Interview

Cannibale : la conférence de presse

Sceneario était à la conférence de presse pour la sortie de cannibale, l’adaptation du livre de Didier Daeninckx avec Emmanuel Reuzé au dessin. Les deux auteurs, ainsi qu’Emmanuel Proust l’éditeur étaient réunis à la maison de la nouvelle Calédonie pour présenter l’album.

Didier Daeninckx : En 1997, un copain m’a téléphoné de nouvelle Calédonie. Il était parti la bas et était devenu directeur de la bibliothèque de Nouméa. Il y avait une mission de promotion de la lecture sur l’ensemble des territoires de la nouvelle Calédonie. Il avait réfléchi comment faire cette action alors qu’a cette époque les routes étaient difficiles d’accès. Il a inventé un système de case bibliothèque. Il y a des endroits où on peut trouver des livres.

Cela faisait deux ans que c’était mis en place et il voulait qu’un écrivain fasse la tournée des cases des bibliothèques. Je suis donc parti pendant cinq ou six semaines en Nouvelle-Calédonie et ai été accueilli par les kanaks. J’ai ainsi rencontré beaucoup de gens. C’était un accueil assez incroyable. Cela a été une plongée unique dans la société kanak.
Là bas, je me suis aperçu qu’être écrivain, ça ne voulait pas dire grand chose pour une société basée sur la voix et non sur l’écrit. On devient alors raconteur d’histoires. Lors de nos échanges; je racontais une histoire et ils m’en racontaient une et plusieurs fois, m’a été contée une histoire de kanaks exposés derrière des grilles du zoo en 1931 à Paris pendant l’exposition coloniale.
Les premières fois qu’on me l’a racontée, je n’y croyais pas. Je pensais que c’était une métaphore sur comment la colonisation a déshumanisé les gens et les a transformé en esclaves et comment ils ont été spoliés de leur droit humains. Quand je suis revenu de mon périple, j’en ai parlé à mon ami et il m’a dit que cela c’était réellement produit. Il y a des tas de photos et une grande documentation. On a retrouvé tout cela dans les archives.

Quand je suis rentré à Aubervilliers, je ne pensais pas faire un livre sur cette histoire. En décembre 1997, J’ai reçu un coup de téléphone de France-Culture. Ils voulaient faire trois dramatiques à la radio, la révolution de 1848, la création du texte sur le communisme de Marx et Engel et l’abolition de l’esclavage. Sur les trois, celui qui m’intéressait, c’était l’abolition de l’esclavage et j’ai voulu parler de 1931 parce qu’on exposait des humains derrière les grilles du zoo dans le pays où a été écrit l’abolition de l’esclavage.

La première version de Cannibale est donc une pièce radiophonique qui ne raconte pas tout a fait la même chose. Elle s’appelle "Des kanaks à Paris". Ensuite cela a donné naissance au livre. Il est sorti en 1998 aux éditions Verdier avant d’être repris en folio chez Magnard.
Pour la bande dessinée, je travaillais déjà avec Emmanuel Proust. L’éditeur avait lu "Cannibale" et il m’avait dit que c’était un livre qu’il aimerait adapter. Quand on en a parlé les premières fois, il n’y avait pas encore de dessinateur.

Emmanuel Reuzé : J’ai lu "Cannibale" vers 2001 et le roman m’avait captivé mais à l’époque, je faisais l’adaptation d’Ubu roi. Le coté historique et politique de l’histoire m’avait beaucoup intéressé, l’exposition coloniale était emblématique de l’état d’esprit de cette époque. Il y avait aussi le drame humain dans cette histoire avec les kanaks transportés à Paris dans une ville gigantesque. J’ai proposé de faire l’adaptation à Emmanuel Proust car je savais qu’il connaissait Didier.

Didier Daeninckx : Quand il m’a parlé d’Emmanuel Reuzé, j’ai regardé son travail sur Ubu mais cela ne correspondait pas du tout à ce que j’imaginais pour une adaptation de "Cannibale".
On s’est rencontré tout les trois, il y a quelques années et Emmanuel était venu avec tout un tas de travaux dont ses dessins sur Ubu mais aussi des illustrations totalement différentes. C’est là que je me suis rendu compte de toutes les possibilités graphiques d’Emmanuel; C’était assez surprenant de voir ça, j’ai travaillé avec d’autres dessinateur, Tardi, Mako, … Ils ont tous un style très affirmé et ne déborde pas de ce style.
Le travail de Tardi sur la guerre de 14 ou sur Adèle Blanc Sec a vraiment un lien de parenté évidente. Emmanuel a une personnalité qui lui permet de s’approprier des univers totalement différents tout en gardant son style.

Il a donc commencé son adaptation et il m’a envoyé ses planches par Internet mais il y avait des choses qui me retenaient. C’était plus un univers qui tendait vers les Antilles et Caraïbes qu’un univers mélanésien. On s’est revu, on a échangé de la documentation et il a refait un travail à partir de cela et a changé les visages, les corps pour arriver à l’album.

Sur l’histoire et son adaptation en bande dessinée

Didier Daeninckx : L’adaptation vient surtout sur la manière comment s’est raconté. Il y a quelque chose d’implacable dans la narration et le double discourt sur les kanaks. Cette obligation de jouer un rôle est renforcée par une idée de mise en scène.
Ils sont mis derrière des grilles mais on ne les voit pas. Ceux que l’on voit derrière les grilles sont les gens qui viennent les voir. La bande dessinée a trouvé des moyens de montrer comment les gens qui étaient avides de voir un spectacle exotique, étaient aussi prisonniers des lieux communs et de leur époque.

Les moteurs de l’histoire sont les kanaks, ils subissent une histoire totalement dégradante mais ils restent debout et ils ont la capacité de se rebeller, de s’enfuir et d’agir sur le monde. Une grande partie de la littérature ou de la bande dessinée sur l’époque coloniale montre que les gens sont soumis à la loi coloniale donc le fait de retourner le regard est quelque chose d’essentiel.

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