Interview

De CADELO auteur hors du commun

Sceneario.com: Tout d’abord l’habituelle question : pouvez-vous nous raconter votre parcours, votre formation et ce qui vous a amené à vous lancer dans la Bande dessinée et l’illustration ?

Silvio Cadelo: Les beaux-arts d’abord, puis, j’ai intégré une troupe de théâtre expérimental à Modena.
Ensuite, j’ai été « révolutionnaire de profession », dans un rôle d’agit-prop théâtral et graphique.
À nouveau le théâtre comme scénographe, acteur et metteur en scène.
Ce sont les années 70, où tout bouge. Quand je me suis demandé « que faire ensuite ? », il m’est apparu que le statut de peintre qui s’ouvrait à moi n’était pas en prise directe avec la société, assujetti à un marché. L’interlocuteur premier du théâtre est toujours le public, celui d’un tableau, c’est un galeriste ou un critique.
Pendant ces années, j’ai suivi plein de magazines de B.D, et ce langage me plaisait beaucoup. C’est un art de la multiplication accessible à tous.
J’ai eu entre les mains « Métal hurlant » et j’ai compris que je voulais faire ça : de la B.D.

Sceneario.com: Vous vous étes très vite intéressé à l’art théatral, la scène mais aussi aux décors, à la mise en scène, on se rend bien compte que toute votre œuvre en est directement inspirée ( les personnages masqués, les costumes, les expressions, votre narration (surtout sur Envie de chien j’ai l’impression)! continuez vous, en parallèle de vos albums, à travailler dans ce domaine ?

Silvio Cadelo: Le théâtre comme toute forme d’art demande à être pratiqué pour être vraiment compris. Car la pratique de tout art change la vision du monde, transforme la vie tout en lui donnant une arme pour l’affronter et un outil pour tenter de la comprendre.
Dans les années 70, on a assisté à une explosion de formes théâtrales. Le « Living Theater » a changé les données du théâtre.
J’ai travaillé aussi avec Otello Sarzi un innovateur du théâtre de marionnettes.
Tout cela pour dire que la pratique du théâtre m’a formé et que peut-être que je fais passer cette expérience à mon insu dans la B.D. Malheureusement, je ne travaille plus pour le théâtre. Au fil du temps, les contacts se sont effilochés.


Sceneario.com: Comment se portait la bande dessinée italienne dans les années où vous avez commencé ?

Silvio Cadelo: Ces années-là (70-80) sont peut-être les plus glorieuses pour la B.D Italienne. Sous l’influence française et de la forte demande, beaucoup de magazines sont apparus. Autour des pilliers « Linus » et « Alter », il y a eu « Totem », « Métal hurlant » Italien et autres dont je ne me souviens plus, mais surtout « Frigidaire » qui fut un événement national.Ses rédacteurs me contactèrent à Lucca pour me demander de collaborer avec eux. Dans le même temps, Jean Annnestay me faisait entrevoir un possible accés au fabuleux marché Français.

Sceneario.com: Dans votre travail d’illustration en noir & blanc (je pense notemment au Zoo fantastique) et sur Skeol, votre approche du trait rappelle celui de Moebuis par exemple, quels sont les auteurs que vous lisiez, auxquels vous étiez attentifs ?

Silvio Cadelo: « Skeol » fut mon tout premier album. C’est évident que l’influence de Moébius est très forte même si la technique de la « hâchure » me venait de l’école des beaux-arts. A mes débuts les dessinateurs qui m’ont le plus influencé sont les dessinateurs de « Métal Hurlant » et qui me faisaient rêver : Moébius, Caza, Druillet, Bilal….Toute une génération de dessinateurs a été influencé par eux.

Sceneario.com: Depuis ce temps-là vous avez l’habitude de dessiner des créatures très étranges (votre travail pour les jeux de rôle, pour les costumes, y est pour beaucoup), tous vos héros sont particulièrement imagés. On a l’impression qu’ils vous permettent de vehiculer une certaine poésie ?


Silvio Cadelo: À mon avis, la B.D a comme effet de fabriquer des icônes, des nouveaux mythes et autres légendes. Je pense que le dessin est par excellence l’art de projeter, prévoir. C’est une machine à imaginer. Quand on monte sur cette machine, c’est elle qui nous guide, elle possède une logique propre et nous fait découvrir des choses inconnues. Sur la pointe du crayon se concentrent tous nos rêves, nos folies, nos fantasmes. Et tout le monde sait que l’inconscient, l’imaginaire avec ses monstres et ses beautés sont plus réels que la réalité. Je ne sais plus qui a dit que « l’imaginaire dévoile la réalité ».

