Interview

Entretien avec Marc Bourgne

Les Pirates de Barataria

Scénéario : Les pirates de Barataria , c’est de la grande aventure avec des corsaires, des espions. De la politique et des femmes superbes. Vous développez votre scénario sur un fond historique très précis, l’histoire des frères Lafitte.

Marc Bourgne : Oui, les frères Lafitte ont véritablement existé. Ils avaient installé leur république dans les bayous de la Nouvelle Orléans : Barataria.
François Bourgeon avait hésité à l’idée d’en faire une bande dessinée, il cite d’ailleurs Jean Lafitte dans les Passagers du vent.

Scénéario : Allez vous suivre l’histoire des deux frères jusqu’au bout?

figure de proue

Marc Bourgne : oui, si le succès et surtout les lecteurs sont au rendez-vous, nous irons jusqu’au bout de cette histoire des frères Lafitte, du moins jusqu’à la fin de la guerre Anglo-américaine de 1812.
Ils finiront par se transformer en héros américains alors qu’au départ, ce ne sont que des pirates. C’est pour cela que Jean Lafitte est plus connu aux Etats Unis qu’en France où les deux frères sont quasiment inconnus à part des vrais amateurs de piraterie, car Jean Lafitte est le dernier des grands pirates.
Il faut savoir que cette histoire se passe 100 ans après la fin de la période de la grande piraterie, mais il est connu aux Etats Unis pour avoir fini après moult hésitations par s’engager dans la seconde guerre contre les anglais.

Scénéario : Le choix de la Louisiane et de l’époque fin XVIIIème sont propices aux intrigues, on navigue entre la flibuste, la politique et l’espionnage. Mais vous abordez aussi la question de l’esclavage.

Marc Bourgne : On l’abordera surtout dans le troisième tome. Dans ce premier tome, je ne fais que l’évoquer par manque de place, mais il faut savoir que les frères Lafitte ont fait la traite des noirs. Ils s’emparaient de bateaux espagnols ou anglais et sur certains de ces bateaux, il y avait des esclaves. Ils ne les libéraient pas, ils les revendaient, donc ce n’étaient pas des gens très recommandables.

Scénéario : Comment préparez vous le scénario, en termes de reconstitution, de recherches, et ma question serait aussi valable pour le dessin de Franck Bonnet, précis de la robe au bateau.

Marc Bourgne : A mon avis, Franck dessine les plus beaux bateaux de la bande dessinée avec ceux de Pellerin et de Bourgeon. Ses bateaux sont superbes et absolument véridiques.
Il possède des maquettes qu’il a construites lui-même durant ces deux dernières décennies. Il a notamment 4 ou 5 maquettes de 1,5 à 2 mètres de haut de cette époque.
D’où l’idée que j’ai eue de lui écrire un scénario sur mesure sur cette époque, le début XIXème.
Cela faisait longtemps que l’on avait envie de retravailler ensemble, nous sommes très copains et j’avais collaboré avec lui sur le scénario de<I> Vell’a</I>. Je lui ai donc écrit ce scénario sur mesure pour qu’il puisse dessiner les bateaux qu’il aime.

A l'abordage

Scénéario : Entre l’alaska et la mer, c’est l’amour ou le besoin des grands espaces qui s’exprime dans vos albums ?

Marc Bourgne : Les deux, l’amour et le besoin. J’aime bien voyager et je voyage pas mal. Je ne suis jamais allé en Alaska ni à la ouvelle Orléans, je connais les Etats Unis et le Canada et j’aimerais vraiment connaitre la Louisiane, c’est un peu un rêve. En attendant, nous travaillons beaucoup sur documentation.

Scénéario : Les personnages féminins me semblent avoir plus de relief que les personnages masculins, ceci soit dit sans malice car il est vrai que leur plastique est très agréable. Mais pourquoi leur avoir donné cette place et cette liberté qui n’est pas trop fréquente dans les récits de pirates ?

Marc Bourgne : Au départ, le premier titre lorsque j’ai commencé à réfléchir à cette histoire était les flibustières ou quelque chose comme ça.
L’idée était de faire une histoire avec des femmes pirates, et puis finalement les personnages masculins ont pris eux aussi de l’importance, notament Jean Lafitte, même s’il reste un personnage secondaire.Sans aucun doute, personnages principaux des Pirates de Barataria sont les personnages féminins.
C’est un petit peu l’originalité de cette série, puisque finalement c’est une histoire de pirates très classique avec tous les ingrédients nécessaires à une grande aventure, sauf le lieu : la Nouvelle Orléans qui est assez original pour une histoire de piraterie et aussi l’époque, fin XIXème. Et puis j’aime bien écrire des histoires de personnages féminins et Franck aime bien les dessiner.

