Interview

Entretien avec Aurélien Rosset

Emprise couv

Sceneario.com : Aurélien, avec Emprise tu signes ta première publication, comment es-tu venu à la BD ?

Aurélien Rosset : Avant tout, je suis un lecteur… de littérature fantastique, et de BD en tous genres. J’étais très renfermé, rêveur, et toujours avec un crayon dans la main. Durant mon enfance j’ai été bercé dans l’univers des arts et de la BD. Mes parents et mes grands-parents pratiquaient tous une forme d’art, que ce soit dans la couture, la publicité, la peinture ou l’architecture… Un jour, je n’arrivais plus à rester à ma place de lecteur et j’ai eu envie de devenir acteur dans ce domaine qui m’avait tant apporté. Après le Bac, c’est devenu mon objectif principal. Cela m’a pris des années pour professionnaliser mon dessin et ma narration. J’ai donc tenté quelques écoles privées, du genre où l’on vous vend du rêve… l’expérience n’a pas été une réussite flagrante pour moi, mais j’ai tout de même eu la chance de rencontrer certains professeurs et professionnels qui, à l’époque, et encore maintenant, ont su me conseiller et me mettre sur la bonne voie. Cela m’a permis par la suite d’entamer ma première collaboration avec Jean-Louis Marco en tant que coloriste sur son album « Mémoires d’un guerrier », puis de participer au collectif « Histoire(s) de bordeaux », où j’ai dessiné quelques planches, notamment aux côtés de l’un de mes anciens enseignants, Benoît Lacou. Après cela, je me suis attelé à la réalisation de ma première œuvre complète, « Emprise ».

Sceneario.com :Au scénario et au dessin sur ce projet, cette double casquette est-elle avant tout une volonté de ta part de t’approprier et de t’impliquer entièrement dans cette histoire ?

Aurélien Rosset : Au départ je ne cherchais pas particulièrement à être un auteur « complet », ni sur cette œuvre, ni sur aucune autre. Manquant d’assurance dans l’écriture, il fut même question, au début du projet, d’une collaboration avec un ami sur le scénario. Finalement cela n’a pas pu se faire, mais avec le temps je me suis rendu compte que ce qui me motivait à prendre le crayon chaque matin, était plus le fait de raconter une histoire, que de « dessiner pour dessiner ». Cela n’a rien d’exceptionnel chez un auteur, mais écrire « Emprise » a même été une forme d’exutoire pour moi, car si il s’agit d’une œuvre de fiction avec une bonne part de fantastique, quelques personnages ou situations présents dans le livres sont directement inspirés de mon vécu. Ce fut donc une belle première expérience, bien qu’un peu effrayante, que de livrer des morceaux de soi à travers son dessin et son écriture.

Sceneario.com : Combien de temps ce projet a-t-il mis à voir le jour ? Trouver un éditeur a-t-il été facile ?

Aurélien Rosset : Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain. Avant de devenir le livre que vous découvrirez, le projet a pris de nombreuses formes, tant au niveau graphique que scénaristique. Son embryon date même de mon projet de fin d’étude, en 2008. Si aujourd’hui, peu d’éléments qui le constituaient à l’époque sont encore présents dans le livre, l’envie d’écrire un thriller psychologique ou un polar fantastique se déroulant dans une petite ville isolée du Maine, a toujours été l’essence de ce projet. Le tout dans un format comics. Je n’ai pas une connaissance parfaite de tous les titres qui sortaient fin des années 2000, mais si je me souviens bien, ce genre en BD n’était pas particulièrement répandu, du moins en termes de créations originales françaises. Voyant des titres comme Walking dead ou les œuvres de Niels et Templesmith paraître chez Delcourt, je pensais bien naïvement que le format que je proposais trouverai preneur plus facilement. Hors, je ne rentrerai pas dans des détails de politique éditorial ou de marché, qu’au final je connaissais bien mal, mais c’était une erreur. Les deux premiers dossiers des aventures de Shelter’s Lot furent refusés par de nombreux éditeurs. Comme j’ai toujours démarché physiquement mes projets, préférant, lorsque cela est possible, le contact direct avec les éditeurs, j’ai eu en Janvier 2010, l’occasion de parler brièvement avec Emmanuel Bouteille, aujourd’hui mon éditeur avec Richard Saint Martin. Bien que le dossier que je lui avais présenté cette année-là ne fût pas retenu, il en était ressorti que mon dessin ne semblait pas encore en adéquation avec le propos, chose très importante en bande dessinée. En revanche, pour Akileos, le format collait bien. C’est donc cette piste que j’ai creusé durant plusieurs mois, afin de perfectionner mon dessin, de le rendre plus personnel tout en tentant de le faire correspondre au genre. Cette remarque porta ses fruits, puisque l’année suivante, le projet intéressa quelques éditeurs et fut signé chez Akileos.

Sceneario.com : D’un univers graphique et scénaristique riche et marqué qui n’est pas sans rappeler des séries, des films, des livres, toute une littérature de l’Etrange et de l’enquête, pourrais-tu nous en dire davantage sur les influences et les références de ce thriller ?

