Interview

Entretien avec Damien MAY, auteur de Tueuse

Sceneario.com : Bonjour Damien ! Sur Sceneario on a vraiment beaucoup apprécié ton album et dans la presse en générale il à été aussi plutôt très bien accueilli : ça fait plaisir, surtout pour un premier album ?

Tueuse couv

Damien May : Bonjour Sceneario ! Euh… Oui, pour l’instant oui mais bon après on ne sait pas trop ce que les ventes vont donner. Enfin en tout cas oui, pour moi ça a été une des mes premières surprises et même dans mes plus beau rêve je n’avais pas imaginé ça (rires). C’est pour moi très inattendu, je ne m’attendais vraiment pas à ce genre de chose… Mais en tous cas c’est vraiment encouragent pour la suite oui !

Sceneario.com : Merci Damien ! (rires) Et sinon pour poursuivre, Tueuse, qui est rappelons le est ta toute première bande dessinée, est adaptée du roman d’Annie Barrière du même nom. L’adaptation c’était quoi pour toi, quelque part une sécurité pour une première bédé ?

Damien May : Et bien disons que pour l‘instant je ne me sens pas du tout capable d’écrire quelque chose et ça n’aurait sûrement pas beaucoup d’intérêt en plus… Pour moi une bonne bédé c’est avant tout un bon scénario et il y a déjà tellement de belles histoires. Comme le personnage de Tueuse, ce n’est pas qu’une histoire de tueuse, au-delà de ça c’est aussi sa manière de voir la vie, sa philosophie, son côté désabusé, noir ; c’est tout ça qui m’attirais, j’ai eu envie de partager du temps avec ce personnage et avec sa psychologie.

Sceneario.com : Et d’ailleurs ça se ressent à la lecture, la bédé est essentiellement centrée là-dessus peut-être plus que sur le polar en lui-même, sur le personnage de cette tueuse, torturée, ambiguë, violente et c’est de là qu’elle tire toute sa charge émotionnelle.

Damien May : Oui, moi je suis tombé amoureux de ce personnage. C’est ça qui m’a vraiment plu chez elle, sa force, sa faiblesse justement ; sa profonde solitude aussi. C’est un personnage dans lequel on se reconnaît, dans sa façon de répondre au téléphone notamment, c’est ce qu’on pourrait dire à son employeur ou entendre à la télévision ou lire dans les journaux.

Sceneario.com : Le fond social n’est jamais bien loin…

Damien May : Oui, l’émigration… Aujourd’hui on en demande toujours plus aux gens, il faut être ceci, cela et surtout ne pas demander plus que le smic, toujours plus… On y retrouve un peu tout ce genre de chose. Au début je voulais retirer toutes les scènes de meurtre et puis bon après je me suis dit que c’était aussi un polar (rires). J’ai voulu essayer de garder un certain équilibre et éviter de sombrer trop dans un côté ou de l’autre.

Sceneario.com : Et justement j’ai envie de dire que c’est cet équilibre qui donne toute la force et l’émotion au récit. Il y a quelque chose qui se passe qu’en on le lit !

Damien May : Et bien ça c’est vraiment ce que j’espérais parce que c’est elle qui porte l’histoire. J’avais vraiment envie qu’on entre en elle, qu’on la sente quoi.

Sceneario.com : C’est un personnage qu’on a du mal à quitter une fois la bédé refermée, tu as eu le même sentiment toi qui a passé encore plus de temps que nous avec ?

Damien May : Tu t’y es attaché aussi (rires). C’est exactement ce que j’ai ressenti en lisant le roman, je n’avait plus envie de la quitter, euh… j’avais constamment envie de la mettre en scène, de la mettre sous ma main, de la faire vivre quoi, enfin de la faire vivre en images.

Extrait 2

Sceneario.com : Tu nous parlais tout à l’heure d’Annie Barrière, l’auteur du roman que tu as adapté, tu l’as rencontré ? Comment ça c’est passé ?

Damien May : Oui oui, après avoir lu son roman j’ai dessiné quelques planches mais bon pour lui faire parvenir ça n’a pas été simple au début quand j’ai cherché son adresse ça a été tout une histoire et puis un jour je suis tombé par hasard, dans un salon, sur quelqu’un qui l’a connaissait et qui a accepté de lui transmettre. Elle m’a tout de suite répondu pour me dire qu’elle était d’accord et que ça lui faisait plaisir ; qu’elle retrouvait son personnage dans le dessin que je lui avais envoyé, que je ne la trahissais pas et donc après ben j’ai continué.