Catherine Villard

Inga Schott

artemis

Scénéario : Il y a deux types de personnages féminins très marqués dans l’album. Catherine Villard, Femme libérée et Corsaire ou Inga Schott espionne tout aussi libérée et Artemis, femme fragile et qui, même si elle est le pivot de l’histoire, fait plutôt potiche pour l’instant.

Marc Bourgne : Catherine Villard a rééllement existé, c’était la maitresse de Jean Lafitte, mais elle ne commandait pas un navire pirate, c’est une des libertés que j’ai prise avec l’histoire.
Inga Schott est prusienne , diabolique et sadique.
Artémis, quant à elle, a 16 ans, elle a un secret et c’est pour cela qu’elle a fuit Paris en 1812 aidée par les autorités. Pour quelle raison, on ne sait pas, mais elle dissimule un secret et elle se cache à la Nouvelle Orléans. Catherine Villard, intriguée aimerait bien connaitre ce secret.
On va découvrir au fur et à mesure des albums et déjà à la fin de ce tome qu’elle est moins potiche, moins innocente et douce qu’elle n’en donne l’impression.
L’idée, c’est de la faire devenir au fur et à mesure de l’histoire une femme pirate. Souvent dans les récits initiatiques, c’est l’histoire d’un jeune garçon. Là c’est une jeune femme.

Scénéario : Pourquoi avoir choisi le titre de Pirates plutôt que corsaires, les personnages sont plutôt susceptibles sur cette appellation?

Marc Bourgne : Jean Lafitte et son frère se considéraient comme des corsaires parce qu’ils possédaient des lettres de course qui leur avaient été attribuées par la république de Carthagène. République tout à fait éphémère et qui ne représentait pas grand chose, elle donnait des lettres de course un peu à qui les voulait et elles n’avaient pas grande valeur comparées aux lettres de course données par l’empire français ou britannique.
Donc, eux se considéraient comme des corsaires, mais en fait c’étaient des pirates tout simplement. Ils attaquaient les navires espagnols car ils avaient des lettres de course de Carthagène qui avait pris son indépendance par rapport à l’empire espagnol, ils estimaient avoir le droit légal d’attaquer les navires espagnols et les navires anglais car le président américain leur en avait donné l’autorisation officieuse, ils étaient encore en guerre contre l’angleterre.

Scénéario : Vous nous rappelez que la vie des flibustiers ne se limitait pas à naviguer et à piller les autres navires, ils pouvaient également avoir une vie sociale importante et pratiquaient la flibuste comme d’autres vont exploiter des champs de coton.

La forge des freres Lafitte

Marc Bourgne : En tout cas c’est le cas des frères Lafitte à la Nouvelle Orléans. La situation des deux frères était particulière, ils avaient des commerces, une forge, une boutique. Ils faisaient du commerce, mais surtout de la contrebande.
Ils profitaient aussi du fait que la Louisiane qui appartenait aux Etats Unis n’était pas encore un état. Au moment où cette histoire débute, les Lafitte ont commencé à s’installer à Barataria et à monter une flotte de navires.
La législation était très floue à la Nouvelle Orléans à cette époque, ils en ont profité.<br>
Ils avaient une façade de respectabilité. Tout le monde savait, les autorités de Louisianne savaient qu’ils commettaient des actes de piraterie, mais en même temps ils faisaient tourner le commerce.
Ils avaient le soutien de la population française de la Nouvelle Orléans alors qu’ils étaient détestés par les anglais. En plus les deux frères sortaient avec des quarteronnes, les deux soeurs Villard. Ils jouaient sur les deux tableaux et surtout ils vont se faire arréter par les autorités américaines on verra cela dans le tome 3.

Scénéario : Vous alternez les fonctions de scénariste et de dessinateur avec autant de bonheur que de talent, mais comment se font vos choix d’association avec d’autres scénaristes où dessinateurs lorsque vous ne travaillez pas en solo?

