Interview

Entretien avec Jean-Claude Bartoll

Sceneario.com : Bonjour Jean-Claude. L’une de tes actualités à venir est la sortie de ta nouvelle série Mossad Opérations Spéciales dans une nouvelle collection chez Jungle. Mais avant de nous en parler, peux tu te présenter à nos lecteurs ? Nous conter ton parcours ?

Jean-Claude Bartoll : Avec plaisir. Je dirais que je me définis comme un « scénariste d’investigation ». En effet, j’ai une double formation juridique et journalistique. Pendant des années j’ai été « grand reporter » TV pour des agences de presse internationales et j’ai sillonné notre planète avec une caméra sur l’épaule. J’ai ensuite réalisé des documentaires et des séries de dessins animés pour France 3, Disney Channel et la RAI. C’est à cette occasion que j’ai commencé à mélanger la « fiction » et la « réalité » puis je suis entré en contact avec Dargaud et c’est ainsi qu’est née ma première série de bandes dessinées « Insiders » qui m’a permis de m’épanouir en mélangeant mes expériences passées et un goût prononcé pour la géopolitique…

Sceneario.com : Pourquoi as-tu choisi le Mossad comme sujet pour cette série ? Comment est né ce projet ?

Jean-Claude Bartoll : Comme tu dois t’en douter, je suis quelqu’un de passionné par les relations internationales et plus particulièrement par les services secrets. J’ai eu l’occasion de croiser la route d’agents de différentes officines et moi-même, en reportage, j’ai parfois été pris pour un agent de la DGSE (rires) ! Le Mossad est une agence de renseignements dont je suis l’activité depuis très longtemps. Il a une particularité qui a été source d’inspiration : il existe en son sein une unité spécialement chargé des exécutions physiques. Son nom : Kidon. C’est ainsi qu’est né ce projet. Autour de l’existence et du quotidien des kidonim (membres du Kidon). J’ai effectué de nombreuses recherches afin de coller au plus près à la réalité de ces agents « particuliers » qui sont le plus souvent des gens comme toi et moi et que rien ne permettrait de distinguer dans la foule d’un grand magasin…

Sceneario.com : Quels ont été tes sources d’inspirations ?

Jean-Claude Bartoll : Comme je le disais, j’ai effectué de nombreuses recherches documentaires et j’ai également pu interviewer des personnes « bien informées ». Parmi les livres de référence, il faut citer les deux ouvrages de Gordon Thomas (« l’histoire secrète du Mossad » et « Mossad : les nouveaux défis ») ainsi que l’ouvrage d’un « repenti » (Victor Ostrovsky). Pour les références cinématographiques, j’ai beaucoup apprécié « les patriotes » d’Éric Rochant ainsi que « Munich » de Steven Spielberg. J’ai également visionné de nombreux documentaires qui traitent de différents aspects de l’histoire du Mossad dont l’opération menée à Entebbe (Ouganda) en juillet 1976…

Sceneario.com : Mossad c’est aussi des histoires politiques. T’inspires tu de ce qui se passe actuellement dans le monde ?

Jean-Claude Bartoll : L’actualité de ces derniers mois s’est soudainement accélérée. Et mon scénario je l’ai écrit bien avant le « printemps arabe ». Ces événements me serviront sans doute de base pour de futurs albums. En ce qui concerne le premier diptyque de « Mossad opérations spéciales » je me suis surtout inspiré d’une technologie militaire russe que la Syrie et l’Iran souhaitent acquérir depuis plusieurs années. La trame de mon histoire est, comme souvent dans mes scénarios, très réaliste et solidement documentée…

Sceneario.com : Mossad c’est aussi une histoire de famille entre un père et un fils. Est-ce que tu penses que la famille, le sliens du sang, c’est important ? Parce que l’on peut dire aussi que Sven qui avait quitté le Mossad, a rompu avec son « autre famille », non ?

Jean-Claude Bartoll : Justement, tu pointes là un aspect important de mon scénario : jusqu’où peut-on aller pour défendre les siens, la chair de sa chair, le sang de son sang ? C’est la première fois que je m’attarde ainsi sur les relations particulières entre un père et son fils. Sans doute parce que cela a une réelle résonance avec mon propre quotidien… J’ai donc voulu apporter une dimension psychologique supplémentaire à une histoire géopolitique complexe et m’affranchir de certains stéréotypes des séries « action-aventure »… Et si le héros, Sven, a décidé un moment donné de rompre avec sa « famille d’adoption » du Mossad il va quand même être obligé de renouer avec elle afin de retrouver la trace de la seule « famille réelle » qui lui reste. Mais, je n’en dirai pas plus afin de laisser au lecteur le soin de découvrir tout cela par lui-même (rires)

Sceneario.com : Pourquoi as tu retravaillé avec Pierpaolo Rovero sur Mossad ? Rovero a déjà travaillé avec toi sur la série Terroriste.

