Interview

Entretien avec Annabel et Cyrus

Sceneario.com : Bonjour Annabel, comment êtes vous arrivée dans la bande dessinée et sur cette série ?

Magus couv

Anabel : Cela remonte loin, dans la bande dessinée, je vais vous donner la réponse classique : J’ai toujours dessiné et puis j’ai toujours tourné autour du pot, j’ai fait d’autres choses. J’ai beaucoup hésité en fait.
Concernant Magus, j’avais préparé une petite histoire sur 6 ou 7 pages, que j’avais envoyée à différents éditeurs et c’est par ce biais que je suis entrée en contact avec Cyrius qui, si je ne me trompe pas, a bien aimé mon dessin. Il avait un projet de scénario avec un autre scénariste, François Debois, pour lequel ils cherchaient un dessinateur.
Il lui a semblé que cela pourrait coller, que l’on pourrait faire des essais ensemble de fil en aiguille, c’est comme cela que ça c’est fait.
Personnellement, j’ai énormément accroché sur le scénario même si de prime abord cela m’a intimidée. Le médiéval est une période qui me plaisait, de même le fantastique bref, tout collait. Par contre cela a nécessité une grosse recherche de documentation pour moi. Je suis comme la plupart des gens, j’aime les films médiévaux mais cela ne suffit pas comme référence, il ma fallu beaucoup travailler.

Sceneario.com : On ressent effectivement un gros travail de recherche.

Anabel : Cela donne l’impression, en tout cas j’ai essayé. De la doc, il yen a eu énormément, c’est clair.

Notre but est d’avoir un récit très réaliste, très campé dans la réalité pour faire en sorte que les gens y adhèrent. Cela représente beaucoup de recherches dans la mesure du possible. J’ai trouvé des images sur lesquelles je me suis référée directement, surtout au niveau de l’architecture.

de l'architecture du moyen age

Sceneario.com : Est-ce que vous avez un personnage de prédilection, quelqu’un auquel vous seriez plus attachée?

Anabel : Ca, c’est la colle, je ne sais pas, franchement je les aime tous plus ou moins.
C’est vrai qu’au moment où je les dessine parce qu’il y a une séquence sur eux et je ne suis pas la seule à éprouver cela, on rentre un peu dans le personnage. Nous pouvons dire que l’on a tous mis un peu de nous dans chacun des personnages.
Disons que j’aime bien Sullivan parce qu’il n’est ni tout à fait blanc, ni tout à fait noir. Je crois que jusqu’à la fin, on ne connaitra pas le fond du personnage.
J’aime les caractères complexes, Arnoult parce qu’il promet d’être particulier, de même que Brunehault. Je préfère peut-être les personnages plus compliqués.

Sceneario.com: Comment travaillez-vous avec Cyrus et François sont-ils plutôt directifs où bien vous laissent ils beaucoup de liberté?

Anabel : C’est affreux!!!
Non, globalement, cela se passe très bien. Ils sont très cool et très patients avec moi. J’ai beaucoup de liberté au niveau de la recherche des personnages par exemple. Finalement les seules indications qu’ils m’ont données ça a été : "lui, il a à peu près la cinquantaine, lui c’est un ado".
De temps en temps, il y avait quand même des indications d’acteur. On a fait cela un peu pour Stan, pour donner une grande idée de son physique.

Cyrus: C’est vrai que les acteurs peuvent parfois donner une orientation physique réelle.
Quand on est dans un dessin réaliste comme ici, il faut faire attention, parce qu’il ne faut surtout pas que cela ressemble à un personnage réel. Mais dans l’identité physique, cela peut servir de base. Ce qui est bien avec le dessin d’annabel, c’est qu’elle est dans un réalisme qui n’est pas un réalisme photographique, donc son style absorbe la matière de la documentation qu’elle utilise.
Pour les personnages, ils ont des influences certaines. Je me souviens notamment qu’à un moment donné, j’avais un acteur comme Kevin Bacon en tête, mais finalement je crois qu’on ne les retrouve pas. Ils acquièrent une identité tout à fait propre. Je pense que c’est la même chose avec les décors.

Anabel : Oui, en fait je l’espère. Il y a eu aussi Higibère pour qui tu avais eu une base d’acteur et je n’ai pas l’impression qu’on le retrouve trop.

Cyrus : oui, c’était Alan Rickman, l’acteur anglais qui sert pour le personnage du seigneur dans le tome 2, mais elle a parfaitement su faire en sorte qu’on ne le reconnaisse pas.

