Interview

de Mario Alberti et Luca Enoch, les auteurs de Morgana

SCENEARIO.COM: Bonjour Mario et Luca. Avant toute chose, pouvez-vous vous présenter et décrire votre parcours professionnel ?
Mario Alberti:
Je pense que c’est en 91 que j’ai fait ma toute première BD, une courte histoire de SF de 4 pages dans un fanzine. J’ai eu de la chance : l’Intrepido, un vieux magazine, recherchait des nouveaux talents et il me recruta peu après. J’ai fait quelques histoires pour eux (sur des scripts de Michelangelo La Neve, qui est maintenant scénariste de « Le Jour des Magiciens », également pour les Humano), et ensuite j’ai rejoint l’équipe d’artistes pour « Nathan Never » et « Legs Weaver », 2 séries de SF publiées par Sergio Bonelli. Je travaillais depuis lors sur celles-ci et j’ai seulement arreté cette année quand j’ai réalisé que j’étais trop impliqué dans mes projets avec les Humanoïdes Associés et que vouloir faire trop de choses à la fois nuirait à la qualité de mon travail.

Luca Enoch: j’ai toujours été intéressé par les bds depuis que mes parents m’ont donné quand j’avais un an, le « Corrierino dei Piccoli », un journal plein de bandes dessinées pour enfant. Pour l’ « Intrepido », le même magazine où Mario débutat sa carrière professionnelle, j’ai créé le personnage de SPRAYLIZ, une jeune fille folle de « graph » ; les personnages marrants de SKATERS, une bande d’ados, réalisant des accrobaties avec leurs skates ; NINJA BOY, un jeune garçon qui apprend les arts martiaux ninja par le concierge de son école, un vieux japonais défoncé; PIOTR, la vie d’un lapin, acteur dans des films Hardcore.
Actuellement, sur la proposition de l’éditeur Sergio Bonelli, j’ai créé un personnage pour mon magazine bi-annuel, GEA : une très jeune fille, fan de rock&roll, bassiste et dernier rempart contre les invasions de monstres démoniaques venus d’univers parallèles.

SCENEARIO.COM: Mario, comment as-tu rencontré Luca Enoch ?
Mario Alberti:
nous avons commencé tous les deux à travailler pour le même fanzine, et finallement nous nous sommes rencontrés dans un festival sur le stand de l’ « Intrepido ». Je vivais à l’époque à Milan, où habite Luca, et nous sommes alors devenus amis et avons commencé à rêver de nos propres séries et projets.

SCENEARIO.COM: Peux-tu décrire une journée de travail sur Morgana ? Comment travailles-tu avec Luca, par internet, dans un studio ?
Mario Alberti:
Je travaille à la maison, alors ça arrive que le travail et la vie de famille interférent entre eux, ce qui fait que c’est dur d’avoir un déroulement « standard » … Les enfants peuvent être vraiment très prenants. Dans tous les cas, j’essaye de travailler au moins 8 heures par jour, soit en me levant très tôt le matin, soit en me couchant très tard le soir… jamais les deux à la fois ou alors il suffit de quelques jours pour que je ressemble et agisse comme un zombie.
Je ne vis plus à Milan, et donc le travail avec Luca se fait principalement par email. Quand nous avons la chance de nous rencontrer, dans des festivals la plupart des fois, nous discutons longuement des prochaines scènes, et essayons de mettre au point le script… De fait, nous devons être un peu ennuyants pour les gens qui nous accompagnent qui voudraient sans doute voir se terminer nos interminables discussions.

SCENEARIO.COM: Mario, peux-tu nous parler de ta technique de dessin ?
Mario Alberti:
Je (ou Luca, lorsqu’on travaille sur Morgana) fais un premier jet du storyboard pour décider comment poser l’histoire dans les pages. C’est un croquis très rapide, et presque illisible pour n’importe qui d’autre, qui m’aide à visualiser et décider le nombre, la taille des images et des pleines pages… ce genre de chose. Je pense que vous appelez ça le « découpage » (en français dans le texte).
Après cela, je crayonne en bleu la page (le bleu n’apparaît plus lorsque la page est scannée) et je surligne au marqueur. J’utilise ceux avec des pointes de 0,05 ou 0,1, et de 1, et je retouche les traits avec un correcteur blanc par la suite. Avant que l’ordinateur n’atterrisse sur mon bureau, j’avais l’habitude de faire les corrections et les ajustements avec du papier adhésif (et évidemment, ca m’arrivait de finir avec plusieurs couches d’esquisses sur une feuille de papier) mais maintenant, je fais cela directement sur le PC. C’est étonnamment plus facile d’allonger un bras trop court, ou de repositionner un œil avec Photoshop !
Après que l’encrage soit fait, je scanne les pages et les colorise avec le PC. Je n’ai pas réellement de technique : c’est plus un processus d’essai-correction.
La bonne chose avec les ordinateurs, c’est qu’ils sont vraiment patients et la plupart du temps autorisent les changements d’idées.

