Interview

Appollo et Stéphane Oiry pour UNE VIE SANS BARJOT

Sceneario.com : Pouvez-vous nous expliquer le concept de la trilogie dont font partie Une Vie sans Barjot et Pauline et les loups-garous ?

Une vie sans Barjot couv

Appollo : Au départ, c’est-à-dire quand on a commencé Pauline, ce n’était pas une trilogie dans mon esprit. Puis au fil de l’album, en discutant avec Stéphane, nous nous sommes dit qu’il y avait quelque chose à faire de plus ample autour de l’adolescence. Pauline était une histoire sombre, un peu désenchantée, voire désespérée, et rapidement je me suis dit qu’un deuxième album pourrait aborder les thèmes de l’adolescence sur un ton plus léger, plus drôle, parce qu’il me semblait que l’adolescence c’était ça aussi. Une Vie sans Barjot finit bien parce que Pauline finissait mal, d’une certaine manière. Le troisième tome, dont je n’ai pas encore le titre mais dont le nom de code est La Lauréate – en hommage à The Graduate, l’excellent film de Mike Nichols avec Dustin Hoffman – s’attachera à une période un tout petit plus en aval, puisqu’il s’agira de raconter le retour d’une jeune fille d’une vingtaine d’années chez son père au moment des vacances universitaires. J’espère que ce sera l’occasion d’envisager les thèmes de la « jeunesse » d’une façon encore différente.

Sceneario.com : Ces deux premiers albums sont très contrastés, quel sera le ton du troisième ?

Appollo : Ah, je ne sais pas encore quelle tournure prendra ce troisième bouquin, mais il est probable qu’il sera moins noir que le premier, mais aussi plus désenchanté que le deuxième.

Sceneario.com : Pourquoi la musique Rock est-elle si présente dans ces deux albums ?

Appollo : La réponse la plus évidente, c’est que le rock est (ou a été) la musique de l’adolescence, en tout cas de la notre ! Et puis, plus prosaïquement, en fixant ainsi la bande-son imaginaire de nos albums, cela nous aide à fixer l’ambiance du récit, graphiquement et narrativement. Par exemple, dans le premier album, Pauline était associée à Cat Power, et son copain à AC/DC. Dans le deuxième album, Barjot est plutôt dans l’esprit idiot des Ramones.

Sceneario.com : Les personnages principaux de ces deux albums quittent leur ville natale ou sont en passe de le faire. Pour vous, ce déracinement est-il indissociable de la fin de l’adolescence ?

Appollo : Oui forcément, au moins symboliquement, puisque c’est le moment où l’on quitte le cocon familial, l’enfance, pour découvrir le monde. Moi, je suis parti de la Réunion à 18 ans pour faire mes études à Paris, donc oui, le déracinement géographique a été une réalité très concrète.

Sceneario.com : Dans une Vie sans Barjot, il y a très peu d’éléments trahissant l’époque actuelle (téléphone portable, lecteur mp3…), c’est fortuit ou est-ce une réelle volonté de votre part ?

Une vie sans Barjot extrait 1 Appollo : Je me demande si ce n’est pas en partie inconscient. Nous nous sommes posés la question à la fin de Pauline, en constatant qu’il était difficile de dater le récit : certains lecteurs se demandaient même s’il se passait dans les années 80, par exemple. Finalement, cette espèce d’atemporalité relative m’arrange bien, mais, allez, je crois quand même que je vais mettre des téléphones portables dans le troisième.

Sceneario.com : Avez-vous beaucoup puisé dans vos propres adolescences pour écrire ces récits ?

Appollo : Oui, forcément, mais pourtant ça n’a rien d’autobiographique. J’avais un peu la trouille de tomber là-dedans, et ça m’embêtait parce que je me méfie un peu de ce genre, mais finalement le fait que les histoires se passent en province, en France, c’est-à-dire dans des lieux que je ne connais pas vraiment – puisque je n’y ai jamais habité – m’a donné une certaine distance bien pratique. Il y a un ton et un esprit qui renvoient à ce qu’a été mon adolescence, mais je me suis autant inspiré d’adolescents que je vois tous les jours (je suis prof en lycée depuis un certain temps).

Sceneario.com : Le grand soin apporté aux dialogues entre ces adolescents a-t-il représenté une difficulté particulière ?

Appollo : Non. C’est un des trucs qui me plait le plus de faire les dialogues. Ce n’est pas une difficulté, c’est un plaisir !

Sceneario.com : Stéphane Oiry, on peut lire sur votre blog que vous souhaitiez sortir Une Vie sans Barjot en noir et blanc, pourquoi ?

Stéphane Oiry : C’est marrant, j’ai posté cette remarque innocente sur mon blog et depuis, on ne cesse de m’interroger à ce propos. On trouvera aisément ma réponse ailleurs sur le net, je vais simplement y ajouter une petite note polémique, hé, hé !

Je trouve absurde la revendication du SNAC/BD (le syndicat des auteurs de bd) d’accorder aux coloristes le statut d’auteur. Sauf rares exceptions, la couleur ne modifie pas le sens d’un récit. La colorisation d’un album me fait penser au travail d’un arrangeur sur une chanson ou celui d’un éclairagiste au cinéma. Est-ce que l’arrangeur ou l’éclairagiste est considéré comme « auteur » ?

