Interview

Au coeur de LA CELLULE avec Fabienne COSTES et Guillaume LONG

Sceneario.com : Bonjour Fabienne et Guillaume ! "La cellule" semble être votre premier ouvrage en commun grand public. Pourriez-vous nous exposer votre ascension au sein du 9ème art ?

Guillaume Long : Je n’ai pas réfléchi en termes d’ascension, en fait. J’ai débuté dans la bande dessinée tout à fait par hasard (je m’étais spécialisé en vidéo aux beaux arts de St Etienne) en participant à un concours organisé par la librairie Papiers Gras à Genève, récompensant des auteurs genevois. Là, j’ai rencontré mon premier éditeur (Vertige Graphic) qui a eu un coup de cœur pour l’embryon de livre que j’avais commencé. Deux ans plus tard, j’ai gagné ce concours, et j’ai rencontré mon deuxième éditeur (La joie de lire) au vernissage de l’exposition des prix et rebelote, j’ai signé une série chez eux. Quelques livres plus tard coup de bol, Didier Borg (éditeur de KSTR) me contacte via mon site internet (pourri, abandonné depuis) et me voilà à faire un livre chez eux. Plutôt simple jusqu’à présent, non ?

Fabienne Costes : Quant à moi, c’est ma première expérience dans la bande dessinée.

Sceneario.com : Comment s’est faite votre rencontre ? Vous connaissiez-vous avant "La cellule" ou est-ce ce projet qui vous a rapproché ?

Guillaume Long : J’ai connu Fabienne par une amie interposée il y a de ça 7 ans, alors que j’habitais à St Etienne. C’était bien avant de parler de ce projet, et bien avant que je fasse de la bande dessinée.

Sceneario.com : Qui a pris l’initiative de vous lancer dans cette aventure ?

Guillaume Long : Moi ; j’avais dans un coin de ma tête un scénario depuis une dizaine d’année, qui m’étais venu après avoir lu « la mouche » de Georges Langelaan. Il tenait en une phrase : « c’est l’histoire d’un gars qui se fait quitter par sa femme et qui pour la récupérer, fusionne physiquement avec elle. »

Sceneario.com : Comment êtes-vous arrivé à mettre à plat ce projet ?

Guillaume Long : Un soir très précis, même si je ne me souviens plus lequel, nous parlions à bâtons rompus avec Fabienne des relations homme femme, du couple, des déceptions amoureuses, etc. Le genre de discussion de comptoir, d’ailleurs nous étions dans un bar. Et là je lui raconte mon idée de scénario, cette phrase que je viens de vous dire plus haut et je lui demande si elle ne veut pas travailler là-dessus (alors que déjà moi travailler seul, c’est le bordel) et évidemment elle me dit oui. A partir de là, on en a discuté pendant quelques mois, de manière sporadique, et on a démarré la machine.

Fabienne Costes : j’ai écrit une histoire, la trame principale était en place, ainsi que les personnages, Simon, Anne, ou le caresseur par exemple.

Sceneario.com : Quelles ont été les principales difficultés éventuelles auxquelles vous avez été confrontés ?

Guillaume Long : Je me suis mis une pression terrible pour le dessin, pendant la réalisation de ce livre. J’étais obsédé par avoir un trait en adéquation avec la noirceur du récit ce qui, quand on connaît mes albums d’avant, était pas gagné d’avance. Je crois avoir refait les trois premières pages (qui ne sont pas dans l’album) environ 5 fois, ça merdait pas possible. Et puis je me suis lancé pour de bon en essayant de me convaincre qu’après tout, mon dessin suivrait bien, et les pages se sont enchaînées. Même si à chaque case je demandais à ma femme (Nancy Peña) de me rassurer. Heureusement, elle ne m’a pas quitté.

Fabienne Costes : Pour moi, la principale difficulté était d’imaginer ce que Simon-Anne devenait après la fusion . Je ne voulais pas que le personnage devienne trop monstrueux, ni que l’histoire nous amène à une sorte de morale, on voulait avant tout raconter l’impossibilité pour Simon d’accepter la rupture et de comprendre que le désir d’Anne était autre que le sien. La fusion était donc pour moi essentiellement un symbole de l’état d’esprit de Simon, et non l’élément essentiel de l’histoire, mais il fallait tenter de lui donner forme! Le seule issue que j’ai trouvé était de montrer Simon envahi et tourmenté par la mémoire d ‘Anne jusqu’au clash final où il perd toute mémoire de ce qu’il a fait. Il ne sait plus alors ni qui il est ni qu’elle est en lui… Il n’a plus aucun souvenir de la fusion. Tout ça pour ça !

Sceneario.com : Quelles ont été vos méthodes de travail ?

Guillaume Long : Fabienne est partie d’une phrase donc, et après quelques discussions sur l’histoire globale et ses tenants et aboutissants, elle a écrit un synopsis découpé scène par scène, a ajouté des personnages, a complexifié l’intrigue. Puis ensemble, nous avons revu son texte, enlevé des personnages, transformé d’autres, modifié des scènes, une chatte y retrouverait pas ses petits. Là, nous tenions l’histoire presque telle que vous l’avez lue. Ensuite ça a été de l’improvisation scène à scène pour les dialogues et le découpage et là encore, nous avons in extremis ajouté ou enlevé des passages de l’histoire. Comme j’ai quitté St Etienne entretemps, le tout s’est fait par téléphone et comme ça a duré un peu plus d’un an, on pétait des fois gentiment les plombs ; on s’appelait 10 fois par jour pour discuter d’une phrase, l’enfer !

