Interview

Entretien avec Didier Convard

Sceneario.com : Nous sommes dans la série des Gardiens du sang, avec le Triangle secret et I.N.RI., doit on parler de saga ou de feuilleton?

Didier Convard : C’est vraiment un feuilleton, depuis le Triangle secret qui est né d’un roman que j’avais écrit il y a une vingtaine d’années et que je n’avais jamais publié.

Sceneario.com : Il a été publié depuis. Didier Convard : Tout à fait, il a été publié depuis, mais je l’ai revisité car la bande dessinée est intervenue entre temps, j’ai du changer quelques axes d’écriture. Ce roman, je l’avais fait lire à Jacques Glénat et c’est lui qui a eu l’idée de l’adaptation en bande dessinée. J’avais un roman de 700 pages, le travail était titanesque. Il y avait plusieurs flashbacks dans le roman, il y en a beaucoup que j’ai traduit dans le triangle secret en quatorze ou quinze pages et puis, il y avait un gros qui était I.N.R.I..Ce flashback là était bien adapté au roman, mais en bande dessinée, je ne pouvais pas en faire un de vingt, trente ou quarante pages, alors avec Denis Falque, on a décidé de se réserver I.N.R.I. pour en faire une véritable saga. Les Gardiens du sang n’étaient qu’une petite intervention dans le roman, à la fin il y avait un petit chapitre qui n’existe plus dans le roman que j’ai publié après chez Fayard.

Sceneario.com : Avec ce thriller ésotérique, vous abordez les thèmes de l’usurpation, de la résurrection contemporaine, n’avez-vous pas craint de choquer une partie de votre lectorat?

Didier Convard : C’est la question que nous nous sommes posés dès le départ, et nous avons eu des réactions des commerciaux nous disant : c’est dangereux.
Ce sont des thèmes qui n’avaient jamais été explorés dans la bande dessinée, mais j’ai pris le pari de l’intelligence des lecteurs et je crois que j’ai bien fait puisqu’ils ont été nombreux à adhérer à ces thèmes et que nous avons ouvert une mode.

Sceneario.com : Vous n’avez pas eu de soucis avec l’église?

Didier Convard : J’ai eu des soucis avec l’extrême droite. Il y a un journal qui a chaque fois que je sortais un album du Triangle secret m’attaquait violement, mais je n’ai eu aucun souci avec l’église catholique. J’ai eu à organiser des débats avec des abbés, des moines et cela s’est toujours très bien passé. Ce sont des gens intelligents. Le seul vrai problème que j’ai rencontré a vraiment été avec l’extrême droite ce qui ne m’a pas déplu, au moins je sais où sont mes ennemis.

Sceneario.com : Dans ce feuilleton, il y a une grande part de vous-même, il est clair que vous avez envie de partager, d’ouvrir l’esprit des lecteurs, de titiller la curiosité. Est-ce que vous envisagez la bande dessinée comme un vecteur de message au-delà du simple divertissement?

Didier Convard : Absolument, j’ai du mal à écrire une histoire qui n’ait pas un sens, mais je ne fais pas de prosélytisme. Il faut qu’il y ait une part de romanesque, il faut des rebondissements, le lecteur a besoin aussi de se régaler, mais j’ai besoin qu’il y ait aussi sinon un message, du moins une idée à faire passer. En l’occurrence, dans le Triangle secret, je voulais faire réfléchir le lecteur avec moi sur le sens qu’avait la religion dans une société construite, la religion pouvait être à la fois un ciment, une spiritualité qui fédère les hommes mais ce pouvait être aussi un facteur d’intolérance et de combat.

Sceneario.com : Justement, est-ce qu’il n’y a pas une antinomie entre la recherche scientifique et la religion, l’église a-t-elle évolué depuis le procès de Galilée et peut-on raisonnablement envisager de voir l’église mener ces recherches?

