Interview

De Laurent Astier, Auteur de Gong et Cirk

SCENEARIO.COM: Laurent, peux-te tu présenter, et décrire ton parcours professionnel jusqu’à maintenant ?
Laurent Astier:
salut ! Laurent Astier (si j’ai gardé mon nom de naissance, c’est par flemme de trouver un pseudo) âgé de 27 automnes (c’est vrai ça, pourquoi on compte toujours en printemps ?) originaire de saint Etienne (et pourtant n’ayant pas un fort penchant pour le football même si je suis un peu leurs résultats et donc leur lente descente aux enfers) et résidant en banlieue parisienne.

Mon parcours dans le dessin a commencé sur les traces de mon grand frère, de 2 ans mon aîné (qui soit dit en passant est un vache de bon raconteur d’histoire, de dessinateur et surtout de coloriste et qui n’a fait qu’un album pour enfant qui n’est pas du tout représentatif de son talent) vers 5,6 ans par des gardiens de vache (en anglais dans le texte) armés jusqu’aux dents, puis quelques bandes sur des histoires de trappeur à partir de 8 ans (histoires inédites que vous ne verrez jamais car j’avais la fâcheuse habitude de faire des bilans et de balancer le tout au feu ou la poubelle…) puis après quelques concours ados pour la Caisse d’Épargne, je suis rentré au lycée en F12 Arts Appliqués, puis j’ai continué dans la même voie avec un BTS _Expression Visuelle option Image de communication (diplôme qui prédestinait à la pub mais je savais déjà que je dévierais rapidement). Après un essai infructueux avec des potes de BTS de monter une agence de COM, je suis monté à Paris pour bosser en tant que graphiste – illustrateur pour un développeur de jeux vidéo (2 ans et demi de ma vie).

Mon arrivée dans le monde de la bédé s’est faite à ce moment-là en étant l’un des dix premiers du concours bédécouverte organisé par les éditions Glénat. Suite à ce concours j’ai rencontré Mister Rodolphe Soublin (qui travaillait à l’époque chez Glénat et à qui je dois d’être là où je suis …) qui m’a demandé si j’avais un projet car il voulait lancer une collection de Comix à la française en presse. Je lui ai proposé CIRK et c’est parti …

Malheureusement la collection n’a pas duré pour de sombres raisons de rentabilité.

En revanche, j’ai pu faire CIRK dans la collection Zenda (ce qui n’est pas un mal, bien au contraire) en refaisant, au passage, entièrement mes pages car les premières étant prévues pour la presse, elles n’avaient pas le niveau pour être en album cartonné.
et me v’là …
Puis j’ai enchaîné avec GONG aux éditions Vents d’Ouest.

SCENEARIO.COM: Comment se passe une journée de travail de Laurent Astier ?
Laurent:
Les journées ont tendance à ne pas commencer très tôt, plutôt vers 10h30, avec une bonne dose de café pour extirper les neurones de la léthargie.

Ensuite je passe la journée à tout ce qui est de l’ordre du laborieux, c.a.d. le dessin, les crayonnés poussés, l’encrage et je me réserve les nocturnes pour réfléchir aux nouveaux projets, aux bilans sur mon boulot de la journée, à l’écriture brouillonne, au story board compréhensible uniquement par son auteur (c’est à dire Môaa !).

SCENEARIO.COM: Vas tu continuer ta carrière solo?
Laurent:
Grande question que je me pose pas mal en ce moment car on commence tout juste à me proposer des projets de scénario.
Donc à voir. De tout manière je vais continuer à écrire et dessiner mes propres histoires même si je dois alterner avec le dessin d’albums écrits par un autre scénariste. Car mon but premier dans la bande dessinée, c’est de raconter des histoires et comme j’en ai pas mal en stock …

SCENEARIO.COM: Tu es à la fois dessinateur et scénariste. Si tu devais un jour faire une bd en commun, quel rôle aimerais-tu jouer ?
Celui du scénariste ou celui du dessinateur ?
Laurent:
En fait, je crois que je préfèrerais (enfin pour l’instant, car rien n’est figé) le rôle du dessinateur pour une seule raison, c’est qu’en étant uniquement scénariste d’un projet, tout en sachant dessiner, j’aurais peur d’avoir une idée trop précise du graphisme et d’être super chiant avec le dessinateur.
Tu vois, du genre « tatillon » !!!

SCENEARIO.COM: Quelles sont les auteurs qui t’ont inspiré dans ton style ou dans tes idées ?
Laurent:
Jean Giraud – Moebius (justement pour cette capacité à avoir deux casquettes, plusieurs manières de travailler, de penser et de sentir les choses), son frère de sang Katsuhiro Otomo pour son Akira fleuve…
Pour le noir et blanc, Will Eisner (pour ses mises en pages magistrales, pour l’inventivité de ses découpages et de sa narration, son encrage magnifique etc…) les couples Trillo – Risso, Munoz – Sampayo et toute l’école argentine pour la sensualité du trait, Frank Miller pour la puissance et l’impact, Pratt (pour la poésie), Michelluzi et toute l’école italienne des fumettis.

