Interview

Christophe Bec pour Sarah tome 1 chez Dupuis

Sceneario.com: Comment as tu eu cette idée de scénario?
Christophe BEC:
Alors c’est assez spécial, c’est en voyant une photographie dans un magazine – Paris Match, je crois – où l’on voyait une photo terrible d’un adolescent chinois attaché par une chaîne dans une cave depuis des années, il avait fait sa croissance autour des chaînes qui l’entravaient. Visiblement, il était fou et dangereux, et c’est le seul moyen qu’avaient trouvé ses parents pour éviter ses crises de démences, qu’il s’en prenne à des gens. Sur les parois de la cave, il avait écrit partout le mot « Liberté ».
Lors d’une déjeuner avec mon confrère et ami Stéphane Betbeder, je lui ai parlé de cette photographie qui m’avait profondément marqué. On s’était dit à ce moment-là que ça pourrait être une chouette idée de départ pour un film ou une BD d’horreur.
On avait même écrit un petit traitement, une sorte de chemin de fer, les prémices de l’histoire qu’allait devenir « Sarah ».

Sceneario.com: Une fois que l’idée est là, comment as tu commencé à t’y atteler?
Christophe BEC:
Alors en fait, ce traitement est resté longtemps au fond d’un tiroir. De mon côté, l’envie montait d’écrire une BD d’épouvante à la Stephen King, et j’ai repensé à ce script. Je l’ai relu, et j’ai trouvé qu’il y avait de bonnes idées, même si cela restait du pur genre, sans dimension supérieure. Mais il y avait les fondements pour une bonne histoire. J’ai donc commencé à le retravailler, en essayant d’y ajouter plus de profondeur (la relation entre Sarah et Kelly par exemple). Daniel Bultreys, mon directeur de collection chez Dupuis, m’a aussi incité à aller plus loin dans mes intentions, dans la psychologie des personnages, leur background. La recherche du dessinateur a été laborieuse, plusieurs essais ont été faits sans être concluants. Finalement, la crise que traversent les Humanos m’a quelque part arrangé, puisque Stefano Raffaele se retrouvait sans travail, obligé de faire une grosse pause sur « Pandémonium » tome 2. Et pour cette histoire, il était vraiment le dessinateur idéal. J’avais pensé à lui dès de le départ, mais je savais qu’il n’était pas disponible, c’est pour cela que je ne lui avais pas fait la proposition à l’origine.

Sceneario.com: Et pour arriver à monter la mayonnaise du suspens as tu des recettes miracles ?
Christophe BEC:
Ma recette miracle, c’est avoir lu beaucoup de BD et ce depuis mon plus jeune âge, d’avoir gardé mon enthousiasme intact, d’avoir bouffé pendant quatre ans trois films par jour, beaucoup de films de genre, et je crois aussi une hypersensibilité sur tout ce qui touche au mystérieux, au caché, au non-dit. Ce sont des thématiques qui me hantent.

Sceneario.com: As tu des béta-testeur qui te donnent un avis sur ton histoire ?
Christophe BEC:
Cela dépend du projet, si j’ai des doutes ou non… Mais il y a forcément des gens qui lisent mes projets, ne serait-ce que l’éditeur. Ensuite, il m’arrive de demander son avis à Stéphane Betbeder, il m’est souvent précieux, en plus il a une bonne connaissance du genre Fantastique, mais je ne le fais pas systématiquement. Il découvrira Sarah en lisant l’album. Mon épouse également lit parfois mes projets, je peux ainsi avoir la réaction d’un lecteur lambda. Souvent, son avis se résume à « j’aime » ou « j’aime pas ». Mais ça donne une réelle indication et si je peux toucher un grand public avec tel ou tel album.

Sceneario.com: Comment arrives tu à savoir que ce que tu as écrit « va marcher »?
Christophe BEC:
On ne peut jamais le savoir. J’écris des histoires qui ont un potentiel commercial plus ou moins grand. Je n’écris pas mes séries pour la même raison. Par exemple, en écrivant « Carthago », je visais une série populaire et grand public, il semble que le Tome 1 ait été plutôt bien accueilli. Ensuite, pour des séries comme Carême ou Pandémonium, qui sont tout aussi importantes pour moi, je sais d’emblée qu’elles auront du mal à trouver rapidement un large public, car ce sont des séries plus exigeantes, plus personnelles et moins calibrées pour plaire à un grand nombre.
Pour moi, le vrai challenge sera maintenant de rencontrer un succès public avec des œuvres personnelles. Je compte bien sur mon nouveau grand projet au scénario et au dessin « Prométhée » pour parvenir à cela. Mais rien n’est moins sûr !