Didier Convard : Comme je le fais avec les Gardiens du sang? Oui. Je pense que la religion a toujours été en retard par rapport à la science jusqu’au siècle dernier, a peu près. A ce moment, ils n’ont pas pu faire autrement que d’accepter un certain nombre de faits. On à découvert que l’univers avait été créé à partit du Big Bang, ce qui n’enlève rien à la croyance que l’on peut avoir en Dieu : Qui a créé le Big Bang, ce peut être Dieu.
Cela donne un autre esprit métaphysique à la religion et cela l’oblige à concevoir la science comme un outil de philosophie.
La religion a été en retard sur la science quand elle pouvait l’être. Elle avait le droit de dire que la terre n’était ronde quand il n’y avait aucune preuve qu’elle l’était, elle avait le droit de dire que le ciel était stratifié en sept couches avec les anges et les archanges mais, à partir du moment où on a envoyé des fusées et des sondes spatiales, ce n’était plus possible. La religion n’est pas sotte, bien au contraire, elle s’est mise à concevoir que la science était un outil humain pour aller plus loin dans la recherche de la vérité et moi, j’extrais de cela notamment la possibilité de lui faire faire des recherches sur l’immortalité.

Sceneario.com : La deuxième partie de la saga a pour titre I.N.R.I. pourquoi avoir choisi ce titre qui semble avoir de multiples interprétations?

Didier Convard : Votre question est très intéressante, parce qu’effectivement on a toujours traduit I.N.R.I. par Jésus de Nazareth Roi des Juifs, mais les alchimistes le traduisaient comme moi je le traduis, c’est-à-dire Igne Natura Renovatur Integra, la nature se régénère par le feu. Il y a encore de multiples interprétations, I.N.R.I., ce sont aussi des lettres que l’on rencontre en Franc Maçonnerie, à un degré particulier.
Mon histoire est basée sur la Maçonnerie et sur ses degrés différents, c’est pourquoi il y a sept albums dans le Triangle Secret, il y a le degré d’apprentissage, de compagnonnage, de maitrise et au-delà de la maitrise, il y a le mot I.N.R.I. qui est un degré particulier. C’est pour cela essentiellement que j’ai choisi ce titre.

Sceneario.com : Comment s’est opéré le choix des dessinateurs?

Didier Convard : C’était assez simple au départ pour les dessinateurs des flashbacks. J’avais déjà contacté tous mes amis parce que je voulais que ce soient eux qui travaillent sur le Triangle secret. J’ai fait appel à Gilles Chaillet, Juillard, Gine, Stalner, tous mes potes.
C’est Christian Gine qui devait faire la partie contemporaine, celle qu’à faite Denis Falque, mais il a eu un problème de temps. Ce sont les éditions Glénat qui ont trouvé Denis Falque qui s’est lancé dans l’affaire avec au départ quelques petites maladresses d’usage mais qui, d’un seul coup ont vite été gommées pour faire apparaitre un grand dessinateur réaliste.

Sceneario.com : Le Triangle secret a déjà généré un certain nombre d’exégèses, deux sous forme d’album auxquels vous avez participé ainsi qu’une grosse étude de Joël Gregogna parue il y a quelques mois également chez Glénat. Est-ce le signe que si le lecteur a envie d’aller plus loin dans l’aventure, il a réellement besoin de clefs?

Didier Convard : Oui, il y a plusieurs clefs pour lire le Triangle Secret. Il y a tout simplement la clef de la bande dessinée romanesque, le plaisir de suivre un feuilleton avec une quête, on recherche quelque chose, c’est bâti comme un scénario traditionnel avec des bons, des méchants, des traitres et des gens plus équivoques. Dans la deuxième couche de lecture, je nuance, les bons ne sont pas toujours bons, la fin justifie les moyens pour beaucoup, l’église n’est pas forcément que méchante, les Frans Maçons ne sont pas que gentils, il y a des interpénétrations entre les sociétés. La troisième couche est réellement initiatique, j’ai mis vingt ans pour réaliser ce Triangle Secret et là, il y a un véritable travail historique, spirituel, philosophique, c’est très riche.

Sceneario.com : Technique également, vous entrez dans des domaines très particuliers et pointus comme la bioéthique. Où allez-vous chercher votre documentation?

Didier Convard : Pour tout ce qui est historique, j’ai passé des années à interviewer des spécialistes, d’excellents historiens, ce qui m’a permis de me faire de grands amis dans ce domaine. Pour la partie Maçonnique, je n’ai pas eu de problème puisque je suis franc maçon, depuis plus de trente ans, je suis un historien de la Franc Maçonnerie et j’ai de grands amis qui sont des historiens très cultivés en Maçonnerie qui m’ont beaucoup aidé. Pour tout ce qui est médical, du scientifique, j’ai la chance d’avoir un frère dans ce domaine qui m’a fait rencontrer des spécialistes auxquels j’ai posé énormément de questions, comme vous avec un magnétophone, et je posais des questions vers ce que je voulais recevoir. Je ne voulais pas m’éloigner de mon sujet et toutes les questions que je leur posais étaient très dirigées, sur être immortel, quels gènes, on m’a tout expliqué. Tout ce que j’écris c’est ce sur quoi travaillent actuellement les biologistes et les généticiens.

