Interview

EFIX

SCENEARIO.COM: Peux-tu te présenter et quel a été ton parcours professionnel ?

FX: "My name is Robert. François-Xavier Robert", comme aurait dit un autre serviteur de sa majesté la reine des pommes.
Quand un copain en CM2, fou de BD, comme moi, a su que certaines initiales pouvaient se transformer en surnom (vous connaissez Georges Remi ?), il a immédiatement transformé F.X. en efix. Et c’est comme ça que j’ai commencé
à signer mes premières BD (une parodie de Goldorak, à l’époque).
A 10 ans, je ne mesurais pas la prétention d’une comparaison entre mon aœûûûvre naissante et celle finissante du grand Hergé.
Je ne faisais qu’ajouter une pierre à mon petit édifice personnel : "Quand je serai grand, je serai dessinateur de BD !".
Depuis, tout le monde m’appelle comme ça, même ma propre mère.
Je ne doute pas que j’aurais fait un très bon Jipé ou un excellent Jeff, mais je ne m’appelle ni Jean-Pascal, ni Jean-François …
Dommage.
Après le CM2, que j’ai redoublé, l’Education Nationale (dont je suis familialement issu de générations en générations) a prolongé
le calvaire jusqu’à l’âge officiel d’obligation : 16 ans.
A partir de là, j’ai enfin pu me consacrer à plein temps à des choses un peu plus sérieuses : la BD et les filles.
Si on ajoute à ces deux hobby, un goût immodéré pour les choses qui divisent les neurones en jolis petits feux d’artifices, je passerai sur les quelques années de n’importe quoi pour en arriver à mes 19 ans.
Je vivais depuis trois ans d’intérim sans qualification particulière, style isolation de toits à la laine de verre, en scaphandre et en plein été (90°C !), usines et autres "plonges" dans des restos.
Après quelques échecs et une dernière tentative de cure de désintoxication réussie, j’ai quitté
Paris pour Grenoble.
Et avec un prêt paternel et un autre bancaire en poche, j’ai rejoint deux potes pour monter un petit studio de graphisme qui a bien marché et s’est agrémenté de 3 salariées au cours des années qui ont suivi.
Quand j’ai pris la décision d’arrêter, on avait ouvert un "département" Cartoon et BD au sein de la boîte, depuis un an et demi :
"Edgar, le cochon en smoking". En gros, je faisais, seul, ou en équipe réduite, de la "communication" souvent interne, et parfois externe, aux entreprises. Je crois que si on regarde la Télé 24 heures sur 24 pendant les 39 mois d’hiver, on doit pouvoir encore tomber sur un "jingle" météo sur France 2 et France 3, avec un petit camion tout sourire qui traverse les saisons. Bref, pas grand chose ramené aux proportions de notre boîte, mais bien assez pour une personne.
Je suis donc parti un été, au bout de neuf ans, en bonne entente avec mon dernier associé pour faire ça tout seul, en indépendant, comme on dit (indépendant de quoi ?).
Le studio existe d’ailleurs toujours.
À part cette année, où je tente pour la première fois d’inverser la tendance, je vis, depuis, à 90% d’illustrations diverses et variées, de dessins animés, d’affiches, etc et à 10% de droits d’auteur.

En parallèle à tout ça, j’avais bien soumis un projet (avec un copain au scénario), difficilement réalisé pendant les nuits et les week-end (44 planches, premier volume d’un truc un peu intello et limite chiant, prévu en deux albums) à tous les éditeurs de la galaxie.
Mais, bien sûr, le projet ne "correspondait" à aucune "ligne éditoriale de notre maison".
Je crois que le déclic (ou plutôt, l’explosion cérébrale) a eu lieu à Angoulême, en 1996.
Croyant bêtement que c’était l’endroit propice où présenter son travail, je m’y suis pointé, la gueule enfarinée, avec 18 530 projets de polars et de "tranches de vies" … en plein boum de la période Héroïc fantasy !
Évitons le mélo, pour faire court : en rentrant j’ai songé à arrêter, là aussi définitivement, le rêve illusoire de la BD.
Je vivais pas mal du dessin déjà, alors pourquoi persister dans une voie plus dure, plus longue, moins rentable et sans avenir ?
Pas touché un crayon pendant presque six mois.