Sceneario.com: Quelles sont tes craintes lorsque tu écris ?
Christophe BEC:
Je n’en ai pas réellement. J’ai plus de facilités d’écriture que de dessin par exemple. Ecrire n’est pas une souffrance, tout au plus ça peut parfois être laborieux. Je dirais que ce sont les dialogues qui parfois me posent le plus de problème. Après, concevoir les grandes lignes d’une histoire, entrer dans la narration, c’est une torture du cerveau, mais une torture très jubilatoire. Je me suis rendu compte que l’écriture, c’est comme un muscle, il faut écrire tous les jours. Plus on écrit, mieux on écrit.

Sceneario.com: Quels sont tes inspirations ?
Christophe BEC:
La question est trop vaste pour y répondre. Elles sont multiples et diverses. Parfois le fruit du hasard, d’ailleurs…

Sceneario.com: Comment choisis tu les dessinateurs qui travaillent avec toi ?
Christophe BEC:
Je ne suis pas assez célèbre pour décider avec qui je travaille. C’est souvent le fruit de longues recherches ou des opportunités. Stefano Raffaele m’a été présenté par les Humanoïdes Associés.

Sceneario.com: Stefano réalise cette 2° série à tes cotés. Comment travaillez vous ensemble ?
Christophe BEC:
De la façon la plus simple du monde. Nous nous sommes rencontrés physiquement pour la première fois il y a peu, c’était pour l’inauguration d’une exposition rétrospective qui m’était consacrée dans ma région et pour des dédicaces en librairie. Il ont logé lui et sa compagne quelques jours chez moi. Je lui ai dit que de tous les dessinateurs avec qui je travaillais, c’était celui qui retranscrivait le mieux ce que j’avais en tête, qui était le plus proche de ma vision. Dès le départ, j’ai ressenti et vu cela, dès les premières pages du tome 1 de « Pandémonium ». Je pense qu’il y a une sorte d’osmose entre nos deux univers et que nous nous comprenons parfaitement bien. De plus, Stefano est un dessinateur extrêmement modeste et professionnel, très respectueux des mises en scène que je lui soumets. Bref, nous nous sommes bien trouvés. Il ne manque qu’un succès public pour venir définitivement cimenter tout cela. J’espère que ce sera le cas avec « Sarah » et puis peut-être avec « Pandémonium », vu qu’une nouvelle vie va lui être offerte chez Soleil.

Sceneario.com: Intervient-il dans le scénario?
Christophe BEC:
Non, jamais. Comme je n’interviens pas sur son dessin. Il n’y a qu’éventuellement sur des questions narratives où on peut parfois remettre certaines choses en question l’un et l’autre.

Sceneario.com: Travailles tu ton histoire en fonction du dessinateur qui est avec toi ?
Christophe BEC:
Ah oui, tout à fait ! Etant moi-même dessinateur, cela m’est assez facile de voir les qualités ou les éventuels défauts d’un dessinateur, et donc d’adapter mon écriture à ce qu’il fait au mieux. Plus qu’un choix, je dirais même que c’est un devoir. Je pense que pour être un bon scénariste de BD, il faut avoir une grande culture du dessin, malheureusement ce n’est pas toujours le cas, et j’ai parfois moi-même en tant que dessinateur travaillé avec des scénaristes qui n’avaient pas cette culture-là. Alors je devais compenser, élever le niveau.

