Interview

Cromwell

Sceneario.com : Cromwell bonjour, ton dernier album, le dernier des Mohicans a été salué par la critique, peux tu nous parler un peu de sa genèse?

Le dernier des Mohicans

Cromwell  Il y a presque trois ans, Clothilde Wu m’a appelé. Elle sait que je suis assez féru de maquettes, elle voulait donc des conseils et des renseignements. Au cours de la discussion, elle m’a parlé de la collection, du format et des auteurs des titres à venir.
Au départ je n’étais pas vraiment intéressé dans la mesure où les adaptations ne m’ont jamais emballé. Les collections des éditeurs comme Delcourt ou autres collent au texte, elles sont institutionnelles et pas vraiment intéressantes. Lorsque j’ai dit ceci à Clothilde elle m’a répondu que ce projet n’avait rien à voir, car il s’agissait d’adaptations vraiment libres. Cela me semblait déjà un peu plus mystérieux, il y avait des choses à explorer. Ensuite nous avons abordé la question du format, Clothilde m’a dit que ce serait du format Comics, ce qui pour moi était intéressant. En effet dans le format Comics, ce ne sont plus les mêmes découpages et il y a longtemps que je rêve de m’essayer à ce format.
Au cours de notre conversation, Clothilde m’a cité des titres qui allaient peut-être figurer dans la collection, elle me cite alors le Dernier des Mohicans. A ce moment ça a fait tilt et je lui ai dit, je ne sais pas pourquoi : le Dernier des Mohicans, je le fais.
C’est une fois le téléphone raccroché que je me suis demandé comment j’allais m’y prendre, j’étais encore pris par Anita Bomba. Lorsque j’ai eu fini, j’ai attaqué quelques images à la peinture. Je commence toujours par les couvertures, quel que soit l’album, car tout le reste découle de la couverture. J’ai donc commencé à la peinture, en y mettant un peu de matière, c’est une nouvelle technique à laquelle j’avais envie de m’essayer.
Puis j’ai fait une deuxième couverture, et je me suis dit qu’il faudrait que je fasse tout le bouquin en utilisant la même technique, à la peinture. Avec ce projet on est en plein XVIIIème siècle et il y a tous les peintres que j’adore, ainsi que les romantiques du XIXème, comme c’est un roman du XIXème, j’ai donc foncé.

Sceneario.com : Cette histoire de James Fennimore Cooper fait partie de l’imaginaire collectif, comment peut-on se réapproprier le récit sans tomber dans le déjà vu ou le déjà lu ?

Cromwell  Je me suis bien sur posé la question. Lorsque Clothilde a évoqué le Dernier des Mohicans, des souvenirs d’enfance me sont revenus comme en flash. Je suis donc allé fouiller dans ces souvenirs de lectures que j’avais, et je suis parti de ces images qui me revenaient de quand j’étais môme.
En même temps, je ne voulais pas trop coller aux scènes du roman, et pour m’en détacher, il fallait que je créé des scènes. Alors avec Catmalou nous avons créé des scènes qui sont vraiment originales, qu’on ne trouve ni dans le livre ni dans le film qui, par ailleurs, trahi très bien le bouquin.
C’est en passant par les souvenirs d’enfance et en écrivant de nouvelles scènes que j’ai pu commencer à construire quelque chose pour raconter cette histoire qui est par ailleurs restée la même.

Sceneario.com : Comment as tu travaillé avec Catmalou la coscénariste ?

indien

Cromwell  C’était très compliqué pour Catmalou. Elle a d’abord lu le livre dans son intégralité puisque souvent on ne lit que les versions expurgées de la bibliothèque verte. Elle a ensuite tout décortiqué, puis nous avons regardé les coupes. Nous avons enlevé des personnages, dont un notamment, une espèce de maitre de chant qui désamorce un peu les choses tout le long du livre. Il ne m’intéressait pas sous cette forme là. J’ai choisi de le remplacer par un chien qui accompagnerait Uncas, fils de Chingachgook. Ce chien me permettait également de donner à l’adaptation une dimension un peu à la Jack London.
Avec toutes ces coupes de scènes qui nous permettaient aussi de passer d’un roman de 400 pages à un album de 120 pages, je voulais raconter la même histoire mais en en faisant une toute autre histoire.
Au fur et à mesure que je relisais ces scènes que l’on avait travaillées avec Catmalou, je les faisais déraper, j’en prenais des petits bouts et j’ai fini par construire avec ces petits bouts une autre histoire qui a commencé avec le messager qui se fait intercepter par Magua et tout découle de ça, comme un polar en réalité.

Sceneario.com : Tu n’avais pas de scénario ou de storyboard pour te guider?

Cromwell Il n’y avait aucun scénario, je demandais à Catmalou d’écrire seulement quand elle voyait les images. On discutait ensemble des scènes que j’avais commencé à élaborer dans ma tête, je lui racontais un peu et elle repartait écrire au fur et à mesure que je lui remontais des pages. C’était un exercice très périlleux pour elle, d’autant plus qu’elle n’avait jamais touché à la bande dessinée.
Au départ, elle collait un peu au texte d’origine, mais je voulais sa propre façon d’écrire, donc je la provoquais aussi en la mettant sans cesse en danger. Je n’ai été satisfait que lorsque j’avais son écriture à elle, car j’aime beaucoup sa façon d’écrire.

