Interview

ENFANCES PERDUES : premières enquêtes

Sceneario.com: Agnès Naudin, merci de prendre du temps avec nous pour nous parler de votre roman Graphique, « Enfances Perdues, Premières enquetes », que nous avons particulièrement apprécié. Avec un seul regret… l’album est trop court.
Agnès Naudin:
Mais c’est normal, c’est le premier tome. Au départ de ce scénario j’avais écrit juste 14 pages, mais écrit comme un roman, et du coup il y avait trop d’enquêtes, le file rouge prenait à lui seul tout un bouquin. L’Editeur m’a alors dit que nous allions travailler sur le découpage en prenant les trois premières histoires, avec le fil rouge. On lance l’ensemble et on fera la suite après, sinon cela aurait fait un roman graphique énorme.

Sceneario.com: En combien de tomes imaginez-vous la série?
Agnès Naudin:
On verra au file de l’eau. Le file rouge, je peux le faire tenir très longtemps car l’enquête a été très longue. L’histoire de l’homme au ping pong m’a suivie pendant des mois et des mois avec beaucoup de recherches, à enquêter partout en France, en quête de témoignages de familles. Je peux donc facilement raconter l’histoire de ce monsieur qui, à son age, avec son parcours, comment il en arrive là, jusqu’à ce qu’il passe à l’acte et que Sacha se retrouve en face de lui. Selon ce que dira l’Editeur, mais je peux raccouricir ou allonger le récit.

Sceneario.com:Comment êtes-vous passé de votre métier de Policier à celui d’écrivaine?
Agnès Naudin:
La version officielle que j’ai toujours donnée, c’est qu’un éditeur est venu me chercher. La version oifficieuse, que je dévoile à présent, même si je n’aime pas cette version car elle entache un peu le travail de la Police, j’ai commencé à écrire car je m’ennuyais. On etait mi juillet 2018, à la Brigade des mineurs, en plein été c’était tranquille, car les enfants sont partis en vacances. En terme d’audition c’est donc très restreint. J’avais observé que les commissariats avait un nombre incroyable de dossier à traiter et que nous, nous étions tranquilles. J’ai demandé que l’on puisse prendre plus de dossiers, mais l’on m’a dit de ne rien changer. On s’est retrouvés en panne de boulot, donc je me suis mise à écrire l’une des histoire sur laquelle je venais de travailler. Donc c’était ni un souhait, ni… ni rien en fait. Juste le besoin de combler un trou, de m’occuper. 
Trois semaines après j’ai rencontré un homme qui avait écrit un livre sur le gaspillage alimentaire et en plaisantant avec lui, je lui ai dit que je m’étais mise à écrire et il m’a alors dit qu’il était Directeur d’Ouvrages au Cherche Midi, et il m’a demandé si il pouvait le lire. J’ai accepté. Il l’a ensuite apporté au Cherche Midi, sans mon accord, du coup j’étais très en colère… et il m’ont courue derrière pendant 6 mois jusqu’à ce que je rencontre la Directrice du Cherche Midi, qui m’a expliquée l’intérêt de publier pour le grand public ce genre d’ouvrage. Et c’est elle qui m’a convaincue d’aller jusqu’au bout de ce que j’avais commencé, juste comme ça.

Sceneario.com: Vous avez pris des cours, des conseils, pour écrire, ou ceux sont vos textes bruts ?
Agnes Naudin:
C’est facile d’écrire sa vie. A l’oral je suis déjà plutôt à l’aise, je parle souvent et j’écoute beaucoup les gens aussi, et après dans la manière de l’écrire, je l’ai écrit comme je l’aurais raconté. C’est plutôt facile puisque ce n’est pas de la fiction, il suffit juste de se souvenir ce qu’on a vécu durant les enquêtes et de le retranscire sur papier. 