Sceneario.com : Pourquoi avoir choisi de faire des planches quasi monochromes plutôt qu’une colorisation plus classique ?

Stéphane Oiry : Je suis suffisamment immodeste pour penser que mon dessin fonctionne très bien sans couleur donc tant qu’à en mettre de la couleur, autant prendre un maximum de liberté avec celle-ci.

J’ai souhaité installer une même ambiance nocturne sur l’ensemble de l’album, comme une ligne de basse répétitive et nonchalante, puis rompre cette monotonie, casser le rythme par quelques breaks, avec des séquences criardes, rouges ou jaunes notamment. Tout ça est très instinctif finalement, je me trouve très con à justifier ce genre de parti pris.

Une vie sans Barjot extrait 2

Techniquement, la difficulté réside aussi dans l’usage du papier munken qui est un papier offset qui boit l’encre et dont la tendance est à ternir les teintes – difficile d’obtenir avec, des teintes pop. J’aime bien ce papier mais il faut reconnaître qu’il est rude à dompter.

Sceneario.com : Stéphane Oiry, sur vos deux albums avec Appollo votre trait est très différent de celui que l’on peut voir sur vos autres livres. Dans quelle style vous sentez-vous le plus à l’aise ?

Stéphane Oiry : Le plus simple pour moi est de dessiner les Pieds Nickelés. « Pauline » ou « Une vie sans Barjot » exigent plus de travail, de rigueur, de concentration.

Je me suis interrompu dans «Une vie sans barjot » pour réaliser le tome 2 des Pieds Nickelés. J’étais dans une sale passe, j’étais rincé, je n’arrivais plus à puiser en moi la niaque et les ressources pour me plonger dans Barjot. Dessiner un Pieds Nickelés me semblait une promenade de santé, à côté.

À l’arrivée, je me reconnais beaucoup plus dans le traitement graphique de Barjot ou Pauline. Ce n’est pas toujours simple d’aimer son dessin (un peu comme aimer sa gueule ou sa voix). Et ça peut prendre beaucoup de temps avant de trouver son trait. Aujourd’hui avec ces deux livres, je me sens en paix, j’ai l’impression d’être fidèle à ce qui a motivé ma vocation.

Sceneario.com : Les deux auteurs férus de Rock que vous êtes, ont-ils apprécié le FIBD 2011 avec Baru à sa tête ?

Stéphane Oiry : Je n’y étais pas invité donc je ne peux pas faire de commentaire. J’ai su qu’il y avait eu un concert dessiné de Jon Spencer ? J’ai beaucoup écouté Jon Spencer, moins maintenant.

J’aime bien Baru, voilà un auteur qui a parfaitement décrit l’adolescence. Il se dégage de ses livres une énergie et un dynamisme revigorants. Je suis un peu moins fan lorsque ses bandes dessinées se font plus explicitement politiques. Pour moi le rock est une forme de mauvais esprit, d’idiotie assumée, un ricanement. Il s’accommode mal de l’esprit de sérieux et du militantisme, me semble-t-il.

Appollo : Moi non plus je n’ai pas été invité à cet Angoulême, donc je n’ai pas tellement d’avis. J’espère que je serai là quand Menu sera président, ça sera vraiment punk pour le coup.

Sceneario.com : Quels sont vos prochains projets ?

Appollo : Outre La Lauréate avec Stéphane, je travaille sur une sorte de péplum barbare carthaginois avec Tanquerelle.

Stéphane Oiry : La lauréate donc, le tome 3 des Pieds Nickelés et puis un conte érotique (voir porno) qui aura pour cadre Londres au début des années 90, livre que je souhaite réaliser seul, cette fois-ci.

Une vie sans Barjot extrait 3

Sceneario.com : Quels sont vos derniers coups de cœur BD ?

Stéphane Oiry : J’ai très peu lu de bande dessinée ces derniers mois. Ce sont les circonstances qui l’ont voulu, ce n’est pas par snobisme, hein, je le précise car je déteste les auteurs de bd qui revendiquent ne pas en lire, j’adore lire de la bd.

Parmi ces maigres lectures donc, je retiens Lo de Lucie Durbiano. C’est frais, élégant et spirituel.

Et puis le dernier Morgan Navarro pour Bd Cul : Teddy Beat. J’admire sa décontraction, Navarro ne semble pas du tout intimidé par son sujet. C’est drôle et un peu émoustillant.

Il y a cette jeune fille qui ressemble aux frites dans la pub pour la Végétaline. Quelle idée formidable ! C’est vrai qu’elles étaient super sexies, ces petites frites. Ce livre est truffé de ce genre de petits détails croustillants.

Appollo : Malheureusement, je vis actuellement à Kinshasa et je suis un peu largué en matière de nouveautés. J’ai beaucoup aimé le Quai d’Orsay de Blain, qui m’a bien fait rire. Le dernier bouquin que j’ai acheté est à la limite de la bande dessinée et de l’illustration, c’est « Alphabet of Democracy » du dessinateur sud-africain Anton Kannemeyer (alias Joe Dog), l’un des deux Bitterkomix, et c’est très bien.

Publicité