Sceneario.com : Et entre le moment où tu as commencé ce projet et le jour où il s’est réellement concrétisé il s’est passé tu temps ? Tu as rencontrés des difficultés ?

Damien May : Oui… Ca a mis pas mal d’années… Tueuse, le roman, est sorti en 2003 et je l’ai lu à sa sortie en fait et on est en 2010. J’ai du constituer un peu plus de vingt-cinq dossiers en tout et le peu de retours que j’ai eu des maisons d’éditions n’étaient pas très bon, on me reprochait souvent un dessin froid… Enfin bref… Et c’est presque au trentième que ça c’est fait : par hasard je trouve une adresse, celle des Ronds dans l’O et dans la foulé, une semaine après l’avoir envoyé, Marie Moinard, l’éditrice, me dit que c’est ok et qu’elle veut bien lire la suite : c’était bon !

Sceneario.com : Tu dis avoir traversé pas mal de difficultés pendant ces six dernières années et maintenant que ce premier projet s’est concrétisé ça va mieux ?

Damien May : Euh… oui… Je travaille en intérim dans la serrurerie dans tout ce qui est ferronneries, soudures, en usines ou en ateliers en fait ; et c’est ce qui fait aussi que j’ai perdu pas mal d’années où je n’ai pas dessiné… Mais là aujourd’hui le fait d’être édité c’est aussi quelque part un soulagement par rapport au gens qui t’entour, parce que toutes les années où tu ne vas pas travailler parce que tu dessines, que tu n’as pas d’argent… c’est pas forcement facile pour tout ceux qui sont avec toi. Ca a été des années de sacrifice, oui, mais aujourd’hui ça a changé : je dors mieux la nuit ! Je n’ai plus toutes ces interrogations, qu’est ce que je fais ? Où je vais ? Quelles conneries je suis en train de faire ? Mais bon maintenant j’en ai d’autres… (rires) Enfin en tout cas ça fait vraiment plaisir ! Et si à terme je pouvais en vivre, oui, ça me ferait plus qu’énormément plaisir.

Sceneario.com : Et en ce moment tu travails sur d’autres projets ?

Damien May : Oui j’ai deux projets en cours, un bouquin d’illustrations, cette fois en couleurs, avec Philippe Deblaise qui devrait sortir dans l’année je pense, enfin on espère parce qu’il cherche encore des subventions pour financer le livre, c’est une petite maison d’édition avec peu de moyens… Et là je travail sur l’adaptation d’une nouvelle d’Isabelle Eberhardt, sur une histoire qui n’a rien à voir avec le polar et ce sera au lavis, dans les ton de gris.

Extrait 3

Sceneario.com : Et justement en parlant de dessin, tu peux nous en dire un peu plus sur ta technique de dessin pour Tueuse.

Damien May : Et bien il y longtemps, au début en fait, j’ai fait une première version directement au pinceau mais je maîtrise pas assez bien le dessin pour ça et c’était pas très lisible, peut-être pour plus tard mais pour le moment c’est pas encore ça. Du coup j’ai fait une autre version avec des crayonnés mais pas directement sur la planche et très succins qui me servaient juste de base et ensuite par transparence je faisais le dessin au pinceau et à l’encre. Je travaillais sur du format A3, assez grand pour avoir une liberté d’ampleur de geste mais j’essai maintenant de travailler sur du plus petit.

Sceneario.com : Et sur le choix d’un noir et blanc très contrasté, de ce dessin au pinceau et à l’encre pas toujours très fini, très propre entre guillemets. Il y avait vraiment cette volonté de donner du corps, du caractère au dessin ?

Damien May : Euh… disons que je ne sais pas faire de beaux dessins propres (rires) peut-être parce que je n’ai jamais fait d’école de dessin justement. Et ce qui me passionne surtout dans les arts ce sont les croquis, les dessins rapides, plus que la peinture, que les choses qu’on dit finies… Je voulais retrouver cette liberté de geste qu’on a quand on dessine au pinceau par rapport à la plume par exemple, je voulais donner une épaisseur au trait.

Sceneario.com : D’où te viens cette envie de faire de la bande dessinée ? Il y a des auteurs qui t’ont marqué, qui t’ont inspiré ?

