Interview

Alain Kokor

Sceneario.com : Bonjour Kokor, comment est tu venu à la bande dessinée ?

Moss moss

Kokor Tout gamin, je connaissais la bande dessinée, j’avais lu quelques Pifs , quelques Blek le Rock et puis, quand j’avais une dizaine d’années, on m’a offert un Lucky Luke. Je suis tombé amoureux fou de ce que découvrais à ce moment là.
J’ai commencé à recopier Lucky Luke. Au début, évidement c’est le dessin qui m’a passionné, et je crois que mes personnages ressemblent encore à Lucky Luke, j’ai l’impression que je n’en suis pas tellement sorti.
On évolue, mais Morris reste pour moi La référence, c’est un dessinateur extraordinaire. Les auteurs et les illustrateurs que j’ai découverts après font partie de la même famille.
Avant quand je parlais de cette influence, au tout début, quand j’allais dans des festivals de bande dessinée, et que l’on me demandait quel était mon dessinateur préféré et que je répondais Morris, les gens tournaient la tête, essayaient de changer de conversation.
C’est marrant parce qu’il était pris pour un auteur de bande dessinée de jeunesse, point barre, rien d’autre.
Alors qu’Astérix avait une autre valeur, aimer Astérix on pouvait le dire, mais pas Lucky Luke, du moins pour un adulte. Alors que moi je place Lucky Luke mille fois plus haut qu’Astérix, dans tout : scénario et dessin.
Uderzo est un super dessinateur, mais la simplicité dans le trait, les cadrages, la mise en scène chez Morris sont exceptionnels.
A force de recopier, j’ai eu envie de créer mes propres personnages, après, le plus difficile a été de travailler le scénario.
J’ai mis beaucoup d’années avant de me décider. Je disais que je faisais de la bande dessinée, mais je n’en faisais pas, j’étais plus un illustrateur. J’ai fait des affiches, des conneries, dans la région du Havre, j’en ai fait des centaines, pour annoncer un spectacle avec la maison de la culture, les CLECS à l’époque, des centres de loisir. Cela a été mon école mais cela restait un dessin, une affiche pour annoncer un concert mais ce n’était toujours pas de la BD, parce que la BD c’est une suite de dessins avec un scenario quant même, une histoire.
J’en rêvais, j’ai mis du temps mais j’ai réussi, un peu sur le tard a me lancer vraiment, a écrire.

Sceneario.com : 2010 a vu la réédition de Balade Balade paru en 2003 chez Vents d’Ouest, pourquoi cette réédition ?

Balade Balade

Kokor Déjà, tant mieux, parce que c’était épuisé et ils le rééditent et ça c’est bien.

Pour le changement de format, ils ont commencé avec Ibicus de Rabaté qui a évidement une autre tête parce qu’il est beaucoup plus épais, mais c’est exactement le même format, plus pratique parait-il, plus dans l’air du temps.
Moi je le préférais au format normal, mais on ne le trouvait plus. Cela faisait quelques festivals que je faisais et où les libraires ne pouvaient plus se le procurer. Le principal est qu’il continue de vivre.

Sceneario.com : Comment est né ce conte ?

Kokor Il n’aurait pas pu arriver avant Kadi, tout simplement parce que pour moi Kadi c’était une montagne. Je me lançais dans l’écriture, pas loin de 120 pages, alors que, quand on démarre, on essaye d\abord quelques histoires courtes.
Le scénario de Kadi racontait une histoire de porte avions, enfin d’un supermarché mais qui a la gueule d\un porte avions.
Il y avait vraiment beaucoup de personnages, nécessaires parce que c’était l’ambiance de supermarché, il fallait vraiment qu’il y ait une oppression, une grosse densité de personnages dans les cases
Sortit de l’écriture de Kadi, je me suis dit je vais rebosser sur un projet, j’avais envie de faire un truc mais tranquille. En alignant les envies, les idées que j’avais, le premier mot qui est venu c’est balade. Un truc tranquille, loin du bouillonnement de Kadi, de ces situations qui s’entrecroisaient.
Après comme j’aime bien les rapports humains dans la construction des dialogues, j’ai pensé à l’histoire d’un acheteur et d’un vendeur. Peut-être un jour en assistant dans un magasin à une scène avec un vendeur qui argumentait, je me suis dit qu’il y avait matière à dialogue.
Ensuite, il fallait trouver ce qui était à vendre. Au début c’était l\’histoire de quelqu\un qui venait acheter une maison, mais à part le coup de la maison hantée, je me suis dit que je n\irais pas très loin. Alors pourquoi est-ce qu’il ne viendrait pas acheter un village complet? Il achète la boulangerie, la boucherie, les gens, il achète tout. Et puis l’idée faisant son chemin, il est en venu à acheter la planète.
De là le personnage devenait un extra terrestre, et tout s’est construit.
L’idée de la radio vient de ce que j’adore écouter les feuilletons radiophoniques, c\est vrai qu’il n’y en a plus beaucoup. J’écoute aussi beaucoup de films, des films que j’ai déjà vus et que j’écoute après sans voir l’image et j’adore ça.
Un projet nait d’additions de différentes envies, je note et puis voila.

Sceneario.com : Depuis tu as réalisé une adaptation des voyages du Docteur Gulliver en trois tomes, pourquoi ce choix de l’œuvre de Swift ?

Je sortais d’un autre projet, Le commun des mortels, et je cherchais une autre Le commun des mortels idée. Alain David qui suit mes projets depuis le début avait pensé à moi pour adapter 3 histoires dans un collectif chez Vents d’Ouest, et puis Swift s’est présenté, tout simplement.
Quand j’ai lancé mon projet, ce n’était pas la grande mode des adaptations. L’arrivée des bouquins au moment où tout le monde s’est mis à en faire est un hasard.