SCENEARIO.COM: Combien de temps t’a-t-il fallu pour écrire Gong ?
Laurent:
Je ne sais pas exactement car l’écriture, à l’inverse du dessin, est difficile à quantifier. Tout se passe dans un coin de ma tête où je laisse lentement mûrir l’idée, puis la trame. Je ne me mets à écrire qu’au moment où il y a un vrai déclic, où je sais que tout est réglé, que tout fonctionne.
Après tout se passe en quelques heures pour jeter ça sur le papier, enfin sur l’écran de l’ordi. Surtout que, lorsque j’écris un scénario, je ne vais jamais plus loin que le stade de la trame. Je n’écris pas les descriptions des lieux, les dialogues (sauf quelques bouts qui me semblent essentiels et que je ne veux pas oublier).
Par exemple, pour Gong, le scénario s’est limité à la voix off du speaker et de celle d’Anton.
Ensuite tout se passe au découpage et au story board.
C’est là que la narration se met en place véritablement…

SCENEARIO.COM: Pourquoi as-tu eu envie de raconter une histoire de boxeur? C’est un sport que tu as pratiqué?
Laurent:
C’est marrant, cette question revient souvent en dédicace et je ne sais pas quoi répondre.
Non je n’ai pas fait de boxe (d’ailleurs, tu devrais le savoir car tu m’as vu en chair et en os et je n’ai pas vraiment le gabarit !!!)
Cette idée est venue d’un bout de dessin griffonné sur le bord d’une tablette graphique en avalant un sandwich jambon fromage entre midi et deux.
Un dessin hommage à Frank Miller avec un boxeur mastodonte assis dans le coin d’un ring, ramassé sur lui-même, pensif et triste.
Toute l’histoire est partie de là ?
Pourquoi est-il si mal ? , me suis-je demandé
Et vlan, tu te prends l’histoire d’un boxeur en devenir qui va bousiller sa carrière à cause de la mafia.
Alors tu te dis, c’est du déjà-vu, mais comment rendre cette histoire neuve, comment la retourner, quel point de vue porter sur l’histoire ?
Car je pense qu’il y a très peu d’histoires neuves, c’est uniquement le regard que l’on porte qui est important
(bon allez, j’arrête mes grandes phrases)

SCENEARIO.COM: D’où tiens-tu tes sources? Un boxeur, un coach ou un speaker radio t’ont aidé? ou es-tu abonné à Canal PLus ?
Laurent:
Sans faire de pub, juste un abonnement à la chaîne cryptée et le visionnage de quelques matchs avant de commencer.
D’ailleurs quelqu’un m’a dit après coup (pour avoir pratiqué la boxe française) qu’il y avait une petite erreur car Anton n’a pas pu faire une douzaine de matchs en un an.
Donc désolé pour les fans de boxe !
D’ailleurs, là, je vais me couper le petit doigt (de la main gauche bien sûr, car je suis droitier, sinon vous n’aurez pas la suite de CIRK …) à la méthode yakusa !!!!

SCENEARIO.COM: le découpage de Gong est vraiment particulier, ainsi que la narration dont l’un des fils conducteurs est le commentaire du speaker qui parcourt les hauts des pages. Comment t’es venu cette idée ?
Laurent:
en fait, j’ai voulu avoir un découpage et une narration très cinématographique tant au niveau du rythme, que des éléments comme la voix du speaker qui fonctionne comme une voix off, une ambiance sonore dans une bédé, curieux challenge.
En plus, je me suis rendu compte qu’on l’oubliait rapidement en se plongeant dans l’histoire, (pour l’avoir relu une ou deux fois) tout en sachant qu’elle était quelque part là-haut, comme si on baissait le son.
J’ai voulu aussi ne pas avoir de page titre avant le début de GONG mais placer une intro avant de découvrir le titre.

SCENEARIO.COM: Peux-tu nous expliquer un peu la technique de dessins que tu as utilisé pour Gong ? Les doubles pages sont-elles dessinées sur un A3, ou directement au format de la page ? comment mets-tu en couleur ?
Laurent:
La technique est très particulière pour GONG car je voulais essayer ce que j’avais appris à utiliser comme outil dans le jeu vidéo : la tablette graphique.
J’ai donc entièrement réalisé cet album avec cet outil, même les esquisses préparatoires, story-board, crayonnés (si on peut appeler ça comme ça) et encrage (idem).
Les planches sont travaillées en double page directement, ce qui permet d’avoir une meilleure vision et de vraiment travailler ce que va voir le lecteur, comment diriger son regard etc. … (technique que j’ai reprise pour CIRK tome 2 même si l’encrage est classique et sur papier)
Pour la mise en couleur sur un album noir et blanc, c’est difficile, à part la couverture. (éh éh !!!!)
Donc idem pour la couverture, entièrement réalisé sur tablette (dessin et couleur)

