Interview

Bollée et Alcante, deux scénaristes dans l’univers de XIII

Photo des auteurs

Sceneario.com : Bonjour, merci de nous accorder cette interview à l’occasion de la 5è édition du Comic Con où pour la première fois une bande dessinée franco-belge est mise à l’honneur.

Sceneario.com : Comment avez-vous été castés pour la série dérivée XIII Mystery ?

Alcante : Moi ça remonte à fin 2006, j’avais fait la connaissance de Jean Van Hamme suite à la parution de mon premier livre. En fait l’attachée de presse de Dupuis savait que j’étais un grand fan et elle s’était arrangée pour qu’on puisse aller manger ensemble un midi pendant une journée presse. Donc nous avons fait connaissance, le courant est bien passé. Lui à l’époque avait annoncé qu’il allait arrêter Thorgal et j’étais intéressé par reprendre éventuellement cette série et c’était très ambitieux de ma part parce que…

Bollée : (en riant) : Oui, tu t’es dit « oh bah oui, carrément, allons-y ! ».

Alcante : J’étais un tout jeune scénariste mais j’étais vraiment un grand fan de cette série donc autant lui en parler et puis finalement, ça ne s’est pas fait. Par contre j’ai quand même eu la chance que quelques mois plus tard il repense à moi pour me proposer de faire partie de l’aventure XIII Mystery.

Bollée : Et bien moi, quand j’ai appris qu’il y avait une sorte d’aventure éditoriale qui était en train de se mettre en place, et que quelques-uns de mes petits camarades avaient commencé à jouer avec des personnages mythiques de la série XIII, j’ai eu envie de dire « pourquoi pas moi ? ». Donc j’ai réussi à contacter Jean Van Hamme et je lui ai proposé ma candidature. Il m’a demandé à quel personnage éventuellement je pensais. Après un premier personnage qui était déjà pris, je lui ai proposé Billy (Stockton) qui est le prochain XIII Mystery. Et puis voilà on a construit l’histoire et à un moment donné il m’a dit « c’est bon ». Il fallait se positionner.

Sceneario.com :
Comment se fait le choix du duo dessinateur/scénariste ?

Bollée : C’est le choix de l’éditeur.

Alcante : Oui là c’est en collaboration avec l’éditeur. Donc pour XIII Mystery, de manière générale, systématiquement le scénariste est choisi en premier, écrit tout son scénario et puis une fois que son scénario est entièrement terminé et validé on part à la recherche d’un dessinateur, d’un commun accord avec le scénariste et l’éditeur.

Bollée : Donc il y a bien deux étapes, le scénariste d’abord, le dessinateur ensuite.

Sceneario.com :

Qui décide du personnage qui fera la « tête d’affiche » ? Vient-il de vous ou de l’éditeur ?

Couverture Colonel Amos

Bollée : Ah non, en l’occurrence c’était vraiment un choix individuel puisque je revois Jean Van Hamme me dire « à quel personnage penses-tu ? », je lui ai dit mon premier personnage, ce à quoi il a répondu, « ah non il est pris. Bon le deuxième, t’en as un deuxième ? », je lui ai dit que oui, et c’est bien celui-là dont l’album sortira.

Alcante : C’est le but du jeu aussi, que chaque scénariste s’approprie le personnage qui lui tient le plus à cœur, ou qui l’a le plus passionné, ou qui lui plaît le plus. Et évidemment si on est attiré par un personnage on va avoir d’autant plus envie d’écrire une histoire le concernant que si on prend un personnage qui nous tente moins.

Bollée : Quand j’ai annoncé mon personnage à Van Hamme, il m’a dit « Ah bon ? ». Alors je lui ai dit « c’est bon ? t’es surpris ? Ça veut bien dire que tu ne t’y attendais pas, que ça sortira de l’ordinaire ».

Sceneario.com :

Comment s’adapte-t-on à l’univers de Van Hamme et Vance. Comment est-ce que l’on s’approprie les personnages ?