Sceneario.com: Nous savons que les Humanoïdes Associés sont dans une mauvaise passe. As-tu encore des séries chez eux?
Christophe BEC:
Oui, deux séries terminées au catalogue : « Sanctuaire » et « Carême ». Une autre en cours : « Carthago ». Et un projet : «  Sanctuaire Axis Mundi », la préquelle de la série Sanctuaire co-écrite avec Stéphane Betbeder, mais pour laquelle nous n’avons pas encore de dessinateur. En revanche, les séries « Le Temps des Loups » et « Pandémonium » ont été rachetées par les éditions Soleil, ainsi que « Deus », mais dont le premier tome n’était pas encore sorti aux Humanos, il vient tout juste de sortir chez Soleil. La réédition du Tome 1 de « Pandémonium » sortira en même temps que le Tome 2, en Septembre. Idem pour « Le Temps des Loups » mais en Novembre. Le tout avec nouvelles maquettes et nouvelles couvertures.

Sceneario.com: Tu vas donc aussi travailler pour les Editions Soleil. Comment s’est passé ton arrivée chez cet éditeur ?
Christophe BEC:
Eh bien, je dois dire qu’ils ont fait un énorme effort financier pour me faire venir. D’une part pour racheter 3 séries Humanos, ensuite sur la collection Hanté que je dirige depuis plus d’un an avec Jean Wacquet et dont les premiers titres sortiront en Juin et pour finir sur « Prométhée » (je suis très cher en tant que dessinateur !) et toutes les autres séries que je vais réaliser pour eux. Je pense qu’ils misent gros sur moi et j’espère ne pas les décevoir. J’ai un parcours bizarre chez Soleil, c’est Mourad Boudjellal qui m’a donné ma toute première chance, j’avais 21 ans, mais mon premier succès public je l’ai eu juste après être parti de chez Soleil, avec Sanctuaire. En fait, je n’ai jamais connu de gros succès chez Soleil, « Zéro Absolu » a été un succès d’estime mais les ventes n’ont jamais été énormes, même si elles sont à l’arrivée plus qu’honorables. Mourad Boudjellal a
ns aujourd’hui avec tout ce qu’il a misé ces derniers temps. Je crois qu’en fait il aime bien mon travail et ça a dû le chagriner ce départ des éditions Soleil sur ce qui reste un malentendu. Alors dès qu’il en a eu l’occasion, il m’a remis le grappin dessus en quelque sorte. En tout cas, suite aux soucis des Humanos, ça a été le plus prompt à le faire. Mais j’espère que les choses changeront maintenant et que je rencontrerai à nouveau le succès avec des albums Soleil ! En tout cas, je dois dire que sans lui, je ne sais pas si « Deus », « Pandémonium » ou « Le Temps des Loups » auraient continué à être publiés. Et je tiens aussi à dire que les éditions Dupuis, durant cette période de crise des Humanos, ont été formidables. Quant aux Humanos, je n’ai pas de gros griefs contre eux, ils sont restés très corrects avec moi, c’était juste une question de moyens qu’ils n’avaient plus. En espérant que je puisse parler au passé…

Sceneario.com: Cet éditeur semble bien loin de tes travaux habituels, vas tu adapter ton travail, ou Soleil prend t-il l’homme tel qu’il est ?
Christophe BEC:
Il se trouve qu’avant ce rachat, j’avais re-signé un projet chez eux en tant que scénariste et intitulé « Ténèbres », mon premier scénario d’Héroïc-Fantasy, et j’estimais que Soleil était le meilleur éditeur pour ce type d’album. Mais ce serait réducteur d’assimiler à 100% Soleil à l’Héroïc- Fantasy pour ados, même si c’est une tendance forte de la maison. Ce serait faire injure à des Swolfs, Bajram, Mangin, etc.
Alors en effet, ils me prennent comme je suis et m’offrent une liberté de manœuvre totale. Ils me permettent aussi de concrétiser des projets qui étaient restés englués ou que les autres éditeurs ne voulaient pas. Quelque part, ils ont un esprit pionniers dans le sens américain du terme, ils veulent être surpris, que les chosent bougent, aillent de l’avant, conquérir des nouveaux espaces… Ca me va bien.
Après, on verra, je changerai peut-être de discours si mes séries se ramassent au niveau des ventes et s’ils perdent de l’argent. Mais ce sont des bons projets, en tout cas j’y ai mis tout mon cœur et mon savoir-faire, notamment sur la collection Hanté, qui sera un gros enjeux pour eux et pour moi.

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