Sceneario.com: Comment êtes-vous arrivée à la Bande Dessinée ?
Agnès Naudin:
C’est l’Editeur de chez Robinson qui m’a contactée afin que l’on se rencontre, et comme cet univers n’est pas du tout connu en BD, il lui semblait interessant de développer quelque chose sur ce sujet. J’ai tout de suite accepté car je trouvais ça interessant d’avoir un autre support, car pour moi l’important c’est le message, peu importe le support. La BD je connaissais un peu, je lis plus de livre que de BDs. J’ai fait le scénario très vite. Ils ont mis beaucoup plus de temps à trouver le dessinateur. C’est pas évident de trouver un bon dessinateur qui soit disponible dans les années à venir et qui soit dans un style qui convient au récit. J’ai totalement découvert ça. Ca a duré un an… Puis une fois que l’Editeur l’a trouvé… Il a bossé pendant 6 mois et il en sortit cette BD… et c’est super.
Eric a été très libre. J’ai fait les dialogue et les bulles. Je ne lui ai donné quelques infos sur les décors. Mais sur les personnages, c’est uniquement de son imagination, et d’ailleurs ils ne ressemblent pas du tout à ceux de la réalité. 

Sceneario.com: Et Jean-Claude Bartoll à quel moment est-il arrivé dans l’album ?
Agnès Naudin:
Quasi au tout début. Quand j’ai écrit le scénario, je l’ai écrit comme une histoire pour la télé… et je ne savais pas du tout écrire des bulles, découper en cases… Jean-Claude est arrivé à ce moment là pour le côté hyper technique de la BD. 

Sceneario.com: Jean-Claude Bartoll a travaillé sur la partie et technique et sur le scénario?
Agnès Naudin:
Non, le scénario est uniquement de moi.

Sceneario.com: Toutes ces histoires sont vraies, pourquoi avoir choisi celle-ci plutot que d’autres, car votre travail à la Brigade des mineurs n’est composé que de ça… ?
Agnès Naudin:
Je ne voulais pas reprendre les mêmes histoires que dans mes livres. Il fallait donc en trouver d’autres. Dans la BD, il y a des histoires qui ne sont pas dans mes livres, même si des fois il y a des allusions afin de démontrer certaines argumentations. Ces histoires m’ont marquée… L’histoire du bébé dans la poubelle par exemple n’est pas courante. Toutes ces histoires font partie de ce que vit la Brigade des mineurs.

Sceneario.com: Aujourd’hui vous êtes en disponibilité et vous ne travaillez plus à la brigade des mineurs. Pourquoi ? Est ce que c’est parce que l’écriture vous plait plus, ou est ce que c’est pour pouvoir souffler des horreurs que vous avez cotoyées ?
Agnès Naudin:
Non, non, non… quand j’ai écrit le 2° tome de mes romans, « Affaires d’Ados », je me suis un peu attaquée à ma hiérarchie et pour me protéger je me suis volontairement mise en disponibilité. C’est plutot par rapport à eux que par rapport au boulot. Et d’ailleurs j’y retourne… pas à la brigade des mineurs, mais dans la Police.

Sceneario.com: Un secteur que vous avez choisi…
Agnès Audin:
Je ne peux pas répondre pour le moment. Mais ce n’est pas l’administration qui a choisi ce poste pour moi, mais on est venu me chercher, ça va me permettre de parler, de dénoncer, de protéger, de défendre. Je suis très contente de rempiler… Je ne serai pas mise dans un placard. (rires)

Sceneario.com: Lorsque vous exerciez à la Brigade des Mineurs, vous étiez plus sur le terrain ou plus dans les bureaux?
Agnès Naudin:
Mes 4 années à la Police des frontières j’étais tout le temps sur le terrain. 

Sceneario.com: Vous avez vu le film POLICE avec Virginie Efira et Omar Sy qui traite de ce sujet?
Agnès Naudin:
Non pas encore, mais c’est prévu dans les prochains jours…
Anne Fontaine m’avait envoyée le scénario pour leur dire ce que j’en pense.
Lorsque j’étais à la Brigade des mineurs, pendant 3 ans, j’étais plus dans un rôle d’enquêtrice, donc très souvent sur le terrain. 