Jean-Claude Bartoll : Drôle de question ! Je m’entends très bien avec Pierpaolo (comme avec les autres camarades dessinateurs avec qui je travaille d’ailleurs) et je souhaitais que nous abordions un autre univers tout en lui demandant d’évoluer graphiquement. Il a été immédiatement séduit par le défi et nous nous sommes attelés à la tâche pour aboutir aujourd’hui à ce premier album dont le titre est « la taupe de l’Élysée » et qui est édité par Jungle-Casterman pour inaugurer leur nouvelle collection thriller (Le second tome qui clôt ce premier diptyque est prévu pour le FIBD 2012 à Angoulême). Quant à la série Terroriste, le troisième et dernier tome devrait paraître avant la fin de l’année chez Glénat…

Sceneario.com : Comment se passe cette collaboration ? Comment travailles tu avec lui ?

Jean-Claude Bartoll : Elle se déroule parfaitement bien. De façon classique. Je lui fais lire, ainsi qu’à l’éditeur, un synopsis très détaillé (séquencier) puis je lui envoie mon scénario par lots de 10 ou 15 planches avec de la documentation très précise en particulier pour les décors. Moi-même, pour écrire, j’effectue au préalable des recherches iconographiques car j’ai besoin de me situer dans l’espace et de bien sentir les lieux dans lesquels vont se dérouler les séquences que j’écris. Cela permet aussi aux dessinateurs de mieux s’immerger dans le script et de passer moins de temps en recherches. Pierpaolo m’envoie ensuite son découpage crayonné et nous en parlons au téléphone (il vit à Turin) puis ensuite je reçois les planches encrées. Et après nous passons à l’étape de la couleur en ayant choisi, d’un commun accord, l’artiste qui va nous apporter sa « vision colorée ». En l’occurrence, c’est Véronique Robin qui nous a suivis sur cette aventure après m’avoir contacté via Facebook (j’anime toujours mon blog mais, depuis un an, je suis assez présent sur les réseaux sociaux). C’est donc une façon, comme je le disais précédemment, « classique » de travailler. Pour moi, il est important de collaborer ainsi. C’est-à-dire d’effectuer un « ping-pong » artistique durant toute la phase de création de l’album…

Sceneario.com : Ton autre actualité est la sortie du second tome de 9/11 que tu co-écris avec Eric Corbeyran. Un petit mot dessus ?

Jean-Claude Bartoll : Bien sûr. 9/11 est une série pour laquelle j’ai effectué une enquête assez considérable qui a duré de longs mois. En effet, l’objectif de cette série est d’expliquer comment on en est arrivé aux événements du 11 septembre 2001 en remontant le fil des dix années précédentes. Pour cela, j’ai créé deux personnages de fiction qui évoluent au milieu de personnages «historiques» comme Oussama Ben Laden, John O’Neill (patron de l’antiterrorisme du FBI qui décédera dans une des tours du World Trade Center), Richard Clarke (le « tsar » de l’antiterrorisme à la Maison-Blanche), Bill Clinton, George W. Bush, le prince Turki Ibn Fayçal (inamovible chef des services de renseignements saoudiens durant 20 ans), Dick Cheney (ancien vice-président de George W. Bush), Condoleeza Rice, Hamid Karzaï (l’actuel président d’Afghanistan), etc. Cette série est un vrai « challenge » scénaristique et j’ai alors pensé que c’était l’occasion d’entamer une collaboration avec un autre scénariste en raison justement des deux personnages de fiction que j’ai créé et qui sont chacun dans un « camp » bien précis. A l’occasion d’un festival dans le Médoc, en juillet 2009, j’ai recroisé la route d’Éric Corbeyran et je lui ai parlé du projet en lui proposant de prendre en main un des deux personnages. Il a été séduit par l’idée et nous nous sommes immédiatement mis au travail après avoir signé chez 12Bis. Je dois préciser que c’est un bonheur de travailler avec Éric. C’est un grand professionnel et un homme sensible et charmant. Nous avons un sport en commun : le tennis. Ce qui nous permet de nous retrouver parfois (et pas assez souvent) sur un court et d’effectuer des échanges qui ne sont pas que scénaristiques…

Sceneario.com : Quels sont tes autres projets en vue ?

Jean-Claude Bartoll : Ils sont nombreux et ne se situent pas forcément dans des univers contemporains. Mais ils demandent tous la même somme de travail faite de longues recherches documentaires et d’enquête parfois très « chirurgicale ». J’ai aussi des projets historiques en cours de développement. Par contre, je ne touche pas à l’heroïc-fantasy ou à la science-fiction car je ne pense pas que j’apporterai quelque chose de nouveau à ce qui se fait déjà actuellement. Du moins, pas pour l’instant…

Sceneario.com : Petit quizz thrillers politiques – Les trois jours du Condor de Sydney Pollack

Jean-Claude Bartoll : Un « must » littéraire de James Grady et un film « incontournable » avec un Robert Redford au sommet de sa forme. Un acteur que l’on retrouve d’ailleurs dans un rôle similaire dans « Spygame » avec quelques années de plus au compteur. Deux grands films d’espionnage et qui mettent en avant certaines collusions ou dérives au sein de la CIA. D’ailleurs si, aujourd’hui, le film était à refaire, je pense que la NSA remplacerait avantageusement la CIA…