Sceneario.com : Le scenario est très complexe, vous n’aidez pas le lecteur en lui rendant la lecture aisée,

Didier Convard : (Rire) Ah, je n’ai pas l’intention de l’aider …

Sceneario.com : Où voulez vous l’emmener?

Didier Convard : Les Gardiens du Sang, c’est vraiment un jeu de dupes. Dans le scénario, on part avec un héros qui est une victime et on se rend compte au fur et à mesure qu’il n’est pas si victime que cela mais que c’est peut-être le contraire. Celui qui manipule tout le monde, c’est peut-être lui. On commence à le comprendre, à le deviner. Le tome quatre va sortir et on va avoir une révélation, on va savoir qui sont les bons, qui sont les méchants et encore une fois, ce n’est pas exactement ce que l’on croyait.
C’est un jeu de poupées russes, des intrigues dans l’intrigue, des tiroirs qu’on ouvre, on ouvre, on ouvre pour arriver à un résultat final auquel on ne s’attend pas. On va se dire : mince c’est un piège et depuis le début on me manipule.

Sceneario.com : Tout le monde se fait manipuler, le feuilleton dans son ensemble est une histoire de manipulation.

Didier Convard : Bien sur, depuis le début c’est une histoire de manipulation parce que je considère que l’histoire est manipulée.
L’histoire de France, l’histoire du monde en général est manipulée jusqu’à ce que l’on ait la possibilité d’avoir des images et du son. Tant que l’on n’a pas d’images et de son, ce sont des chroniqueurs qui relatent et là, tout est possible. Mais on peut tout aussi bien manipuler l’image et le son, on vous montre un tas de cadavres et l’on vous dit que ces gens ont été massacrés alors que ce n’est qu’une mise en scène.

Sceneario.com : Certains prétendent que l’homme n’a jamais mis le pied sur la lune.

Didier Convard : Voilà, et il y a tout un tas de questions que l’on peut légitimement se poser. C’est la démonstration que je fais dans le Triangle Secret, c’est qu’on peut jouer avec la vérité.
Dans le Triangle Secret, il y a presque 70% de vérité, notamment dans tous les flashbacks. Celui qui se passe sous Napoléon III où le Maréchal Magnan devient le Grand Maitre de la Loge de France est une histoire tout à fait vraie. Napoléon III voulait mettre la main sur la Franc Maçonnerie parce qu’il savait que c’était un espèce de vivier contestataire, et il a imposé un homme, Magnan,

qui n’était absolument pas maçon, qui avait été initié à toute vitesse. Napoléon lui a dit : maintenant vous serez mon agent et vous me rapporterez tout ce que feront les maçons. Sa mission était donc de noyauter la Maçonnerie, de la diriger et de la manipuler. Magnan a été conquis par les idées maçonnes. Il avait été imposé, trois ans après comme c’était la règle, il a demandé à se représenter et les maçons l’ont réélu. Il n’a jamais trahi la maçonnerie, Napoléon en a été pour ses frais.
J’ai juste dévié un tout petit peu, mais l’histoire est vraie.

 

Sceneario.com : Il reste un tome des Gardiens du sang à paraitre, envisagez vous d’autres pistes d’écriture?

Didier Convard : Le triangle secret est terminé après les Gardiens du sang qui concluent cette histoire. Je ferai des Hertz tous les ans et demi. Mais sous le sigle du Triangle secret une nouvelle série va se créer car je prends un des personnages principaux qui apparait dans les Gardiens du Sang et qui s’appelle le Rectificateur et qui va devenir le héros de la prochaine série qui portera son nom.
Je vais raconter les missions du Rectificateur mais cela n’aura plus rien à voir avec le Triangle Secret. C’est là où je m’amuse, on va se rendre compte et c’est un scoop, que dans le Triangle Secret, I.N.R.I. et les Gardiens du Sang, c’était lui l’agent. Ce n’était qu’une des affaires dont il s’est occupé alors qu’il n’apparait que maintenant dans les Gardiens du Sang dont il est le héros principal pour les tomes quatre et cinq.

Maintenant, je vais raconter ses autres missions.