Sceneario.com: Quel est l’impact psychologique sur vous et vos proches dans le quotidien ?Comment faites vous pour rentrer chez vous et couper… ?
Agnès Naudin:
La méditation et le sport… Ils m’ont toujours aidée à rester stable… comme c’est raconté dans la BD.

Sceneario.com: Lorsque les enquêtes sont terminées, avez-vous des nouvelles, des suites sur les dossiers?
Agnès Naudin:
Non. Je ne l’ai pas mis dans la BD, car je n’y ai pas pensé. Le travail d’enquêteur s’arrête au moment où on a trouvé l’auteur, qu’on a ficelé la procédure et que ça part devant le Juge d’Instruction. Pour l’histoire de la nourrice, qui ne sera pas inquiétée, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai raconté aussi cette histoire, car cette histoire m’a rendue furax.

Sceneario.com: C’est d’ailleurs très bien raconté, car en lisant l’album on se dit mais c’est pas possible, pas possible que cette nourrice soit protégée comme ça partout…
Agnès Audin: C’est le cas pourtant. Le système est comme ça en France. Dans mon 3° livre, je parle aussi de cette nourrice, car celà se déroule dans la même ville. Dans le 2° tome de la BD, j’accenturai encore ce point, avec une histoire d’un bébé décédé, pour lequel le parquet n’a pas voulu  poursuivre le Conseil Général ; bien que je pense qu’ils sont en tort. Je trouve intéressant de parler de ça, afin de montrer comment c’est géré par les villes et le conseil départemental.
Concernant l’histoire du Pasteur, on a souvent des histoires comme ça. Je participe sur une série TV, et les histoires des Pasteurs, ils ne veullent pas traiter le sujet. Pourtant, j’insiste car cela fait parti de la réalité. J’ai été confrontée à des situations où je me demande encore, comme cela est possible que des jeunes filles qui vont à la fac, qui sont étudiantes, qui ont un bon niveau intellectuel et culturel, comment elles arrivent par la situation d’emprise à se retrouver dans des situations abracadabrantesques.

Sceneario.com: Pensez vous que vos romans ou la BD, vont aider à faire prendre conscience au public que cela existe?
Agnès Audin:
Non seulement que ça existe, mais aussi montrer comment les institutions fonctionnent. Cela peut arriver à tout le monde. On pense que comme on fait partie d’un milieu favorisé, on est protégé.. et bien non. Cela fait encore parti des tabous. On parle de plus en plus de l’inceste, dans 2 ans on parlera encore plus des pédophiles, car il fallait attendre que les gens soient prêts à entendre ça aussi. Je pense que c’est un phénomène de société qui accompagne les moeurs de la société avec ce qu’on accepte aujourd’hui et ce que l’on accepte pas.
Le fait de le montrer par des histoires vraies, c’est aussi forcer les gens à prendre conscience de ça et de ne pas fermer les yeux. Tout le monde peut avoir un rôle à jouer, que ça soit la maitresse, l’infirmière, le médecin, la copine qui entend quelque chose, la maman qui entre midi et deux entend des enfants parler. On a tous un rôle à jouer dans la protection des enfants. Le fait de raconter ces histoires ça montre aussi la manière dont les adultes réagissent en bien ou en mal et quel impact cela peut avoir sur le discours de l’enfant ou sur la procédure. Si un jour ça arrive aux gens, peut être qu’un jour ils se diront qu’il doivent en parler tout de suite, qu’ils ne vont pas cacher, ni avoir honte.