SCENEARIO.COM: Tu es à la fois scénariste et dessinateur. Luca est quant à lui scénariste sur cette série. Comment vous partagez-vous le travail ?
Mario Alberti:
Nous discutons en détail ensemble le script, et nous écrivons des ébauches de dialogues ou des descriptions de scènes, des successions d’idées, jusqu’à ce que nous soyons satisfaits du résultat. Sinon, on ne peut pas vraiment dire qui fait quoi.
Après cela, Luca fait un storyboard que j’utiliserai comme point de départ à l’ébauche des dessins, cela aide à poser correctement les 54 pages et à sentir le rythme de l’histoire dans son intégralité. Avant de commencer, je fais également beaucoup de croquis et d’études pour les personnages, les arrières plans ou les objets que nous utiliserons, et je collecte autant que possible de la documentation, des photos des images ou des séquences de films qui pourraient être utiles à la visualisation. Et alors seulement je commence à dessiner.

SCENEARIO.COM: Comment est née Morgana ? Comment as-tu eu l’idée de cette histoire ?
Mario Alberti:
Morgana est née lors d’un voyage en voiture vers Lucca, il y a quelques années.

Je trouve que voyager est vraiment inspirant… peut être parce qu’en conduisant, vous ne pouvez pas faire beaucoup plus de chose que parler, mais je préfére penser que tous les voyages ont leurs petites aventures intérieures, attendant de développer leurs potentiels soit dans le vrai vie ou juste dans la fiction.

SCENEARIO.COM: Ce que j’aime vraiment dans Morgana, c’est le mélange entre la haute technologie et la magie. C’est un peu le mélange de la science-fiction et de l’héroic fantaisie. C’est le genre d’histoire que vous aimez particulierement ? Quelles sont vos influences ?
Mario Alberti:
En effet oui. Je pense que la frontière séparant la technologie de la magie est toujours en mouvement, et peut être tracée, si c’est réellement possible, seulement sur des périodes données dans le temps. Morgana parle de beaucoup choses, l’une d’elle explore ce concept.

Mes influences sont trop nombreuses pour être dénombrées. Nouvelles, BDs, films, livres, expériences… je ne mentionnerai qu’une de chaque :
– nouvelles : Le « Dune » de Frank Herbet
– BDs : « Nausicaa » de Hayao Miyazaki
– Films : « Mahabarat » de Peter Brook
– Livres : Le “Bhagavad Gita”
– Expériences : yoga

Luca Enoch J’ai toujours aimé le Flash Gordon de Alex Raymond, où fantasy et science-fiction sont habilement mélangées. De plus, une de mes nouvelles graphique italienne préférée est « The Brigands », par le grand Magnus qui, d’un classique de la literature chinoise , a fait une grande histoire où fantasy, technologie futuriste, et éléments médiévaux sont armonieusement mélés

SCENEARIO.COM: En combien de tomes est prévue Morgana ?
Mario Alberti:
et bien, nous sommes assez fous pour prévoir 3 trilogies et un tome de fin. Chaque trilogie terminera un cycle.

SCENEARIO.COM: Pour quand est prévu le tome 3 ?
Mario Alberti:
nous espérons fin 2004

SCENEARIO.COM: La question romantique : est-ce que l’amour entre Morgana et Voort sera de nouveau possible, comme lorsqu’ils étaient jeunes ?? 😉
Mario Alberti:
Aaah, veux-tu réellement que je te le dise ? Attends toi à l’inattendu !
Luca Enoch pas moyen si tu ne paye pas ! 😉

SCENEARIO.COM: Pourquoi avoir choisi les Humanoïdes Associés pour publier votre BD ? N’existe-t-il pas d’éditeur italiens ?
Mario Alberti:
Nous avons choisi les Humanoïdes car nous avons vraiment aimé les gens que nous y avons rencontrés, je dirais que c’est la raison principale.
Mais je dois ajouter qu’apparaître dans le même catalogue hébergeant des gens comme Moebius a son propre charme.

Aujourd’hui, pour ce que j’en sais, il n’existe pas d’éditeur italien qui produirait des albums dans le format français (grand, en couleur, avec une couverture rigide et avec des histoires qui finissent après un nombre défini de tomes) et Morgana fut concue et réalisée pour être comme ça.
Luca Enoch si tu veux publier une BD comme Morgana en Italie, tu dois trouver un éditeur à l’étranger – ce que nous avons fait avec Les Humanoïdes Associés – et alors seulement tu peux revenir au pays, comme Barbucci and Canepa l’ont fait avec « Sky Doll »

SCENEARIO.COM: Comment est le marché italien de la BD ? Y a-t-il beaucoup de lecteurs de BD comme en France ou en Belgique ?
Mario Alberti:
Ca pourrait faire l’objet d’un débat. Les lecteurs sont nombreux mais la plupart recherchent quelque chose de complétement différent des bds : des séries sans fin à petit prix avec beaucoup de pages, en noir et blanc et largement diffusées. La qualité est un plus comme partout bien sûr.