Bollée : On ne se les approprie pas totalement puisque c’est vrai qu’ils existent et qu’il y a une sorte de biographie qui existe pour eux. Pour donner un exemple, mon personnage, je sais qu’il meurt à la fin, et il y a un élément de sa vie, une tuerie dans la rue, je l’ai placée dans une ville, puis à un moment donné je me suis dit « Mais en fait ! Dans un album qui était paru qui s’appelait déjà XIII Mystery, est-ce qu’ils parlent de la tuerie de mon personnage ? » et je me suis aperçu que oui ! zut ! C’est situé dans une ville, dans un état très précis, Columbus dans l’Ohio. Et dans ma version, ça ne se passait pas du tout dans Columbus dans l’Ohio, j’avais même calculé un itinéraire routier, enfin c’était plutôt sur la côte est, en bas, mais pas du tout en allant vers le centre des Etats-Unis. Donc voilà il y a quand même à la base une charte qui fait que l’on est bien obligés de respecter quelques cadres bien définis, après c’est le jeu de scénaristes de s’engouffrer dans des zones d’ombre, ou dans des méandres qui vont faire qu’on va pouvoir jouer avec la vie d’un personnage. Mais il y a quand même une base au départ.

Alcante : Oui la base c’est vraiment tous les albums qui ont déjà été publiés. Moi ma première étape ça a été de relire toute la série, de prendre des notes, de mettre des petits post-it à gauche et à droite, et puis de me dire « bon voilà, ce sont les contraintes, ça existe déjà, je ne peux pas entrer en contradiction flagrante avec ça donc je dois m’immiscer dans les zones d’ombre. Et c’est ça qui est intéressant justement, c’est de pouvoir tirer un personnage secondaire qui par définition est plutôt dans l’ombre du personnage principal, puis le temps d’un album, boum, on le met en pleine lumière, puis on le laisse repartir dans l’ombre.

Sceneario.com :
Pourquoi le choix de Billy Stockton ?

Couverture Colonel Amos

Bollée : Si je l’ai choisi c’est parce qu’en tant que jeune lecteur à l’époque des albums de XIII j’avais trouvé ce personnage très marquant. Il n’apparaît que sur un album et quand on fait le compte des pages il n’y en a pas énormément. Mais je crois qu’on a tous en mémoire ce regard un peu fiévreux, cette gueule d’ange, et cette scène d’évasion dans les égouts, dans ce souterrain qui rétrécit avec un personnage qui pète les plombs à la fin. Donc moi j’avais dit à Jean Van Hamme et William Vance, « vous avez créé un personnage qui marque », et qui n’est que faiblement développé donc pour moi c’est l’idéal. Si je pousse le jeu un petit peu plus loin, je pourrais dire que je l’ai choisi pour ce qu’il n’est pas, à savoir qu’il n’est pas un personnage principal, il n’est pas un acteur majeur du complot de XIII et il n’est pas très important dans la saga XIII, donc justement, moi j’ai pris le concept un peu à rebours et comme je disais à Jean « Tu as été surpris ? Eh bien sois surpris jusqu’au bout ».

Sceneario.com :
Quelle est la marge de manœuvre lorsque l’on reprend des personnages déjà existants ?

Alcante : De nouveau, tant qu’on n’entre pas en contradiction avec ce qui a été écrit, je crois que c’est vraiment la seule contrainte, au delà de ça, le but c’est d’avoir de la liberté pour amener quelque chose de neuf et d’inattendu donc on doit se servir de ce qui existe déjà comme base, ensuite libre à nous de savoir s’en départir pour surprendre le lecteur, parce que le but de cette série dérivée c’est quand même justement d’apporter un élément neuf sur le personnage. Si on ressort exactement tout ce qu’on sait déjà, il n’y aucun intérêt. C’est vraiment comme ça que j’ai conçu l’histoire, je me suis dit « tiens, Colonel Amos c’est quand même un personnage important dans la série, on le voit dans pas mal d’albums mais finalement sur son passé on ne connait pas tellement de choses », donc je voulais vraiment apporter quelque chose de neuf au niveau personnel et familial et quelque chose de neuf au niveau professionnel. Ce sont les deux idées de départ que j’avais en tête.