Sceneario.com: Vous êtes à la fois pour dénoncer un système, et à la fois pour accompagner le public dans la manière de voir l’inceste.
Agnès Audin:
Surtout la manière de réagir face à ça, car souvent on dit qu’un pervers est malade. Oui c’est vrai. Mais souvent ces hommes là, ont aussi des femmes, qui pour moi sont pires, car elles ne sont pas malades, parfois oui, sous emprise, parfois vivent sous les coups. Mais parfois il n’y a pas de violence, pas de dépendance financière, et pour autant soit elles ne veulent pas savoir et elles y arrivent et ça je ne l’explique pas de manière pratique. C’est ça qui est intéressant de montrer toutes les phases. Dans la pédophilies il n’y a des victimes qui sont toutes plus ou moins les mêmes, les pédophiles pas forcément et il y a les femmes qui sont autour, les maitraisses d’école qui ne veulent pas croire… Le procès Outrau il a fait beaucoup de mal…

Sceneario.com: Dans votre vie à vous, avez vous été proche de ça, ou est ce uniquement votre métier qui vous fait vous dévoiler ainsi ? Désolé de vous poser cette question, on ne se connait pas mais… l’album me fait penser à ça…
Agnès Audin:
 C’est bien d’oser poser la question…

Sceneario.com: Sur la couverture, on voit un ange / papillon dans votre tête… et je me dis que peut être, vous aussi, vous avez été touchée …
Agnès Audin:
Disons que…… de manière….. consciente, je dirais que non. En revanche, ce que je peux dire c’est que Sacha, la petite et grande fille dont on parle, fait des rêves étranges et ne se souvient pas, c’est moi. J’ai fait des recherches sur moi, afin de comprendre pourquoi je n’ai pas de souvenir. Je n’ai pas encore remonté cela de moi, je ne peux donc pas vous le dire. Je n’en sais rien ; je pars du principe que je n’ai pas été victime mais que potentiellement j’en ai plusieurs caractéristiques. Si je parle à un médecin, il me dirait « Vous savez, vous aussi, vous avez peut-etre été confrontée à ça »… je le regarderai alors avec un grand sourire  et je lui dirai « oui peut être mais je ne m’en souviens pas ».
Je ne peux pas répondre à cette question…Vous êtes le premier à me la poser et je suis sincère dans ma réponse.

Sceneario.com: C’est la couverture de l’album qui m’a fait penser à ça pour vous.
Agnès Audin:
Ce n’est pas moi qui ai dessinée la couverture ou qui l’ai choisie, mais c’est vrai aussi que je me sers de ça car je sais que ce sont des choses qui arrivent, et que parfois il arrive de ne pas se souvenir. Il existe des procédés aujourd’hui notamment l’hypnose, et c’est d’ailleurs dans la suite de la BD, où Sacha ira sur le divan… ce sont des choses que j’ai vécues auxquelles je crois, même si ce n’est pas forcément reconnu aujourd’hui. Ils sont reconnus pour le syndrôme post traumatique quand des soldats reviennent de la guerre, quand on a vécu les attentats du bataclan, le cerveau peut enfouir quelque chose dans la mémoire et avoir peur de le ressotir. On comprend seulement maintenant pourquoi des gens se réveillent 15 ans après , car en fait le cerveau l’a protégé durant toutes ces années. L’hypnose est un des outils qui permet d’accéder à ça et après de réussir à vivre avec. Quand on ne s’en souvient pas c’est l’inconscient qui gère et la personne est en mode survie tout le temps, tout le temps, tout le temps… et cela développe des maladies.
C’est plus facile de parler pour moi dans la BD de ces choses là, que dans les témoignages. 

Sceneario.com: Nous ne travaillez pas dans un univers de conte de fées… pourtant vous avez été surnommé Raiponce en rapport avec vos grands cheveux. Qui est la première personne qui vous a appelé comme ça? Est ce un surnom utilisé professionnellement ou aussi personnellement???
Agnès Audin:
 Un commissaire que j’ai rencontré durant la période de préparation du défilé du 14 juillet. Devenu un pote avec qui j’ai fait mes premières vendanges en septembre de cette même année 2011.Et il m’a surnommée Raiponce
Ce surnom a été à nouveau utilisé en brigades des mineurs mais jamais quand j’étais à la PAF : en tenue j’avais toujours les cheveux attachés.
Donc plutôt un surnom pro que perso

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ENFANCES PERDUES : premières enquêtes

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