois pourtant bien des espoirs que je représente pour la nouvelle génération de dessinateurs, il y a beaucoup de jeunes qui veulent devenir mangaka et qui viennent me voir pour avoir des conseils. Il faut les soutenir dans leur rêve sans pour autant leur mentir : il y a peu de débouchés aujourd’hui. Effectivement, ce n’est pas facile pour nous autres auteurs français de creuser notre trou dans le flot de manga publiés, car c’est un boulot énorme, et la concurrence nippone est rude. On met pas mal de temps à sortir un tome alors que certains manga sont traduits en 2 mois. Mais le succès de Reno Lemaire montre bien qu’il y a un public pour le manga français en France. Je pense qu’il ne faut pas avoir peur de faire du manga à notre sauce, les lecteurs peuvent s’y retrouver, on ne sera jamais japonais de toute manière !!!

Sceneario.com : Qu’est-ce qui selon vous peut faire passer au manga français des lecteurs friands au départ de manga japonais ? Qu’est-ce qui selon vous fait la qualité d’une bonne série manga ?

Miya : Une bonne série manga, c’est avant tout une bonne narration. On peut avoir un dessin superbe et s’ennuyer à mourir à la lecture, ou avoir un dessin avec quelques erreurs mais si la narration vous prend, c’est sûr que vous aurez envie de lire la suite ! Et ça, c’est valable dans tout type de BD ou de manga… Pour moi, il n’y a pas de frontières si la narration est bonne, l’histoire sympa, les personnages attachants… Je pense qu’on se fiche alors de la nationalité de l’auteur. C’est sûr qu’on a nos influences européennes, et du coup je pense que le manga français va aller doucement vers un style hybride qui correspond à ma génération et à toutes ses influences. Ce sera peut être un nouveau style, ni complètement BD, ni complètement manga, mais juste un beau métissage !

Sceneario.com : Quelles sont vos BD favorites ? (En manga, mais aussi en franco-belge)

Miya : J’aime beaucoup Pico Bogue en ce moment ! Je craque rarement sur des BD, mais là j’ai tout de suite été attirée par la couverture et l’intérieur ne m’a pas déçue. En manga, j’aime Paradise Kiss de Ai Yazawa, la narration dAdachi , le nouvel Angyo Onshi qui est un manhwa, et j’ai été assez marquée par ma lecture du Sommet des Dieux de Taniguchi… Sinon, je suis une mangeuse de shojo en tous genres !

Sceneario.com : Où en êtes-vous du troisième tome de Vis-à-vis et avez-vous déjà quelques idées de projets pour « après » ?

Miya : Il est parti au maquettage ! J’attends les retours et il sera lancé en imprimerie… Je suis très fière de ce troisième tome, je me suis beaucoup amusée ! Oui j’ai des idées, notamment reprendre le projet fantastique initial, Souvenirs Perdus, avec sa scénariste Samantha Bailly. Ce sera peut être un projet couleur, mais nous ne savons pas s’il trouvera éditeur à son pied… A suivre, donc !

Sceneario.com : A suivre, oui ! Merci d’avoir pris le temps de répondre à ces quelques questions ! Bonne chance pour la suite, alors, et à bientôt !

Miya : Merci à vous !

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