Sceneario.com : C’était un exercice très périlleux pour elle.

Cromwell Très périlleux, d’autant plus qu’elle n’avait jamais touché à la bande dessinée. Au départ, elle collait un peu au texte, mais moi je voulais sa façon d’écrire, donc je la provoquais aussi en la mettant en danger tout le temps.
Je n’étais satisfait que lorsque j’avais son écriture à elle, car j’aime beaucoup son écriture.

Sceneario.com : Pourquoi avoir fait le choix de la bichromie avec cette alternance de teintes rouge et vertes?

Anita Bomba

Cromwell  Je n’ai pas vraiment changé de méthode par rapport à Anita, j’ai juste poussé les rouges, les verts et les ocres jaunes. Je ne suis pas coloriste comme Riff Reb’s. J’aime bien le noir et blanc et le lavis. J’ai utilisé la méthode des expressionnistes allemands qui coloriaient la pellicule. J’ai donc gardé une dominante de teinte de gris qui permettait de faire de la bichromie

Sceneario.com : Comment ton projet a-t-il été suivi par l’éditeur ? Il n’y a pas eu de craintes de sa part ?

Cromwell  Si, je crois que j’ai vu de la crainte dans les yeux de l’éditeur quand il a vu arriver juste des peintures. Petit à petit j’ai monté des pages pour le rassurer évidemment, mais aussi pour me rassurer moi-même. J’ai bien réfléchi à l’approche, mais je n’étais pas certain de la méthode à utiliser. Aujourd’hui je suis sur que c’est ce qu’il fallait faire, en dépit de toutes les erreurs qu’un premier livre comme cela peut comporter. Mais on ne fait jamais un livre parfait, après un livre parfait, on n’aurait plus qu’à mourir.

Sceneario.com : L’image est puissante, avec une épaisseur peu commune que l’impression a réussi à ne pas gommer. Quelles sont les émotions que tu as voulu faire passer à travers ces véritables tableaux ?

Cromwell Ce que j’avais ressenti quand j’étais enfant en lisant le roman. La peur, la sueur, la course effrénée, l’essoufflement, le silence des indiens et le bruit des blancs qui approchent. Tous ces contrastes et l’épaisseur de la forêt avec laquelle les indiens font corps. Toutes ces choses qu’on ne retrouvera jamais.

Sceneario.com : Lorsqu’on en arrive à une telle œuvre, est ce que l’on peut encore parler de bande dessinée ?

Cromwell 
Non, ce n’est pas une bande dessinée. Quand je faisais le montage des pages, j’avais l’impression de faire le montage d’un film, j’enlevais une case, je la déplaçais. On peut faire dire des choses très différentes en montant une case dans un sens ou dans un autre.

Pour commencer, je ne suis pas vraiment dans la bande dessinée traditionnelle avec un story board. Certains cinéastes utilisent ces story boards, d’autres non, je suis plutôt dans la deuxième catégorie. Ce qui me plaisait, c’était l’aventure du montage car avec un tel travail à la peinture, le montage est primordial.
J’ai tellement vu de choses faites en peinture qui se cassaient la gueule parce qu’elles étaient mal montées que j’avais vraiment envie de réussir, de prouver que cela pouvait marcher.

Sceneario.com : Une envie de maitriser complètement?

Indiens guettant

Cromwell .
Je crois que la maitrise est éphémère. Il m’est arrivé de croire que je maitrisais un certain nombre de choses, sur Anita Bomba par exemple, comme par exemple les découpages des textes d’Eric Gratien. Lorsque j’ai fait un bouquin six ans après, je me suis demandé comment j’avais fait les bouquins d’avant.
Je crois avoir maitrisé cette méthode sur le Dernier des Mohicans, mais je ne sais pas si dans six mois je serai capable de le refaire.

Sceneario.com : Est-ce qu’il y aurait une morale à l’histoire ?

Cromwell  Oui, ce pourrait-être : ferme ta gueule sale blanc, quand tu parles de liberté, tu ne sais pas ce que c’est, tu crois créer la liberté et en réalité tu crées l’enfermement.
Je crois que c’est la seule morale que je puisse donner.

Sceneario.com : Après cette période de création épuisante est ce que tu as d’autres projets ?

Cromwell Uncas Oui, j’en ai des projets, un art book entre autres. Je continue les images du Dernier des Mohicans en pensant à une version longue car j’ai du mal à en sortir, ce n’est pas évident quand cela te tient au corps. Du coup je peins de plus en plus grand, des choses qui font plus d’un mètre.

Sceneario.com : Des expos?

Cromwell  Oui bien sur des expos, j’en ai trois en perspective.

Sceneario.com : Cromwell au musée?

Cromwell Non, pas Cromwell au musée, mais à la Corderie Royale de Rochefort et puis bien sur en galerie, Paris, Bruxelles Genève.

Sceneario.com : Est-ce que l’on pourra te voir à nouveau bientôt sur scène avec « La bonne La brute et le truand »?

La bonne la brute et le truand

Cromwell Oui, je continue à tourner des que je peux. On va enregistrer le deuxième album. La musique c’est plutôt ludique avec de bonnes grosses conneries comme sujets mais des choses très sérieuses sont cachées dedans.

Sceneario.com : Cromwell, je te remercie de nous avoir accordé ces quelques instants privilégiés.

Cromwell Merci à toi.

Publicité