Bollée : Nous les scénaristes, enfin moi je résume ça souvent comme ça, notre question principale c’est « Et si ? » « Et si on faisait ça ? Et s’il se passait ça ? Et si, tiens, là, à ce moment là, il se passait ça ? ». On essaie de balayer tout un éventail de possibilités, enfin moi c’est un peu comme ça que je travaille, cela nous pousse dans nos retranchements, à imaginer des choses qui ne sont peut-être pas si faciles que ça, pas si évidentes. Et bien à partir du moment où nous, pour ces albums on s’est posé la question de « Et si ? », Jean Van Hamme et tout le monde, ont joué le jeu aussi. Ils nous ont certes accueillis dans le grand navire mais à partir de là on avait la liberté aussi de se lancer, de s’amuser.

Sceneario.com :
Est-ce que Van Hamme est intervenu ? Une fois que vous aviez terminé l’œuvre, l’a-t-il relue ?

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Bollée : Pendant ! Pendant il est associé quand même à l’écriture en tant que « relecteur coach ». Donc c’est lui le premier lecteur du scénario et effectivement chacun de nous a eu le droit à ses réflexions, à « telle scène c’est trop long », « là tu ne crois pas que ce n’est pas logique qu’il se passe ça ? ». Je n’ai pas d’exemple précis mais je me souviens qu’un jour je me suis pris la réflexion « Mais non il ne peut pas se passer ça parce que s’il se passe ça, il ne peut pas se passer ça ensuite ! » Mais c’est bien, de toute façon c’est obligé, quand on écrit une histoire on n’a pas assez de recul sur ce que l’on écrit. Mais une fois que globalement l’histoire était connue, et que ces petites remarques étaient faites, les dialogues c’est nous, les scènes c’est nous, il y a une sorte de supervision, mais de très loin.

Alcante : Ils sont les gardiens du temple et les coachs. Ils ont les deux fonctions.

Bollée : C’est ça. S’il fallait qu’ils nous corrigent tous les dialogues ou qu’ils nous imposent toutes les scènes, ce serait un peu frustrant.

Sceneario.com :
Qu’est ce que cela vous a apporté de travailler en duo ? Est-ce vous qui avez choisi le dessinateur ou est-ce l’éditeur qui vous l’a imposé ?

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Bollée : Non, moi c’est l’éditeur. On m’a aussi demandé si j’avais une liste de gens avec qui j’avais envie de travailler, mais assez vite j’ai compris que Steve Cuzor était mis de côté et que j’allais certainement en hériter, donc là ce n’était pas mon choix. C’est vrai que c’est un cas particulier parce que mon scénario a dû être écrit, finalisé, avec un mot de Jean disant « Et bien écoute on ne touche plus à rien pour l’instant, c’est parfait » en 2010. Steve est arrivé pour dessiner cet album en 2012. Pendant deux ans j’ai attendu qu’il arrive, et quand il est arrivé, c’était difficile de partir du principe qu’on allait lui dire « ben tu dessines mon petit gars et puis je te retrouve dans un an et je verrai à quoi ça ressemble ». Non, il arrive, il a son mot à dire, c’est un auteur comme moi, il est aussi scénariste d’autres séries. Donc il s’est investi complètement dans cette série et il a apporté son regard. Et c’est amusant pour moi parce que je retrouve mon histoire, mais ce n’est pas tout à fait ce que j’avais écrit, Steve est passé par là et il a trouvé des idées géniales. Là aussi, lui est arrivé en disant « Et si ? » et à deux occasions, son « Et si ? » m’a fait réfléchir, je me suis dit « mais comment Jean et moi on n’y a pas pensé ? Comment on ne s’est pas posé cette dernière question ? ». A un moment Billy devait tirer, et atteindre sa cible. Et Steve me dit « Et s’il la rate ? ». Et je me dis « Ben oui c’est mieux. C’est mieux s’il la rate, il faut qu’il l’ait ratée, comme un naze. Il faut qu’il ait échoué ». C’était une vraie bonne idée. Et à la rigueur sur le moment je me dis « ah zut, il faut recommencer », mais non, tout retombait en place naturellement même après cette modification. Heureusement, quelque part, que j’ai eu cet échange avec lui, qu’il a eu ce regard.

 

Livres

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