Fabienne Costes : c’est vrai que j’ai tendance à vouloir modifier les scènes jusqu’à ce qu’elles me conviennent et sonnent juste. On a cherché l’équilibre entre le texte et le dessin. J’avais, pour certaines scènes, imaginé des images et un découpage très précis, pour d’autres je laissais à Guillaume la liberté de construire la scène comme il la sentait. Dans les deux cas, on discutait beaucoup du résultat. En tous cas j’ai beaucoup aimé découvrir au fur et à mesure les dessins proposés par Guillaume, notamment voir Simon "prendre chair" au fur et à mesure de l’histoire.

Sceneario.com : Quel est votre point de vue sur Simon et sa maladie d’amour ?

Guillaume Long : Pour moi, l’histoire pose deux questions : jusqu’où peut-on aller quand on est aveuglé par l’amour, et jusqu’où peut on se perdre dans une relation fusionnelle. Pas sûr qu’on y réponde, ce sont des questions ouvertes, des pistes. En ce sens, je reste dubitatif et à l’écoute comme le gérant de l’hôtel.

Fabienne Costes : La fusion représente l’incapacité pour Simon de comprendre la différence entre son propre désir et celui d’Anne. Il est prisonnier de cette illusion, et que pour conserver cette illusion il commet la pire des violences. Il entreverra peut-être cette différence quand il sera envahi par la mémoire d’Anne, mais il ne pourra alors pas la supporter, d’où le clash. Je crois que l’amour véritable est la compréhension et l’acceptation de cette différence : l’autre reste toujours « autre ».

Sceneario.com : Comment s’est passé votre rencontre avec les éditions Casterman et votre rattachement à la collection KSTR ?

Guillaume Long : Didier Borg m’a donc contacté par mail (mais c’était un mail collectif, ha ha !) parce qu’il était intéressé par mon boulot en général et je me suis accroché comme une moule à son rocher à cette ouverture. Ca a d’ailleurs sonné pour moi la fin des questionnements graphiques puisqu’il fallait produire vite un dossier pour le convaincre (les 3 vraies premières pages de la bande dessinée, donc.). En plus, son projet était plutôt intéressant, même si je l’imaginais plus proche des livres qui sortent actuellement que de la version souple et cheap des premiers. J’ai bien fait de rendre les planches en retard finalement !

Sceneario.com : Quelles ont été les réactions de l’éditeur face à votre projet ?

Guillaume Long : Il m’a dit quelque chose comme « c’est complètement barré, vas-y mon gars ! » et après que des gentillesses et des encouragements. Et du soutien quand je voyais les livres qu’il éditait et qui me laissaient loin derrière, graphiquement !

Sceneario.com : Comment ressentez-vous votre introduction dans ce monde de la publication à grande échelle ?

Guillaume Long : Pour l’instant il ne se passe pas grand-chose niveau presse (je ne dis pas ça pour vous hein !) mais l’album vient de sortir. J’aimerai bien que ça marche, donc j’angoisse. Mais ça me fait ça à chaque bouquin, donc grande échelle ou pas…

Sceneario.com : Avez-vous d’autres projets, séparés ou en commun ?

Guillaume Long : Je travaille à la suite du Grand méchant huit, deuxième album de ma série jeunesse, qui va se passer dans un hôpital : Platatras !, un album avec Arnaud le Gouefflec (auteur de Vilebrequin) au scénario sur les TOC et plus tard un album avec ma femme Nancy Peña au scénario également, intitulé pour le moment "une bonne histoire". Quant à Fabienne, je lui ai dit que je recommencerai avec elle quand elle veut et que finalement elle n’est pas si chiante que ça pour le boulot, ça va !

Sceneario.com : Guillaume, comment qualifies-tu ta façon de dessiner ? S’inspire-t-elle d’un style prédéfini ?

Guillaume Long : Réponse très banale de dessinateur, mais néanmoins tout à fait exacte : mon dessin est le résultat de toutes les choses que je ne sais pas faire ; je trouve des tours de passe passe, je contourne les obstacles et je crois que tout ça donne un style sans qu’on y prête attention. Après j’ai digéré tout un tas d’influences (c’est le sujet d’Anatomie de l’éponge chez Vertige Graphic) et en y réfléchissant après coup, ce sont des auteurs comme Mordillo, Quino, Puig Rosado, Blake que j’ai lu enfant qui ont forgé plus que mes récentes lectures, ma façon de dessiner.

Sceneario.com : Guillaume, après pratiquement 9 ouvrages réalisés, te sens-tu l’âme d’un "ogre" du dessin ?

Guillaume Long : Pas du tout. J’aime beaucoup dessiner bien sûr, mais je ne suis pas un vrai dessinateur en ce sens que je ne pars pas en vacances avec un carnet de croquis par exemple. A des milliers d’années lumières de ce « fou de dessin » d’Hokusai ! Et d’ailleurs parallèlement à mon métier d’auteur, je travaille pour la presse, j’ai donc ma dose de dessin.

      

En revanche, je ne me lasse pas d’inventer et de laisser mûrir des histoires dans ma tête, j’ai fais ce métier 24h sur 24. Je suis exactement comme le mulot Frédéric de l’illustrateur Léo Lionni qui, pendant que les autres mulots font provision de maïs et de noisettes pour l’hiver, fait provision de soleil, de couleurs et de mots. Et pour les coucher sur du papier, je les dessine donc, puisqu’il y a automatiquement des images qui les accompagnent.

Sceneario.com : Fabienne, sur quel type de scénario en particulier souhaiterais-tu travailler ? As-tu un thème de prédilection ou es-tu une adepte de la pluralité ?

Fabienne Costes : J’ai quelques idées en tête, surtout des personnages, mais pas vraiment encore d’histoire précise. J’aimerais écrire aussi pour les enfants.

Sceneario.com : Merci à vous deux de vos réponses.

Publicité