Sceneario.com: D’ailleurs aucune de ces créatures ne fait référence à quoique ce soit d’ « existant » !

Silvio Cadelo: Si j’arrive à faire exister quelque chose qui n’existait pas avant, alors j’ai réussi mon travail.

Sceneario.com: Vous rencontrez Jodorowski et vous vous retrouvez sur « Le dieu jaloux », comment s’est passé cette collaboration ? on dit que le travail avec lui est très particulier !

Silvio Cadelo: C’est Annestay qui a demandé à A. Jodorowski d’écrire une préface pour le port-folio « Strappi ». Ensuite, A.Jodorowski m’a proposé de travailler sur « La saga d’Alandor ». J’en ai été ravi et enthousiaste. J’ai déménagé à Paris. Avec A. Jodorowski, on a eu peut-être quelques problèmes de compréhension car de mon côté, je voulais pour cette histoire, bâtir un univers à part sans aucun lien avec le réel. Et sans doute aurait-il préféré quelque chose de plus réaliste. Malgré tout, je suis très fier de ce travail. Je regrette de l’avoir abandonné au deuxième volume car je m’aperçois qu’il y a là quelque chose de jamais vu, un concentré d’inventions. J’aimerais beaucoup le reprendre, le revoir, refaire les couleurs, corriger des défauts dus à l’inexpérience. Mais il faudrait que l’éditeur et Jodorowski y croient. Et ça, c’est loin d’être gagné (je lance un appel).

Sceneario.com: Votre style progresse très vite, et on a l’impression que votre travail en couleur vous pousse a épurer votre trait ! Vous vous essayez en parallèle à de nombreuses expériences de style. Quel regard portez-vous maintenant sur toute cette période ?

Silvio Cadelo: Je ne m’en rends pas compte. Mon soucis, c’est d’adhérer à l’histoire.Je pense qu’il ne faut pas trop se préoccuper du « style » car il peut vite devenir une prison. Le style, c’est plutôt une vision du monde ; le fil rouge qui traverse une œuvre. C’est « quelque chose » dont on ne peut se débarrasser, qui remonte malgré tout en surface et non pas une construction esthétique artificielle comme on pourrait le croire.

Sceneario.com: Néanmoins le style fait partie intégrante de l’expression de l’artiste, nombre d’auteurs se sont essayé à d’autres styles pour tenter d’exprimer des choses différentes . Sur le deuxième tôme de « Envie de chien » vous jonglez avec les traitements et chaque fois l’impression et l’atmosphère changent. Vous ne vous préoccupez jamais de ça ?

Silvio Cadelo: Vous avez raison si par style vos entendez téchnique, esthétique, manière de traiter le dessin. Ce que j’entends souligner c’est l’idée qui est subjacente, mais, je me réserve le droit de dire des bêtises. Les voilà :
La BD est un « langage » composite. Si par exemple on choisi de donner un « style » pictural à l’image, les références culturelles de ce style seront limitées à la peinture figurative, jusqu’à Matisse peut-être, mais avec des artistes comme kandinski c’est déjà interdit. C’est donc une recherche de style castrée et parasitaire, l’image devient une sorte de « madeleine » qui as le parfum de peintures déjà faites avant nous.
C’est ainsi pour l’aspect littéraire du texte.
L’autonomie de la BD est dans l’ensemble de ces composantes. C’est dans l’ensemble que se manifeste le style de l’auteur, dans le montage de la séquence, dans le rythme et la manière de donner les informations et surtout dans l’univers narratif et les personnages.
La BD c’est le personnage. C’est lui qui incarne l’idée et qui traverse le temps. C’est Tintin et non pas Hergé . C’est Corto Maltese et non pas Pratt, Astérix est plus fort que Gosinny. C’est le personnage qui survivra au style de son auteur. Le personnage fait l’auteur. Mais je me trompe sans doute.


Sceneario.com: Le travail avec Jodo vous a fait connaître d’un plus large public, comment les gens ont « reçu » cet univers limite symboliste, très particulier, quelques fois hermétiques ?

Silvio Cadelo: Les gens que je rencontre m’en parlent toujours. Je crois que ce travail a surpris, dérouté, mais aussi, marqué les esprits.(Relatifs à la BD bien sûr)
Symboliste ? Hermétique ? Pourquoi pas ! Si on entend par-là que cet ouvrage contient des choses que l’on n’arrive pas à saisir tout de suite et qu’à chaque fois il en révèle des nouvelles, ça me convient. N’est-ce pas la caractéristique d’un travail riche ?