Damien May : Euh… je crois que j’ai toujours eu cette envie, ça m’a toujours attiré. Depuis tout petit déjà quand je lisais Les tuniques bleues j’avais envie de raconter des histoires ou de dessiner en tout cas. Et c’est un jour, je devais avoir 14 ans, c’était chez un ami qui avait un superbe collection de bandes dessinées, il avait presque tous les A suivre. Je passais mes vacances à les lire et il y avait cette bande dessinée, La ballade de la mer salée d’Hugo Pratt que je ne connaissais pas du tout et qui quand je l’avais feuilletée rapidement comme ça ne m’avait pas du tout attirée et du coup c’est la dernière bande dessinée que j’ai lue… et quand j’y suis tombé, je n’en suis plus jamais vraiment ressorti. C’était vraiment un coup de foudre, je crois que c’est vraiment le premier auteur pour qui j’ai eu un coup de foudre… et après j’ai lu tout de lui, enfin tout ce qui est sortie en France en tout cas. Et… c’est son dessin, je crois, qui m’a donné une première approche de la liberté, c’est un dessin qui sortait de toutes les bandes dessinées que j’avais pu lire.

Sceneario.com : On pense aussi à Edmond Beaudouin quand on regarde ton dessin.

Damien May : Ah oui Beaudouin. Et bien c’est venu au moment où je me suis dis que j’avais vraiment envie de faire de ma bande dessinée donc j’essayais de faire des planches et un jour je me suis penché sur ce bouquin que j‘avais depuis des années, c’est ma grand-mère qui me l’avait offert quand je devais avoir 12 ou 13 ans je crois, c’était La mort du peintre. Et… un jour de dépit j’ouvre cette bande dessinée et là je me dis mais putain ouais c’est là, la réponse elle est là. (rires) Je ne m’en sortais pas avec ces cases, avec tous ces trucs, j’essayais d’être dans le style q’on peut voir dans beaucoup de bandes dessinées mais ça ne me convenais pas, j’y arrivais pas. Quand je te parle de jolis dessins, je ne sais pas faire de jolis dessins du coup c’était mort quoi et de voir sa manière de traiter le dessin. Et… surtout dans La mort du peintre, enfin je ne sais pas trot comment dire ça mais il ne s’arrêtait pas aux jolis dessins, c’était l’expression d’abord, le mouvement d’abord et… ça a vraiment changé mon approche, surtout de comment traiter mes personnages, mes cases et mon trait aussi beaucoup. C’est à partir de là que je me suis mis au pinceau et du coup ça ce voit beaucoup dans ce que je fais, je lui dois énormément en fait.

Sceneario.com : Bon et bien maintenant pour terminer, peut-être une petite questions pas si évidente que ça. (rires) Est-ce que tu pourrais nous parler juste en quelques mots d’œuvres où d’artistes qui t’ont marqués et par lesquelles quelque part tu pourrais de définir un peu ?

Damien May : Et bien pour les films si je devais faire un choix, un qui m’a vraiment marqué c’est Cría Cuervos de Carlos Saura avec Ana Torrent.

Sceneario.com : Et des auteurs, écrivains… ?

Damien May : Peut-être euh… il m’apporte beaucoup bien que je n’ai pas forcement lu énormément de choses de lui, c’est… Nietzsche et… Freud aussi. Nietzsche et Freud sont deux personnages qui ramènent à l’origine, qui font réfléchir au futur. De Freud je n’ai pas lu les livres sur la psychanalyse parce que je me trouverais toutes les maladies mentales sinon (rires) mais ses livres Totem et Tabou, L’Avenir d’une illusion ou sur l’homme Moïse, ça amène à réfléchir sur le monde qui nous entour… Il formule les questions qu’on peut se poser, il met le doigt sur des choses qui nous paraissent normales et qu’en fin de compte si on s’interroge ne sont peut-être pas si normales que ça… Enfin je ne sais pas trop si je suis clair (rires) et malgré tout ce que peuvent dire ses détracteurs, c’est un homme qui nous amène à réfléchir et ça c’est important je crois.

Sceneario.com : Et en musique ?

Damien May : Ah en musique il y a beaucoup de choses mais les trois que j’écoute encore toujours ce sont Les Doors, Pink Floyd et Led Zeppelin, j’écoute beaucoup de choses mais j’y reviens toujours. (rires)

Sceneario.com : Bon et bien merci beaucoup et à bientôt !

Damien May : Bon ben j’espère que j’ai répondu à peu près correctement (rires) parce que je suis pas très bavard et c’est parfois pour moi un peu difficile de me livrer. Enfin voilà, en tout cas à bientôt !

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