Interview

Adeline BLONDIEAU et Eric SUMMER

Éric Summer: Tu es le responsable du site Sceneario.com, c’est ça? j’aime beaucoup votre site, et j’y vais très régulièrement, car il est très bien tenu, les mises à jour y sont régulières et rapides. C’est l’un de mes sites de référence dans la Bande Dessinée.

Sceneario.com: Merci, ça fait très plaisir. Pour ma part j’avoue avoir été un peu réticent lorsque j’ai vu l’an passé la sortie d’une Bande Dessinée d’Adeline et Eric Summer. Comme beaucoup je me suis dit voilà l’utilisation de nom et de personnalités pour vendre un album. Et puis j’ai franchi le pas, et je n’ai vraiment pas été déçu car j’ai vraiment beaucoup aimé l’album. D’ailleurs Adeline en parle dans le tome deux en remerciant les lecteurs qui ont passé outre les préjugés, et j’en fais partie.

Eric Summer: Il y a eu des sites comme le tien qui ont tout de suite dit qu’en effet l’album est co-signé par Adeline, mais l’histoire est structurée, il y a des vrais personnages, le scénario tient la route. Et comme les lecteurs sont beaucoup sur internet, et qu’ils cherchent à se renseigner, tout ça a fait que l’album a bien pris. Pour nous ça a été un vrai soutien.

Sceneario.com: Comment êtes vous arrivé à la Bande dessinée?

Eric Summer: je suis un vrai passionné, j’ai près de 10 000 Bandes Dessinées chez moi. Je suis un collectionneur, et surtout un avaleur de Bande Dessinée.
A la base, il y a avait l’histoire d’un long métrage du nom de “Fuckin’ Day”, et Jean-Charles Gaudin à qui j’en avais parlé, m’a proposé de le faire lire à Mourad car il avait bien aimé. A l’époque je travaillais sur la troisième version du scénario pour le cinéma avec Adeline. Adeline y apportait de nombreuses idées, et à partir de ce moment là je me suis dit qu’Adeline devait aussi faire partie de cette aventure dans la Bande Dessinée.

Sceneario.com Et vous Adeline, vous aimez la Bande dessinée?

Adeline: Non, non… j’ai vu de la lumière je suis entrée en me disant que j’allais me faire des nouveaux potes. (Rires) Bon sérieusement, j’ai lu de la BD depuis toute petite, j’ai commencé par des Bibi Fricotin (jamais lu Bibi F… en revanche, les schtroumphs oui, Tintin, Philémon, Alix, Jo Zette et Joco aussi ! , Bécassine, Pim Pam Poum, le Journal de Mickey, tout ça grâce à mes parents qui sont des « gros lecteurs » de bouquins (ils sont antiquaires et historiens et aussi ex-rockeur parolier) , et qui pensent que pour entrer dans la littérature on peut aussi passer par la Bande Dessinée.
Puis dès que j’ai su lire, j’ai eu le droit à tous les Tintin. J’ai vraiment été nourrie à la Bande Dessinée dès mon plus jeune âge, mon père avait 6 000 BD dans sa bibliothèque, et je m’enfermais des journées entières pour lire des albums. Évidemment parfois je tombais sur des BDs qui n’étaient pas forcément de mon âge, mais ça ne me dérangeait pas, je trouvais ça même génial que mon père me laisse libre accès à tous les bouquins, tous vraiment. Pas de censure !

Sceneario.com: Vous pensiez un jour avoir un pied dans la Bande Dessinée?

Adeline: Quand j’étais gamine, je participais à la rédaction du journal de l’école, j’y écrivais des BD, je faisais donc à cette époque le texte ( !) et le dessin (vous voyez, il doit y avoir des « collectors » qui traînent quelque part et personne ne s’en rend compte ;-)) !!!) . Mais aujourd’hui il vaut mieux que je laisse le dessin aux vrais pros… Quand est gamin on tente de s’exprimer sur tous les supports, moi ça passait beaucoup par le dessin et l’écriture. Devenue adulte, du moins presque( j’adore encore acheté des jouets, des gadgets, des artoys… pour le plus grand plaisir de mon fils) , j’avais gardé mon côté « dessin » pour moi. Je ne m’étais pas mis d’interdit pour autant, on fait un métier super artistique, j’ai fait beaucoup de chose. J’ai travaillé dans le parfum, en créant un parfum, jamais je n’aurais pensé que cela m’arriverait. On est dans un métier où tout peu arriver finalement. Le meilleur comme le pire. Et souvent des choses très inattendues. Et finalement la Bande Dessinée ce n’est pas très éloigné de la mise en scène, ou de l’écriture d’un scénario et fait déjà parti de mon univers depuis longtemps.