« La fleur amoureuse », « Alice » …

Sceneario.com: Ces deux albums sont, avec « Saturnin » plus tard, à part dans votre production. Mis à part l’érotisme latent dans les planches, ils presentent des êtres humains dans un univers plus « normal », aviez vous besoin d’un peu plus de distance par rapport aux œuvres plus personnelles que sont « Alandor » et « Envie de chien » ?

Silvio Cadelo: J’ai voulu toucher le thème de l’érotisme d’une manière légère et solaire ou tous les sens interviennent. Mais là aussi, le thème de l’altérité qui m’est cher, refait surface.

« Envie De Chien »

Sceneario.com: À ce jour, « Envie de chien » est un projet complètement à part dans le paysage de la bande dessinée. Dans la préface, vous en racontez la conception, pouvez vous nous en reparlez ? Vous avez créé visuellement le personnage bien avant la sortie du premier album ! Dans cette série, on y retrouve votre amour des personnages aériens, idéalistes mais aussi des univers décalés. Comme une plongée dans l’inconscient, dans un monde des rêves ! Envie de chien apparaît plus comme une sorte d’esprit, un lien vers d’autres mondes ! Pouvez-vous nous présenter cet univers, pour ceux qui ne connaissent pas cette série !

Silvio Cadelo: Je prends vos questions comme des compliments et comme le début d’une analyse de cet ouvrage. Envie de Chien est un « personnage », je crois. Dans le sens de l’« icône ». Il cristallise des idées qu’il faut découvrir. Il est « emblématique », il est l’autre, l’altérité, la face cachée qui appelle tous nos rêves, nos désirs inconscients et qui nous met en contact avec les mondes que nous contenons en puissance. C’est un messager, un passeur de et vers nous-même. C’est le « désir », l’« envie ». Dans ce sens, je crois qu’il peut traverser d’autres expressions artistiques. J’ai des projets, mais la collaboration d’un théoricien me serait précieuse (je lance un deuxième appel).

Sceneario.com: Vous parlez de l’altérité mais jusqu’à un certain point jusqu’ou vous mettez vous en scène dans ces personnages ? L’autre c’est aussi son regard sur soi ! ces personnages m’apparaissent comme des êtres profondémment solitaire à la recherche d’un absolu, êtes vous d’accord ?

Silvio Cadelo: Vous venez de repetér avec vos mots c’est que je viens de dire. « Les autres c’est nous » Je suis bien sur d’accord.

Sceneario.com: Pourrait-on justement en savoir plus sur ces projets autour d’Envie de chien?

Silvio Cadelo: C’est trop tôt.

Sceneario.com: J’aimerais aussi que vous nous parliez plus longuement de la genèse du projet, des correspondance avec des lecteurs etc. ! maintenant avec Internet ce genre d’expérience pourrait reprendre, Yslaire a ce genre de démarche sur XX eme siècle !

Silvio Cadelo: Cest mon intention. Cela fait partie dès mes projets pour Internet. Pour ce qui concerne la genèse d’Envie de chien je renvoi le lecteur sur le site qui lui est consacré


Sceneario.com: C’est ensuite l’expérience japonaise et ainsi le retour du personnage, comment ça s’est passé ? Et ce besoin de ramener ce héros dans une histoire plus conventionnelle, moins audacieuse ?

Silvio Cadelo: L’expérience Japonaise m’a permis d’organiser les histoires d’Envie De Chien sur un schéma plus classique, linéaire et sur un temps plus long ( 360 pages).
La technique du noir et blanc est jouissive et dans ce cas, très cohérente avec le personnage car la séparation du noir et du blanc est sans nuance. Le noir définit l’espace du blanc et vice et versa. L’un est défini par l’autre.

Sceneario.com: Et c’est eux qui ont pris contact avec vous ?

Silvio Cadelo: Oui, dans le cadre d’un programme qui prévoie de demander a des dessinateurs européens de se mesurer au manga

Sceneario.com: On a aussi l’impression que le lecteur n’est plus vraiment au rendez-vous ! n’auriez-vous pas envie de revenir une nouvelle fois vers des recherches plus symbolistes ?

Silvio Cadelo: L’édition Française de « les enfants de Lutèce » est une catastrophe du point de vue de l’édition. On ne pourrait pas faire mieux pour ne pas le vendre. En, Italie est sortie une belle édition en deux volumes chez « Hasard » qui a bien marché. Que dire ? Là aussi, il faudrait revoir et mettre à jour toute la série ( troisième appel). Ça se fera, si tout va bien, quand je serai mort. Néanmoins, son avenir est sur le net.