L'été

Marc Bourgne : Je choisis des scénaristes qui peuvent m’apporter quelque chose, ceux qui me proposent un scénario que je n’aurais pas pu écrire moi-même, sinon ce ne serait pas trop interressant. L’idée de travailler en collaboration avec quelqu’un c’est de s’apporter mutuellement quelque chose, de s’enrichir l’un l’autre.
Il y a des scénaristes que j’aime lire en tant que lecteur, car je suis un gros lecteur de bande dessinée avant d’être auteur, des scénaristes dont j’aime lire les histoires et avec qui du coup j’ai envie de travailler. Je me dis qu’on a des univers communs ou des thèmes qui nous rapprochent.
J’ai très envie de retravailler avec Christian Perrissin, car j’aime son travail et je serai incapable de faire aussi bien que ce qu’il fait dans son domaine,et cela va se faire surement, parce que je me suis très bien entendu avec lui quand il faisait Barbe Rouge.
C’est un scénariste dont j’adore le travail, j’achète ses albums et je les dévore.
Les dessinateurs c’est pareil, j’ai choisi VoRo pour <I>l’été 63</I> parce qu’il dessine avec beaucoup plus de sensibilité que je n’aurai été capable de le faire moi-même. Les critiques disent que j’ai un dessin efficace, mais il manque d’âme, de sensibilité. Il est parfait pour les thriller, pour les récits d’aventure, il sera beaucoup moins sensible, beaucoup moins approprié à un récit tel que <I>L’été 63</I>. Il apporte quelque chose que je n’ai pas moi.<br /> C’est pareil pour Franck. Il est vrai que pour les <I>Pirates de Barataria</I>, c’est un peu différent parce que je l’ai écrit spécialement pour lui, donc je n’ai même pas envisagé de le dessiner. Mais en même temps, il dessine des bateaux, il a une force dans son encrage et il a un sens du mouvement que je n’ait pas. Il dessine <i>Les pirates de Barataria </i> mieux que je n’aurais su le faire moi même

Scénéario : Malgré Barbe Rouge ?

Barbe rouge

Marc Bourgne : J’étais vraiment content de ce que j’avais dessiné dans le dernier <I> Barbe Rouge</I> que j’ai fait, mais mes bateaux sont moins beaux que ceux de Franck et d’ailleurs, Patrice Pellerin était horrifié par mes bateaux, il me l’a dit amicalement parce que c’est un copain. Je l’ai accepté sans problèmes, d’abord parce que Patrice est quelqu’un d’adorable et quand il critique vos bateaux, vous vous taisez parce qu’il a raison.

Scénéario : Qui a eu cette idée du magnifique poster au dos de la couv ?

Le poster

Marc Bourgne : L’idée de la jaquette vient de l’éditeur. Ils ont repris la dernière planche de l’album puisque c’est un dessin pleine page.
Ils ont fait cela sur un certain nombre de séries à l’occasion des quarante ans et nous on a eu droit à cette jaquette. Il y en aura d’autres très belles pour les tomes 2 et 3. Franck dessine de mieux en mieux cette série, c’est un régal de recevoir ses planches.

Scénéario : Comment travaillez vous avec lui ?


Marc Bourgne : je travaille le scénario de l’album en 4 parties, je fais les 11 ou 12 premières pages et je lui envoie, mais uniquement sous forme de texte. Je ne lui envoie pas de storyboard.
C’est lui qui fait la mise en page, c’est le travail du dessinateur.
Je pourrais le faire et d’ailleurs je le fais pour moi, car la première ébauche d’un scénario, c’est le storyboard. J’ai besoin d’imaginer le scénario sur une planche, graphiquement. Mais mon storyboard je ne le montre pas à Franck. Je le retranscrit en texte avec des indications précises, mais pas trop pour ne pas le brider, parce que moi-même en tant que dessinateur je n’aime pas quand un scénariste me donne trop d’indications.
Le travail du dessinateur c’est de faire le storyboard, après je leur demande de m’envoyer leur crayonné pour vérifier qu’ils ont bien compris ce que je voulais.

Scénéario : Ils interviennent sur le scénario?


Marc Bourgne : Sur le découpage, ils peuvent intervenir autant qu’ils veulent, le découpage que je leur fourni est plus indicatif qu’autre chose. Par contre, pour les dialogues, ils peuvent me proposer des modifications, mais c’est moi qui décide car il faut être sur que cela reste cohérent.
Je travaille beaucoup le scénario, quand j’écris quelque chose, j’y ai beaucoup réfléchi avant. S’il y a un changement, je suis tout à fait prêt à en discuter, au contraire, mais il faut que cela reste logique avec les personnages et avec l’intrigue.

Scénéario : Il nous reste à vous remercier du temps que vous nous avez consacré


Marc Bourgne : C’est moi.

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