Anabel : Il y a eu Aristide aussi, mais pour lui je n’étais pas partie sur un acteur. Je m’étais basée sur quelqu’un de très connu, un homme politique, mais peut-être ne faut-il pas le dire, c’était vraiment trop ressemblant.

Cyrus : J’avoue que j’ai zappé cette partie là, c’était qui ?

Anabel : C’était Pasqua.

Cyrus : Ah oui, je me souviens. Comme quoi parfois on part de loin quand même!

Sceneario.com : Vous êtes aussi à l’aise dans le dessin des décors que dans la représentation des personnages et notamment leurs yeux avec toute l’émotion que vous arrivez à faire passer par leur truchement.

Les yeux

Cyrus : Cela va te faire plaisir ça.

Anabel : Oui, bien sur que cela me fait plaisir. Globalement la plupart des gens ont cette réaction dire qu’il y a beaucoup de choses qui passent dans les expressions du visage et des yeux en particulier.
Mais cela reste subjectif parce que cela ne fait pas l’unanimité. Globalement, c’est essentiel pour moi, c’est ce que j’espère être mon point fort, donc j’axe beaucoup mon travail dessus.

Sceneario.com : Est-ce que le fantastique va devenir de plus en plus prépondérant en même temps que Stanislas va accepter son devenir, l’intrigue se déplace dans ce tome 2.pour s’orienter vers une bataille de magiciens.

Cyrus : La ligne directrice a toujours été de mettre quand même au second plan l’élément fantastique de la série.
Ce n’est vraiment pas le véhicule. Nous sommes dans une uchronie. On est dans un moyen-âge qui aurait pu exister. Simplement on a imaginé un univers magique qui créerait un contexte de guerre, un contexte religieux historique, avec des tensions à l’intérieur de tout ça.
Effectivement, il y a une magie présente dans cet univers là, mais elle est sur le point de disparaitre. elle est vraiment très très faible.
C’est l’histoire de personnages qui tentent de survivre dans ce contexte là. Donc la magie est un élément parfois spectaculaire mais sur lequel on ne veut pas accer le récit. Il n’y aura pas de bataille de magiciens, ce sont des gens qui essayent de survivre, avec des aptitudes qui ne sont pas effectivement des aptitudes qui existent, mais on ne va pas partir dans des délires de magie.
Le tome 3 qui est censé boucler le premier cycle n’amènera pas plus de fantastique à la série et si vous avez aimé le premier tome comme cela, il n’y aura pas de changement.

Sceneario.com : Magus est une histoire d’hommes, les personnages féminins sont peu nombreux, pourquoi?

Enimia

Anabel : Il y en a déjà nettement plus dans le tome 2, pas des moindres, et elles vont prendre toute leur importance. Apparaissent Brunehaut et Enimia qui sont des personnages incontournables et qui vont devenir récurentes dans le tome 3. Et puis il y a Eloïse qui deviens un personnage à part entière et qui va avoir son tome à elle.

Cyrus : Disons que nous sommes partis sur une histoire un peu multi personnages. Au départ, il n’y avait pas forcément la volonté d’avoir des personnages masculins qui prennent le dessus. C’est plus une question de rythme quant à l’histoire à raconter et malheureusement, un 46 pages nous oblige parfois à faire des choix drastiques.
Au démarrage, nous avions vraiment une volonté d’équilibrer et d’avoir ces personnages forts que l’on va d’ailleurs retrouver dans le tome 3. Ce dernier qui va s’appeler l’insoumise tournera quand même essentiellemnt autour du personnage d’Eloîse.
Cela rééquilibrera peut-être un peu les choses naturellement, mais on avait l’ambition de ne pas être caricatural, de ne pas avoir forcément la figure féminine traditionnelle du moyen-âge, sans en faire non plus des personnages anachroniques.
C’est toujours la difficulté de balancer entre fiction et réel, on a fait des recherches, on a essayé d’être crédible, mais il est clair que ce n’est pas un moyen-âge historique.
Nous sommes dans une forme de divertissement, nous ne sommes pas dans la collection vécu de chez Glénat. On est dans Grafica donc plus proche du troisième testament peut-être que de Malefosse.
Même si une de nos références chez Glénat et très présente chez Magus c’était le série d’Hermann, Les tours du bois Maury, c’est notre référence, une série qu’on aime beaucoup.

Sceneario.com : Un peu plus ancrée dans l’histoire que Magus.

Anabel : Tout à fait, mais justement cela m’a aidée par rapport à ce que vous évoquiez tout à l’heure, les décors et l’architecture. Lire Hermann m’a aidée a voir la teneur des choses, ce qu’il ne fallait pas faire et ce vers quoi il fallait tendre. Pour moi, Hermann est une référence au niveau des décors.