« Sulis et Demi-Lune »

Sceneario.com: Vous voilà de retour avec cette nouvelle série, de nouveaux personnages !

Silvio Cadelo: Je confirme tout ce que j’ai dis. « Sulis » et « Demi-Lune » sont encore des icônes, des emblèmes. On lit sur leur corps les failles de leur âme. La jeunesse porte sur son dos l’héritage des adultes, toutes leurs dettes impayées. Il n’y a que l’amour qui peut interrompre cette chaîne. Ce n’est pas une question de « romantisme », c’est une question politique, voire économique. La question de l’altérité qui est la clef de voûte de l’amour, elle est aussi celle de la politique. Sans elle, l’économie appelle la puissance, la domination, la guerre et la fin de toutes civilisations.

Sceneario.com: L’histoire est universelle, Roméo et Juliette retravaillé, pourquoi avez-vous voulu reprendre à votre façon ce classique des récits amoureux ? Alors un nouvel univers, pouvez-vous nous le présenter ?

Silvio Cadelo: La référence à « Roméo et Juliette » est évidemment voulue. Mais à la différence de ces deux amants, à la fête masquée, Sulis et Demi-Lune se blessent gravement. Et à partir de là, tout le monde l’aura remarqué, j’espère, la trajectoire change totalement. Dans le deuxième album, la référence as complètement disparu.
Les personnages portent des blessures symboliques. On dit que le nez est en rapport avec le sexe masculin. Remplacé par un nez de cochon, il amplifie l’identité sexuelle de Demi-Lune car il rentre dans l’âge des responsabilités, de l’héritage. Il est agressé au moment ou il exécute sa première tache en qualité de représentant de la corporation des bouchers. Sulis porte elle aussi, sur son ventre une blessure qui est un écho de son sexe. Elle change de consistance. Elle devient eau, quoi de plus féminin que l’eau, source de vie ? Pour se sauver, ils doivent sauver la ville. Je ne peux en dire plus car ces réflexions viennent après le travail accompli et ce sont les miennes. Je reste en attente de celle des autres.


Silvio Cadelo maintenant

Sceneario.com: Récemment je lisais que pour faire carrière dans la BD en Italie ou même en Espagne il fallait s’exporter, travailler en France par exemple. qu’en pensez vous ?

Silvio Cadelo: Ça revient à ce que je disais sur le marché Italien. Nombre de dessinateurs s’établissent en France, c’est une question de marché.

Sceneario.com: Vous êtes le webmaster de votre site, vous sortez un album travaillé avec des outils informatiques, quel regard portez-vous sur ces révolutions technologiques, et comment vous situez vous par rapport à elles ?

Silvio Cadelo: L’informatique est un outil extraordinaire et sa portée révolutionnaire mérite qu’on s’y intéresse. Dans toutes les époques ce sont les techniques qui ont révolutionné les arts, qui ont changé les goûts et la perception des images. L’informatique nous permet de manipuler l’image à l’infini et de la faire voyager. Dés aujourd’hui, on voit dans une image faite dix ans auparavant, des signes de vieillesse. Sans parler de l’évolution de l’image cinématographique grâce à l’informatique. Pour ce qui concerne internet, pour la première fois dans l’histoire, l’artiste est complètement maître de moyen de production et de la diffusion de son travail sans intermédiaire et à peu de frais. Il ne reste qu’à le faire savoir. J’ai des projets de production pour le web.Je compte sur vous pour les répercuter. Bien entendu, cela ne remplacera en rien, les circuits traditionnels mais c’est un nouvel espace qui s’ouvre et qui offre beaucoup de libertés et de richesses expressives.


Sceneario.com: Après plus de 25 ans de carrière derrière vous quel est encore le projet de vos rêves ? et que nous préparez-vous de beau pour les temps à venir ?

Silvio Cadelo:: Pour l’avenir immédiat, le deuxième album de « Sulis et Demi-lune » et peut-être la suite. Un projet web dont vous ne tarderez pas à avoir des nouvelles. La préparation d’une exposition itinérante. Une nouvelle graphique en chantier. Chaque jour m’amène des envies et je ne fais que commencer.

Sceneario.com: Pour l’instant en quoi consiste ce travail en multimédia ?

Silvio Cadelo: C’est un terrain vierge potentiellement tres riche pou la b.d. Je l’explore. Avant tout
Il me faut établir la base économique de ce média. Le premier projet Internet concerne
« La fleur amoureuse » je suis en train de le réaliser. Je pense, et surtout, j’espère que ce média me pérmettra de combler un écart de compréhension que j’aperçois entre mon travail et sa réception.

Je vous remercie énormément pour tout votre temps.

Publicité