Sceneario.com: Y a t-il eu un choix concernant le dessinateur?

Eric Summer: Oui, bien sûr. Il y a eu Goethals, qui a déclaré forfait car il était mort d’épuisement, il s’est rendu compte qu’il avait du mal à gérer une BD réaliste dans les moindres détails. On nous a alors proposé Serge Fino. J’avais déjà vu ce qu’il faisait, il a fait des essais, et comme c’était exactement ce qu’il nous fallait, et que la transition se ferait tout en douceur…
L’avantage avec Serge, c’est qu’il est bosseur. Comme Adeline et moi sommes des maniaques du détail chacun dans notre domaine, nous lui demandons souvent de recommencer une case ou un personnage. Serge a très bien compris l’esprit de l’album, ainsi que nos attentes. Dans le 3° tome qui sort en Juin, il explose. Il était un peu bridé dans le 2° tome, puisqu’il était dans la continuité. Mais pour le 3°, il se lâche. C’est un vrai bonheur.

Sceneario.com: Le tome 3 sera un one-shot?

Eric Summer: Le tome 2 clôture la première histoire. Le 3 ° tome et le 4° seront une nouvelle histoire. J’aime beaucoup le principe de Largo Winch, avec une histoire qui se fait sur 2 tomes. Car je pense que tout le monde est comme moi. Une série en 2 tomes on arrive à suivre, mais en 3 tomes, on commence à peiner, il faut relire les 2 tomes précédents, en 4 tomes on commence à craquer. Chez moi, j’ai 100 BDs de retards, des séries que je n’arrive pas à lire parce qu’il faut que je relise les tomes précédents pour bien tout comprendre, et je n’ai plus le temps.
J’aime donc bien le principe des "two shots"… enfin je ne sais pas comment on appelle ça…

Sceneario.com: Des Bi-Oneshot???

Eric Summer: (Rires)… en tout cas c’est bien plus pratique pour le lecteur. Je trouve en plus que ça nous permet tous les deux tomes de changer d’univers, et ainsi d’avoir une BD très évolutive. Ça nous correspond bien.

Sceneario.com: Ce qui veut dire que l’on retrouvera les aventure d’Angeline sur plusieurs tomes.

Eric Summer: L’objectif est de surprendre. Comme avec Adeline on est arrivés dans la BD un peu par accident, on n’a pas peur de remettre en cause notre héroïne. J’aimerais ne pas en arriver à la même chose que XIII, avec un 14° album où ça ne veut plus rien dire, et il faut absolument que la série s’arrête.
J’ai adoré XIII comme tout le monde, jusqu’au 7° tome, je suis un fanatique. Après ça commence à s’étirer. Je pense donc qu’on arrivera à un moment où on fera mourir l’héroïne. En tout cas, on la fera vieillir. On veut montrer que les héroïnes peuvent s’abîmer, qu’il y a des choses qui les marquent physiquement, et à un moment on surprendra le lecteur en faisant se terminer l’histoire pour telle ou telle raison…

Sceneario.com: Adeline, vous êtes intervenue de quelle manière sur le scénario?

Adeline: Comme l’a dit Eric, je suis arrivée un peu en cours de route sur le scénario de la première histoire. Eric m’a envoyé par mail la deuxième version du scénario de « Fuckin’ day » un soir, et j’ai passé la nuit à le lire. Et j’ai fait une fiche de lecture, un peu plus longue que prévue, Eric m’a appelé et je lui ai dit ce que j’en pensais, on s’est vu et on a passé la journée entière à travailler dessus. Je me suis impliquée sans vraiment faire attention à mon degré d’implication, et Eric m’a proposé de faire partir de l’aventure, car il voulait que j’apporte mon vrai point de vue féminin. Eric est très bon pour raconter des histoires féminines, mais il ne sera jamais une femme, même si il se fait opérer au Brésil… (rires), il aura toujours le cerveau d’un homme.
J’essaie d’apporter un côté femme, car dans la BD on voit beaucoup des projections masculines sur le comportement des femmes. C’est vrai que régulièrement je me suis battue, pour une scène de fellation par exemple… Pas forcément pour le côté dégradant, mais plutôt car c’était irréel. On parle d’une héroïne réelle, et du coup elle doit avoir un comportement cohérant. Et puis les nanas qui font cela à tout bout de champ et par plaisir avec des inconnus, ça existe surtout dans la tête des mecs…
Une fois Goethals avait fait un très beau dessin de Juliette qui errait dans les rues de la Nouvelle Orléans et elle était habillée en robe chinoise super belle, col Mao. Une robe fendue très haut. La fille dans l’histoire est déprimée, qu’est ce qu’elle ferait habillée comme ça alors qu’elle est au bout du rouleau? Ok elle avait un côté très esthétique, sauf que franchement la robe ne collait absolument pas au contexte. Pour moi, une fille habillée comme ça, cherche un homme… dans l’histoire Juliette pense à sa fille, et à tous ses problèmes, elle ne pouvait pas se promener comme ça.
Je me suis donc prise en photo avec un jean et une veste en cuir, me disant que c’est plutôt ce look là qu’il lui faut.