Sceneario.com: Les couleurs sont importantes pour restituer l’ambiance, est-ce que vous donnez beaucoup d’indications au coloriste?

Anabel : Effectivement, c’est tout le talent du coloriste qui est vraiment remarquable sur ce tome 2. Il s’appelle Tatto Caballero et il habite au Mexique.
Ce qu’on lui indique, ce sont les ambiances, les atmosphères et c’est ce qu’il faut dépeindre. Il a parfaitement compris. Après de minimes réglages au début, il est bien parti dans l’univers. Cela ne devait pas forcément être évident pour lui de bien restituer le moyen-âge européen. Ce n’est pas sa culture

Cyrus : La vision du moyen-âge à 15000 kilomètres d’écart, on peut rapidement tomber dans une représentation très folklorique avec des couleurs et des choses qui n’ont pas lieu d’être. Le but n’est pas d’être historique et complètement réaliste, mais il y a des rouges qui n’étaient pas autorisés par exemple.
Sinon globalement, il avait toute latitude pour faire ce qu’il voulait.

Anabel : Il s’est très bien débrouillé. Il y est allé à l’instinct et cela collait parfaitement.

Cyrus : Sachant que le tome 1 servait aussi de référence.

Sceneario.com : Vous avancez sur le tome 3 que l’on verra dans quelques mois, est-ce que vous avez déjà d’autres projets ou propositions?

Cyrus : On a déjà un cadre pour un second cycle dont on ne dévoilera pas la teneur parce qu’il y a quand même une chute dans le tome 3, donc on va le préserver.
Mais oui, après cela dépend bien sur de l’éditeur qui nous suivra ou pas.
Pour l’instant le tome 2 viens de sortir, on va le laisser un peu vivre et on va voir si cela plaît. Tout est possible.

Anabel (avec un grand sourire) : Et bien mon principal projet est le même que celui de mes scénaristes.

Sceneario.com : Il y a, encore aujourd’hui, relativement peu de femmes qui percent dans la bande dessinée, est-ce que vous avez une explication sur cet état de fait?

Cyrus : Il peut y avoir beaucoup de raisons. Historiquement, la lecture de BD est une activité plutôt masculine, donc forcément dans les vocations que cela fait naitre, il y a plus de chances que cela tombe sur un garçon que sur une fille.
Après, c’est un système qui s’autoalimente. Vous avez plus de garçons qui lisent de la BD, donc ensuite ils font de la BD, de la BD qu’ils aiment, donc plus pour les garçons que pour les filles. Cela n’ouvre pas le public.
Mais on assiste à un changement depuis quelques années parce qu’il y a eu le manga qui a séduit un large public féminin. Il y a de plus en plus de filles qui font des écoles de dessin, ça c’est évident.
Internet aussi a beaucoup ouvert, toute la dynamique des blogs, l’expression artistique féminine décolle.

Anabel : C’est l’affaire de quelques années, d’ici 4 ou 5 ans, cela risque de faire une sacrée différence.

Sceneario.com : On en voit quand même encore peu sur des albums aussi aboutis que Magus.

La magie

Cyrus : C’est effectivement dans le dessin réaliste que l’on en trouve encore peu.

Anabel : Vous avez Béatrice Tillier qui est pour moi la référence absolue.

Sceneario.com : cela reste marginal par rapport à la masse d’auteurs masculins.

Cyrus : Oui effectivement cela reste encore marginal, mais je suis persuadé qu’aujourd’hui, dans les nouveaux auteurs il doit y avoir peut-être une femme sur trois, ce qui était loin d’être le cas il y a 10 ou 15 ans où là c’était plutôt 1 femme sur 10 voire moins.
Il manque peut-être aujourd’hui une star féminine pour enclencher une dynamique. Des gens comme Hélène Bruller peuvent animer sur le terrain médiatique et donner envie de faire ce métier là.

Anabel : Au niveau du scénario aussi, il y a de plus en plus de femmes scénaristes et je pense qu’il y a quelque chose à faire dans ce domaine qui serait sans doute différent de ce que font les hommes. C’est en cela que l’on peut renouveler les choses et apporter quelque chose de vraiment nouveau, une dimension nouvelle aux femmes.

Sceneario.com : Annabel, Cyrus, il me reste à vous remercier pour le temps que vous nous avez consacré.

Cyrus : Merci à vous.

Anabel : Merci beaucoup.

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