Sceneario.com : Est-ce que vous envisagez une ouverture vers le cinéma, une adaptation?

Didier Convard : J’échange beaucoup en ce moment avec un producteur qui est en train de réfléchir sur une adaptation potentielle du Triangle Secret.

Sceneario.com : Vous êtes tenté directement par l’écriture cinématographique?

Didier Convard : J’ai fait un scénario avec Eric Adam pour un film, il l’a entre les mains, c’est une piste. Mais le scénario est tellement difficile à limiter en un film de deux heures qu’il faut trouver un axe. Il y a eu deux tentatives, deux producteurs qui ont acheté les droits et qui ont donc fait travailler des équipes de scénaristes qui ont fait dix ou douze versions de scénario du Triangle Secret et aucune n’a jusqu’à présent convenable, parce qu’on allait dans toutes les pistes à la fois, cela faisait des films de quatre heures. Il y a eu, à un moment donné un scénario qui était très très bien, mais il était tellement cher a faire en France que cela a capoté.
J’ai travaillé dessus pendant des années et je crois avoir finalement trouvé avec Eric Adam une piste possible pour faire une adaptation qui ne nuirai pas à l’histoire tout en étant beaucoup moins complexe.

Sceneario.com : Vous avez été un précurseur dans l’écriture de thrillers ésotériques, que pensez-vous du foisonnement actuel du genre?

Didier Convard : On a été les premiers, et quand Jacques Glénat a lancé cette collection avec le Décalogue, je me souviens qu’à l’époque, les collègues, les éditeurs ou les commerciaux nous disaient qu’on allait se planter. Que ça ne marcherai pas, que ça n’intéresserai personne, qu’il n’y avait pas assez d’action, que c’était trop bavard, trop intello. C’est toujours très honorable d’être précurseur et cela m’amuse maintenant de voir que vingt ans après, cela continue de sortir. Je ne suis pas vraiment un grand lecteur de tout ce qui sort, j’en ai lu quelques uns je n’ai pas trouvé mon compte dans beaucoup. Ce sont souvent des scénaristes qui s’engouffrent dans ce secteur mais qui ne sont pas tellement nourris de cet esprit, il faut une culture particulière.
Pourquoi le Triangle Secret et le Décalogue ont fonctionné, c’est parce que de mon coté j’avais la culture, j’avais les outils, j’avais travaillé très longtemps pour l’écrire. Je ne savais pas au départ que cela marcherai. On avait fait un petit tirage de dix huit mille en se disant, si on en vend quinze mille on sera contents et on en est à un million trois cent mille, on est très contents.
C’est la même chose pour Franck avec le Décalogue, il à la culture, il est agrégé d’histoire, le fond est solide.

Sceneario.com : Votre autre actualité c’est Neige avec Fondation et une nouvelle série Panthéon?

Didier Convard : Cela fait longtemps que l’on doit la faire la série Fondation, c’était prévu depuis longue date. On avait pensé la faire avec Christian Gine qui est le fondateur de Neige, mais il est pris avec les Boucliers de Mars qu’il a attaqué avec Gilles. On a mis pas mal de temps a trouver une équipe. J’avais plusieurs pistes, vous savez que je voulais raconter la naissance de Neige et ce qui s’était passé avant et se qui se passera après.
J’avoue que j’avais beaucoup donné au Triangle Secret et que je me sentais un peu creux, j’avais peur de me répéter. C’est pour cela que je me suis associé avec Eric Adam, Didier Poli et Jean-Baptiste Eustache. A nous quatre on a vraiment retrouvé des idées et c’est quelque chose de solide qui est en train de se bâtir.

Sceneario.com : Vous travaillez beaucoup à quatre mains maintenant?

Didier Convard : Je travaille beaucoup avec Eric Adam, à part pour les Gardiens du Sang. Le prochain Hertz, il le fait avec moi-même chose pour Panthéon, nous sommes à cinquante-cinquante sur l’écriture.

Sceneario.com : Panthéon est-elle réellement une série de science fiction?

Didier Convard : C’est une série de science fiction, parrainée par les monuments historiques. On va leur faire plusieurs livres, mais on a carte blanche, historique, romanesque, science fiction.
La règle du jeu consiste simplement à prendre le lieu comme décor.

Sceneario.com : Il nous reste à vous remercier du temps que vous nous avez consacré

Didier Convard : C’est moi qui vous remercie 

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