SCENEARIO.COM: Pourquoi avoir choisi ce format d’album ? Un besoin de place ?
Laurent:
C’est vrai que plus de 100 pages (112 exactly !), c’est vraiment le pied pour raconter ce type d’histoire, car, comme c’est une histoire introspective, on a le temps de bien présenter le personnage central, les personnages secondaires, de voir évoluer sa psychologie, de mettre en place une narration différente, de nourrir le récit avec d’autres choses (voir les allégories), de donner de la profondeur au récit, de travailler la mise en page, le rythme etc …
Une très bonne expérience pour justement faire de l’expérimental et de se nourrir pour les projets suivants.

SCENEARIO.COM: Quels sont les retours que tu as eu sur cette BD ? Comment le public ou les professionnels l’ont accueillie ?
Laurent:
Pour l’instant, les retours sont excellents, surtout par les professionnels et la presse. Pas mal de jeunes auteurs de ma génération (et quelques autres plus anciens) viennent me féliciter pour mon album, pour me dire qu’ils ont adoré, me croyant parfois beaucoup plus vieux que ce que je ne suis (pour des histoires de maîtrise de la narration et du découpage, paraît-il !!!). J’ai eu des supers critique dans la presse, une chronique mémorable dans le 13-14 sur France Inter où la journaliste a défendu bec et ongle mon bouquin.
C’est vraiment très surprenant et un peu déstabilisant après le passage sans bruit de mon premier album.
Pour le public, c’est un peu plus mitigé car c’est un album en noir et blanc et le noir et blanc est beaucoup moins vendeur.
D’ailleurs pas mal de gens en festivals entrouvrent mon bouquin et le referme aussi sec en soufflant (ah! c’est en noir et blanc)
Je pense que le grand public est tellement habitué au formatage du 46 pages couleur cartonné, qu’un 100 pages en noir et blanc format souple leur apparaît comme une chose étrange.
On colle souvent au noir et blanc l’étiquette d' »Intello-rébarbatif » ou de  » Underground sous acide ».
En revanche, les fans inconditionnels de Bd sont souvent fous de noir et blanc
donc wala
Ce que j’ai dit n’est peut être qu’un ramassis de conneries, donc n’en faites pas cas !!!!

SCENEARIO.COM: quels sont tes projets ? Envisages-tu une suite dans le même univers que Gong ?
Laurent:
Les projets en cours sont CIRK tome 2 et 3, histoire de boucler la trilogie.
C’est vrai que j’aimerais bien extraire certains des personnages de GONG et leur faire vivre d’autres aventures, car je m’y suis attaché.
Mais pour l’instant, tout ça reste dans un coin de ma tête car je n’ai encore que quelques bribes d’histoire.
Mais l’idée serait de faire deux séries parallèles qui s’entrecroisent, se chevauchent, se télescopent
Donc un énorme boulot en perspective tant au niveau de la documentation, que du scénario en lui-même
Mais ce n’est pas pour tout de suite !!!!

SCENEARIO.COM: Quels sont les dernières BDs que tu as préférées ?
Laurent:
Je ne vais sortir que trois bouquins :
CHE de père et fils BRECCIA
Afghanistan de Michelluzzi
Escapo de Paul Pope
Il faut dire que je viens juste de me remettre à lire de la bande dessinée
J’avais un peu arrêter depuis deux ans (quasiment)

SCENEARIO.COM: Connais-tu le site Sceneario.com ? Quand penses-tu, et que penses-tu que peux apporter le web à la bd en général ?
Laurent:
En fait, je connaissais le site car je cherche de temps en temps s’il y a des critiques sur mes albums (eh oui, je fouine pour savoir ce qu’on pense de mon boulot !!) et je suis tombé sur votre site où j’étais en coup de cœur.
Mais vous avoir rencontré au festival de Cluny a été plus sympa et m’a poussé à fouiller un peu plus le site qui me paraît super complet et bien fichu.
Et puis c’est un peu LA solution alternative à la critique des magazines déjà établis.
Surtout que votre concept de mettre en avant les albums que vous avez aimé et ne pas détruire gratuitement ceux qui ne vous ont pas plu, me paraît être une super solution car la bd demande tellement de travail et la critique peut être tellement destructrice !!!!
Donc merci et que tout ça dure encore longtemps !!!

SCENEARIO.COM: Quel est ton pronostic pour le championnat du monde poids lourds 2003 ?
Laurent:
si Tyson le « Tatoué » combat encore
Victoire en moins d’une minute !!!

SCENEARIO.COM: Un grand merci à toi Laurent et on te souhaite plein de succès pour tes futures BDs !

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