Sceneario.com : Les romans de Tom Clancy mettant en scène Jack Ryan

Jean-Claude Bartoll : J’ai découvert Robert Ludlum bien avant Tom Clancy. Mais les romans de ce dernier qui mettent en scène Jack Ryan (analyste de la CIA qui montera en grade jusqu’à occuper le Bureau Ovale) sont incontestablement les meilleurs : Danger Immédiat, Jeux de Guerre pour n’en citer que deux. Et Harrison Ford (qui interprète Jack Ryan dans les films éponymes) est également un acteur que j’apprécie énormément depuis le premier volet de la saga « Indiana Jones » (je parle des trois premiers et non du dernier…)

Sceneario.com : Spygame de Tony Scott

Jean-Claude Bartoll : Ben je viens d’en parler ! Une réussite. Je l’ai revu très récemment. C’est un très bon film très « réaliste » avec un seul petit « hic » dans le scénario dont nous avions parlé avec Fabien Nury lors d’un déjeuner il y a quelques années. Je trouve que nous devrions produire de pareils films en France. Je suis d’ailleurs partant pour proposer un bon script. Voire plusieurs ! (rires)

Sceneario.com : Green Zone de Paul Greengrass

Jean-Claude Bartoll : Tu me gâtes avec cette liste ! Là aussi un film très « réaliste » même si beaucoup de noms ont été modifiés afin d’éviter d’éventuels procès avec des personnalités militaires ou politiques encore vivantes. Mais ce film a le mérite d’expliquer comment le « mythe des ADM » (armes de destruction massive) a été inventé et utilisé pour justifier l’invasion de l’Irak en 2003… Je mettrais juste un bémol à la course-poursuite dans Bagdad qui est un peu longuette vers la fin du long-métrage…

Sceneario.com : Insiders

Jean-Claude Bartoll : Ma première série de BD que j’ai créée en huit jours juste avant mon premier rendez-vous chez Dargaud avec Philippe Ostermann en octobre 2000. Ce dernier avait été immédiatement séduit par le concept et par l’héroïne : Isabel Mendoza alias « Najah ». D’ailleurs, un préquel sur la jeunesse d’Isabel est en cours avec Luc Brahy au dessin (qui fournit un très beau travail je dois préciser) et le premier tome (« Medellin 1989 ») sortira cet automne alors que Renaud Garreta (mon vieux complice « historique ») est en train de dessiner les premières planches du premier tome de la saison 2 qui paraîtra au premier semestre 2012. La série Insiders n’a donc pas terminé de faire parler d’elle !

Sceneario.com : Quel a été ton dernier coup de cœur pour une bande dessinée ?

Jean-Claude Bartoll : Question très difficile… Pour tout t’avouer j’ai un retard important dans mes lectures de BD et la pile à côté de mon lit atteint des proportions vertigineuses. Je dis : « joker » ! (rires)

Sceneario.com : Quel a été ton dernier coup de cœur pour un livre ?

Jean-Claude Bartoll : Le dernier John Le Carré, « Un traître à notre goût » paru au Seuil…

Sceneario.com : quel a été ton dernier coup de coeur pour un film ?

Jean-Claude Bartoll : Je vais t’étonner mais j’ai vu, très récemment, « le silence des agneaux ». Je ne sais pas pourquoi mais je n’avais pas lu le livre de Thomas Harris ni jamais vu le film. Incroyable non ? (rires). Le film a 20 ans mais il semble dater d’hier. Anthony Hopkins et Jodie Foster sont prodigieux. J’ai été littéralement scotché à mon siège… En film français, le dernier que j’ai vu au cinéma c’est « L’assaut » (prise d’otages d’un Airbus par un commando du GIA en décembre 1994). Pas mal du tout et avec un parti-pris de mise en scène très personnelle qui « fonctionne » même si j’aurais voulu que le script aille un peu plus loin. Pour tout te dire, je souhaiterais voir plus de films sur notre « histoire immédiate » sur le grand et le petit écran. Nous sommes encore frileux en France par rapport aux USA…

Sceneario.com : quel a été ton dernier coup de coeur pour une musique ?

Jean-Claude Bartoll : Les deux premiers albums de « The Chemical Brothers » que Djaille Haiffe (Jihef) m’a fait découvrir via Facebook… Sinon, je ne travaille qu’avec des B.O de films (Hans Zimmer, Danny Elfman, etc) ou de la musique classique (Marin Marais, Satie, Rachmaninoff…). Et pour les coups de « speed » je me remets The Clash ( je suis un « fan » depuis 1979) ou le Best Off 2005 de La Mano Negra…

Sceneario.com : Merci Jean Claude pour ce temps que tu as passé avec nous.

Jean-Claude Bartoll : Merci à vous d’avoir eu la patience de m’écouter… et de me lire ! (rires)

Publicité