Sceneario.com : C’est librement adapté, qu’est-ce qui a conduit ton choix ?

Kokor Je cherchais une idée, et en marchant (je marche beaucoup pour trouver des idées), l’idée m’est un peu tombée dessus, et pourquoi pas Gulliver? Je suis allé dans une librairie et j’ai acheté le roman.
J’ai commencé à le lire et je me suis dit que c’était inadaptable pour moi. Je ne sentais pas du tout le truc. Comme j’en avais déjà parlé à la personne qui suivait mes projets chez l’éditeur, je l’ai rappelée pour lui expliquer que je ne pouvais pas le faire.
C’est en argumentant tout ce qui faisait que je ne me voyais pas le faire en fait que s’écrivait plutôt la liste de ce que je pouvais en faire.
Gulliver dans le roman est un prétexte, l’envoyer en voyage est un prétexte pour dénoncer ce qui se passait à cette époque là et finalement j’ai eu envie de continuer avec d’autres voyages, en me servant quand même des géants, des lilliputiens.

Sceneario.com : Pour toi la bd doit-elle être militante ou à tout le moins essayer de faire passer un message ? (paroles sans papiers – dénonciation sociale dans Gulliver)

Les voyages de Gulliver

Kokor Je ne me pose pas trop la question, mais c’est plus fort que moi, cela doit être ancré à l’intérieur de moi, je n’arrive pas a me passer de dénoncer ce qui me gène dans la société.
Dans le troisième Gulliver il y en a plein. Déjà dans Kadi, avec cette histoire de super marché, de produits un peu bizarroïdes, je parle des excès de la consommation. Dans Balade Balade, c’est même la planète qui est à vendre.
Mon prochain bouquin démarre avec un personnage qui vient de sauver la terre, sans faire exprès.

Sceneario.com : Entre Balade balade, Les voyages du Docteur Gulliver ou petite souris grosse bêtise, on retrouve un fil conducteur, la poésie et la douceur est-ce un hasard ?

Kokor Un hasard, non je ne crois pas, ce n’est pas réfléchi mais surement que se dessine un peu mon caractère ou ma façon d’être avec les gens, j’adore les rapports humains, rencontrer les gens.
Poète, cela m’a toujours fait râler. Mais cela fait des années qu’on dit "Alain c’est un poète". La première fois, je n’avais même pas dix ans et j’ai cru que c’était un gros mot. Je suis rentré chez moi en pleurant :"on m’a traité de poète", je ne savais pas. C’était une fille qui m’avait dit ca.
Donc ça date, mais je ne cherche pas à faire dans la poésie, je ne me l’explique pas cette poésie là, ça doit être moi.

Sceneario.com : Petite souris et grosse bêtise est le premier album où tu n’es pas scénariste. Comment Loic Dauvilliers a-t-il réussi à te convaincre de travailler en collaboration ?

Petite souris grosse bétise

Kokor En fait, dans une autre vie, j’avais fait deux bouquins chez Zenda avec Alph au scénario, cela s’appelait "Phil Korridor" c’était en 94 ou 95. Et là, pareil, belle rencontre avec Loïc, notamment grâce au festival d’Amiens où on était souvent invités tous les deux.
On s’entendait bien déjà et un jour il m’a proposé un boulot. J’ai dit Ok. Pas parce que c’était devenu un copain, mais ok parce que je trouvais cela très bien écrit, très bien raconté. Je n’avais vraiment jamais travaillé en bande dessinée jeunesse, lui le fait très bien et il m’a d\’ailleurs depuis proposé un autre scénario.

Sceneario.com : Fais tu toujours de la musique ?

Kokor Oui, toujours, pas en tant que professionnel, je l’ai été parce que j’avais rencontré les bonnes personnes, j’étais là au bon moment. Je ne suis pas un grand musicien, il y a surement meilleur que moi, je joue de la basse et j’ai accompagné un chanteur. Mais j’avais déjà joué dans des groupes rock sur le Havre. J’ai toujours fait un petit peu ça, c’est une activité que j’adore.
Cela continue, avec une copine anglaise qui habite au Havre, on répète souvent, on essaye de faire quelques petits concerts, on a envie cet hiver d’enregistrer un 5 titres, j’adore être sur scène.
C’est une compensation parce que je suis un grand solitaire. Même en travaillant avec Loïc, une fois que j’ai le scénario, je suis chez moi. J’adore ça, je peux rester des jours tout seul pour l’écriture ou le dessin et là, d’être avec quelqu’un en musique, cela me sort, j’adore le sentiment de groupe même si c’est à deux.

Sceneario.com : Tu as évoqué un projet avec Loïc Dauvilliers, est-ce que tu peux nous en dire plus?

Kokor Pour les projets à venir, il y a effectivement une histoire BD jeunesse avec Loïc Dauvilliers aux Editions de la Gouttière qui va s’intituler MON COPAIN SECRET. Et surtout un album de 120 planches dessin et scénario pour Futuropolis qui aborde un tournant dans mon oeuvre "techniquement parlant" car je délaisse l’encrage classique pour ne plus dessiner qu’au crayon de couleur (et c’est dingue ce que j’aime ça!). Il y a aussi que pour la première fois de ma vie que je me gave de doc’ que je vais chercher directement chez l’habitant (l’histoire se passe à Dublin). Le titre : SUPPLEMENT D’AME.
Ce sera une comédie sentimentale, une histoire de rencontre, encore une, avec des personnages qui regardent la mer et l’horizon (c’est dingue!)…

Sceneario.com : Voila un album que nous attendrons avec beaucoup d’impatience.Merci beaucoup de nous avoir consacré un peu de ton temps.

Kokor Merci à toi

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