Aurélien Rosset : Mes influences sont très diverses, je ne pourrais pas toutes les citer. Depuis quelques années, j’essaye d’avoir un regard critique et analytique sur tout ce que je lis ou visionne, sans pour autant me gâcher le plaisir du spectateur. Dans le dessin comme dans la narration j’essaie d’emprunter ce qui me semble fonctionner le mieux suivant les circonstances, dans le franco-belge, l’indé, le manga ou le comics. Et en poussant ce raisonnement, dans le cinéma, la télé, le jeu vidéo ou même la musique. Je n’aime pas compartimenter les genres. Pour moi, toutes ces différentes cultures se valent. Le cinéma et les jeux vidéo ont autant à offrir à l’univers de la BD que ce qu’ils lui empruntent actuellement. C’est pourquoi d’ailleurs, je souhaitai que les teaser vidéo d’ « Emprise » soient filmés en live, avec des acteurs. Parce que ce type d’histoire correspondait à ce que j’aurai voulu voir dans un épisode d’X-files dans les années 90, que je souhaitai retransmettre le plaisir que j’ai eu à tenter de découvrir qui était l’assassin de Laura Palmer, ou encore pourquoi malgré ses efforts, Alan Wake ne faisait que s’enfoncer dans les méandres de sa propre création littéraire. Ce sont des histoires qui m’ont toutes marquées, peu importe le support narratif. Ne voulant pas trop en dire pour ne pas gâcher la surprise à ceux qui ne l’ont pas encore lu, je ne prends pas trop de risque en disant que les fans de Stephen King et de Lovecraft ne seront pas dépaysés par l’univers d’ « Emprise ». Sous certains aspects, on peut même dire qu’il s’agit d’un bel hommage. Le contexte de Shelter’s lot, petite ville fictive isolée au sud du Maine, était le contexte idéal pour raconter ce genre d’histoire… un huis clos entre de simples habitants, dépassés par la nature inhabituelle et cruelle des événements. Retrouver ce sentiment d’oppression des thrillers de ma jeunesse était essentiel, c’est pourquoi l’histoire se passe dans les années 90, à l’époque où l’on ne vivait pas encore complètement dans l’instantanéité de la communication et de l’information. Pour ce qui est de la partie purement graphique, là aussi mes références sont nombreuses… certaines ressortiront plus que d’autres. Ashley Wood, Ben Templesmith, Bill Sienkiewicz ou Dave Mckean m’ont beaucoup marqué par leur façon de retranscrire l’étrangeté via leur dessin, ou le travail d’ambiances colorées privilégiées au réalisme des teintes. Mignola, Frank Miller et Tim sale par leur encrage… et plus globalement, Jean-Louis Marco pour avoir eu la chance de bosser dans le même atelier. C’est fou ce que l’on peut apprendre en regardant faire les autres, cela m’a énormément débloqué graphiquement, mais aussi narrativement.

Sceneario.com : Bien qu’Emprise soit une histoire complète, la fin reste ouverte et interroge. Une suite à l’histoire est-elle prévue ?

Aurélien Rosset : Cette fin ouverte était, à la base, l’une de mes volontés, ainsi que celle de mes éditeurs. Si l’histoire se termine après avoir suivi les pérégrinations de nos enquêteurs, l’emprise, ce mal millénaire inconnu, tout comme la ville de Shelter’s Lot où il sévit, sont pour moi les réels principaux protagonistes de l’histoire. Cela dépasse donc le cercle des investigations de Marcus Obson et de ses collègues. J’imagine que certains lecteurs le ressentiront, et d’autre moins, mais j’ai attaché une importance particulière au background d ‘ « Emprise », qui a nécessité l’équivalent de l’écriture d’un second album, afin que l’intrigue puisse prendre tout son relief, à travers différentes chronologies. Si en apparence je ne réponds pas directement à toutes les questions que les lecteurs pourraient se poser, tout a finalement une explication logique dans cet univers bien défini. Certaines réponses, sont même simplement un peu cachées dans le livre, visibles à la relecture ou en fouillant un peu dans les dossiers de Shelter’s lot. Et si dans un avenir proche, « Emprise » trouve sa place sur assez d’étagères, il n’est pas exclu qu’un nouvel ouvrage dans cet univers puisse voir le jour… je pense qu’Akileos et moi-même serions partant.

Sceneario.com : Pour finir, as-tu d’autres projets en attente ? Peux-tu nous en dire quelques mots ?

Aurélien Rosset : J’ai quelques projets personnels de BD que j’aimerais mettre en forme et démarcher sous peu. L’un d’entre eux resterait dans l’univers familier du thriller psychologique fantastique, où j’aimerais explorer plus en profondeur le thème de la récupération de certaines pathologies psychiatriques par les superstitions ancestrales. Un autre projet, plus conséquent, serait un thriller politique. Et je l’espère, peut-être quelques collaborations à venir, encore rien de concret, je ne peux donc en dire plus.

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