SCENEARIO.COM: Tu as auto-édité le premier tome de "Mon amie la poof", avant de passer chez petit à petit. Qu’est-ce que cela a changé pour toi ?

Ca va être plus court.
Suite logique de tout ça : ne plus jamais avoir à affronter l’indifférence, parfois même pas polie, des éditeurs que j’avais rencontrés à Angoulême, face à mon travail.
Alors, quand ma poofinette est née, je ne me suis même pas posé la question. Depuis le temps que j’étais en rapport avec toute la chaîne graphique, je connaissais pas mal les techniques et les prix de revient de la fabrication d’un bouquin.
Evidemment, c’était une hérésie comptable, j’avais oublié de compter plein de trucs, mais comme ça, au premier degré, avec des prix correctement négociés chez un des imprimeurs que je connaissais dans la région savoyarde, je pouvais éditer 1000 exemplaires de "Moorad" pour le prix d’un canapé et rentrer dans mes frais à 500 exemplaires vendus (35 francs de l’époque : le siècle dernier).
J’ai regardé mon canapé, tout défoncé, et j’ai pas hésité.
Et, mine de rien, malgré les galères, style livraison à Paris, avec ma 106 commerciale et les bouquins à l’arrière, l’auto-édition m’a surtout offert la sérénité de ne jamais penser à la moindre interdiction, censure ou réorientation de mon projet.
L’illusion parfaite de la liberté, quoi ! Avec "petit à petit", on s’est rencontrés par l’intermédiaire d’Alfred (auteur d’"Abraxas" chez Delcourt, entre autres) et autour de l’édition de "K" qui a été pris tel quel, sans la moindre modification.
Les discussions se sont étendues sur quelques mois, car j’avais du mal à lâcher ma poof à cause de tout ça. Mais très rapidement, Olivier, le boss de "petit à petit", m’a assuré la même liberté sur à peu près tous les points.
La seule concession a été sur la partie fabrication.
J’ai accepté la jaquette (je sais que tu la détestes, Arnaud !) et le changement de format.
Au niveau pognon, au lieu de le dépenser, je le gagne.
Pas beaucoup, certes.
Mais franchement, entre faire un truc sans être payé en enfilant toutes les casquettes, de la conception jusqu’à la diffusion, juste pour être libre d’écrire et dessiner ce qu’on veut et avoir la même liberté … en étant payé. Je crois qu’il n’y a même pas à comparer.
En plus, c’est officialisé sur un contrat renouvelable à chaque album, alors, hein ? J’allais pas m’gratter !
Depuis, le contrat est respecté à la lettre et je crois que je jouis d’une liberté de mouvement que je ne suis pas sûr de retrouver ailleurs.

Ah, tiens !? Non. C’est pas plus court !

SCENEARIO.COM: Tu a fait des pavé (plus de 100 pages petit format en noir et blanc) pour mon amie la poof. Quelles sont les différences en terme de temps de travail au niveau du scénario et des dessins par rapport à un album 46 pages couleurs grand format ?

Aucune différence.
Ce que je gagne en temps avec le petit format et le noir et blanc d’un côté, je le perds en détails de dessin et en couleurs de l’autre, alors comme ça fait la moitié moins de pages, c’est presque égal au millimètre. Pour le scénario, les idées passent de mon pauvre cerveau malade au papier par le truchement du "papier histoire" (pépère borde en anglais).
Je n’ai pas d’étape de scénario à proprement parler.
Sur les projets solitaires, en tout cas. Plutôt des notes en vrac. Et pas mal d’heures de réflexion…

SCENEARIO.COM: L’histoire et la raison de la création de "K, une jolie comète", ton autre bd, sont très tristes. Peux tu nous expliquer les raisons de faire cette bande-dessinée et ce que cela t’a apporté ?