SCENEARIO.COM: Est-ce facile d’être auteur BD en Italie ?
Mario Alberti:
je suppose que non. D’autant plus qu’aujourd’hui le marché semble s’essouffler.

SCENEARIO.COM: Quels sont vos autres projets ? Avez-vous d’autres bds en préparation ? Avec qui ?
Mario Alberti:
en ce moment je travaille sur la préparation de croquis pour une nouvelle série, que nous appelons « Redhand », écrite par Kurt Busiek et produite par les Humanoïdes US. Ce qui signifie que je vais alterner entre celle-ci et Morgana dans l’avenir. Comme n’importe qui faisant ce boulot, j’ai ai encore plus dans les tiroirs, mais ils devront y rester…

Luca Enoch :Je travaille actuellement sur le sujet et le scénario d’une histoire policière dans le XVII siècle au japon, pour une nouvelle collection des Humano. Le titre provisoire est « L’Hollandais et le Samurai », nous en sommes juste au début.
Dans quelques semaines, après une réunion avec Mario, je vais commencer le storyboard du troisième épisode de Morgana.

SCENEARIO.COM: Quels sont les auteurs avec lesquels vous auriez aimé travailler ?
Mario Alberti:
Je n’en aurai jamais la chance, mais j’adorerais travailler avec Hayao Miyazaki.

SCENEARIO.COM: Quels sont les dernieres bds que vous avez lues ? Et celles qui vous ont particulierement plues ?
Mario Alberti:
La dernière BD que j’ai lue était « Monster Allergy », j’aime vraiment le travail de Barbucci et de Canepa.
Ma préférée de toujours (je dois certainement me répéter) est « Nausicaa ». J’ai évolué en temps qu’artiste avec le travail de Giorgio Cavazzano, Magnus, Andrea Pazienza, mais je dois beaucoup à énormément de monde : Otomo, Shirow, Moebius, Mignola… trop pour tous les nommer.

Luca Enoch le premier de tous, “LE” Flash Gordon du grand Alex Raymond and “LE” Tarzan de Russ Manning. Egalement quelques grands artistes italiens et français de nouvelles graphiques, comme Magnus, Andrea Pazienza, Moebius ; les argentins Juan Zanotto et Juan Gimenez et les japonais Katsuiro Otomo et Masamune Shirow.
Je viens juste de lire pour la 10eme fois « Bone » de Jeff Smith. Géant !

SCENEARIO.COM: Est-ce qu’il existe en Italie des sites traitant de la BD comme Sceneario.com ?
Mario Alberti:
Oui. Va voir ici, ils ont également des textes en français : http://www.ubcfumetti.com
Luca Enoch Oui, ils sont bons. En ce moment même tu peux trouver 8 pages en avant première de mon prochain album Gea.

SCENEARIO.COM: Comment avez vous découvert Sceneario ? Qu’en pensez-vous ?
Mario Alberti:
Google. J’essaye toujours de savoir ce que les gens en France aiment, et donc je jette un coup d’œil de temps à autres dans les revues de BDs. J’étais curieux de lire des commentaires sur Morgana 2, bien sûr.
Le site est vraiment bien, mais je n’ai exploré que quelques pages, j’en suis navré. Le temps est un tyran.

SCENEARIO.COM: Que pensez vous des sites web parlant de bd en général ? Pensez-vous qu’ils soient essentiels à la promotion des BDs, des auteurs ?

Mario Alberti: J’aime le fait que les gens ont une chance de se rencontrer et de discuter de ce qu’ils aiment malgré la distance. L’internet donne aussi l’opportunité aux auteurs de connaître quelqu’uns de leurs lecteurs, et d’écouter ce qu’ils pensent, ce qu’ils ont aimé ou non.
Egalement, et contrairement aux autres occasions « officielles », on a la chance de pouvoir poser des questions, de répondre et de lire quand on veut et ou l’on veut. Dans un sens, internet permet des rencontres quelque soit l’endroit et le moment.
Mais je pense que la possibilité d’aller «dans le mode entier » peut aussi être trompeuse et le vrai potentiel d’internet comme outil de promotion est surestimé. La promotion est par nature obligatoire, mais sur internet, non seulement vous pouvez – encore – décider de ne pas  » cliquer  » , mais il se peut que vous ne sachiez même pas où le faire.

SCENEARIO.COM: merci beaucoup pour vos réponses et le temps que vous nous avez consacré !
Mario Alberti:
Thank you! That’s it! Best wishes, Mario

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