Là aussi, je vais essayer d’éviter le mélo. Pour résumer : ma courte présence sur Terre rencontre malheureusement très souvent la mort depuis l’enfance. Et 2001 était placé
sous le signe de la grande faux.
Flip, alias Chric, un de mes plus vieux amis a perdu Kate (22 ans) dans un accident de voiture pendant que mon père (56 ans) mourait d’un cancer du pancréas dans le petit pavillon à la Tardi des "sans espoir" de l’hôpital Saint-Antoine à Paris.
Sale moment.
Malgré ma propre détresse (ou plutôt à cause de), celle de mon ami m’a touché profondément. On glissait tout doucement vers l’anéantissement total, tous les deux.
Un soir, j’ai appelé Chric qui, la veille, m’avait longuement parlé de Kate et de l’enfer de vivre l’impossibilité d’échanger des souvenirs communs. Vécus à deux, il en restait le seul détenteur impuissant et vain.
Alors je lui ai proposé de mettre tout ça sur le papier, juste pour se vider un peu et pour que cette vanité se transforme énergie.
Pas moins vaine, mais … énergique ! Hurler un peu notre vie en postillonnant à la face de cette mort ridiculement systématique et injuste.
Trois semaines plus tard, ivres de manque de sommeil et d’émotion, les doigts tachés d’encre, comme des mômes, enfin un peu détendus et soulagés, on souriait bêtement devant cette petite BD qui nous a aidé à nous relever.
Et on s’est mis à rêver qu’elle ne serve pas qu’à nous. Imaginée dans l’intimité, notre Kate de papier a commencé à réclamer sa propre vie et à vouloir s’échapper.
Très proche de nous deux, Alfred fut notre premier lecteur.
Le reste, je vous l’ai raconté plus haut …

SCENEARIO.COM: Tu travailles aussi sur les chansons mises en bd chez petit a petit. Comment choisis tu les textes que tu mets en images ?

Cédric Illand, qui s’occupe d’organiser ces collectifs entre autres, me soumet quelques chansons ou poèmes. S’il a, comme pour "Ex-robin des bois" de Téléphone, ou "Jolies femmes" de Victor Hugo des préférences, il m’en parle.
Si elles coïncident avec les miennes, on y va comme ça.
Les collectifs, c’est ce qui permet de financer des projets moins évidents, comme les zaventures de ma poof ou "K".
C’est un principe que je respecte et cautionne, mais dans lequel, honnêtement, je ne mets pas mes tripes.
J’ai participé comme ça au Boby Lapointe et Clo-clo sans connaître ni vraiment apprécier leurs univers à leur … juste valeur, disons.
C’est surtout un super exercice de style, court et amusant et un excellent tremplin pour découvrir de nouvelles têtes dans le monde de la BD.
"C’est bon, du bon sang neuf !" comme disait le comte des Carpates.

SCENEARIO.COM: Tu as fait partie du collectif auteurs de bande-dessinée contre le front national au cours des élections présidentielles qui ont réalisé des dessins entre le premier et le deuxième tour. Quelle a été ta motivation à faire des dessins à ce moment là ?

La même que les 8200 % de gens qui ont le règne du "De Gaulle, baba cool" sur la conscience, ça r’causit, non ?
Je descends rarement dans la rue, alors j’essaie d’avoir un civisme plus graphique.

SCENEARIO.COM: Et qu’en penses tu avec le recul ?

Si ça ne t’embête pas, je vais garder ça pour moi. Je n’ai pas de secret, ce n’est pas le problème, mais j’ai beaucoup de mal à me définir politiquement. Je réagis, c’est clair. Comme pour le reste de ce qui m’arrive dans la vie : par définition, sans beaucoup de réflexion.
Disons que je vire "ion", je garde "réflex". Mais la politique est un terrain tellement contradictoire que je ne tiens pas à venir y montrer
les miennes (de contradictions, j’veux dire).
Si j’peux m’permett’ une réponse qui ferait rougir de fierté mon défunt paternel : "Tout ça est beaucoup plus compliqué que ça".
Je ne peux pas regretter de réagir quand il est question d’instinct de survie, mais … "Tout ça est beaucoup plus compliqué que ça".

SCENEARIO.COM: Merci à toi pour le temps passé a nous répondre. Bonne continuations de la part de toute l’équipe.

Voilà !
C’est long, c’est pour ça que je me suis levé tôt, mais j’espère que ça t’ira. Pas évident comme exercice, mais, au moins, comme c’est moi qui écris les réponses, tu ne me verras pas me plaindre des problèmes d’interprétation de ce que j’ai dit, comme dans les canards papiers, style "Progrès" et autres "Dauphiné Libéré".
Merci pour ton intérêt à mon travail.
Content de vous avoir croisés, toi et Guillaume à la Défense, en 1911 !
A bientôt !

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