Eric Summer: C’est très important ce que dit Adeline. C’est vrai que dans les BDs on voit très souvent des stéréotypes des femmes. Moi qui suis un fan de Largo Winch, lorsque je vois les femmes qui y sont dessinées et leurs tenues, ça me fait souvent rire. On est un peu bête car l’on n’a pas forcément le point de vue de la réalité. Et ce que j’aime dans le travail avec Adeline, c’est qu’elle réagit en fonction de la situation. Moi qui suis un maniaque du détail, et comme je ne veux rien laisser au hasard, tout ça rajoute à la véracité de l’histoire. Que le lecteur le voit ou non, c’est pas grave. En tout cas c’est pour moi très bien de ne pas avoir de bimbo aux talons hauts qui n’a rien à faire là.

Sceneario.com: Si Adeline n’avait pas été là vous seriez passé à côté de ça?

Eric Summer: Sans doute. Enfin peut être pas à côté de la robe dessinée par Goethals. Mais c’est vrai que la vision de la psychologie féminine d’Adeline nous a vraiment apporté beaucoup. Une femme va s’habiller de telle ou telle manière en fonction de ce qu’elle pense ou de ce qu’elle va faire. En tant qu’homme on serait passé à côté de ça, sans aucun doute.

Sceneario.com: Angoulême représente quelque chose d’important pour vous ou votre BD?

Eric Summer: Ce qui est important c’est de rencontrer les lecteurs, mais aussi de se retrouver tous les quatre avec le dessinateur et la coloriste, ça nous permet de voir notre éditeur. C’est comme Cannes, dans le bon côté de Cannes, sans le côté paillettes avec les gens qui ne sont là que pour se montrer. Le vrai Cannes, ce sont ceux qui bossent sur le marché du film, donc ici de la BD, et c’est aussi l’occasion de rencontrer des gens qu’on ne voit que rarement car on n’a jamais le temps. A Angoulême, on est vraiment là pour bosser, rencontrer du monde, parler de projets, faire de la promotion… c’est effectivement très utile.

Sceneario.com: Et le contact avec le public se passe comment?

Adeline: Bien très bien. J’ai l’habitude d’avoir toujours du monde sur les tournages qui viennent me voir. Ce que j’aime moi dans ce public là c’est qu’il me voit sous une autre facette, il y a d’ailleurs dans la BD plus d’hommes que de femmes par rapport à “Sous le Soleil”, et les hommes me voient sous un autre angle, avec un esprit BD, et ça c’est vraiment sympa aussi. Ça fait plaisir de savoir que mon autre casquette est respectée, ça fait vraiment du bien.

Eric Summer: Lorsque j’ai commencé le projet d’Angeline, je trouvais que les thrillers n’étaient souvent destinés qu’aux hommes. On a très peu d’exemples de thrillers destinés aux femmes, on a Nikita, Thelma et Louise. Même Kill Bill, malgré son héroïne, est pour moi un thriller de mecs. Je voulais vraiment faire un thriller pour les femmes, et là encore Adeline a vraiment beaucoup apporté, avec cette héroïne amorale qui fait des choses totalement répréhensibles, à laquelle on s’attache et que l’on a vraiment envie d’aider. Et ce qui me fait plaisir dans des festivals, c’est qu’il y a de nombreuses femmes qui viennent, et qui me disent qu’elles aiment l’héroïne, pour moi c’est un vrai bonheur. Et c’est la preuve que les femmes peuvent s’attacher à un genre typiquement masculin si il est écrit de leur point de vue.

Sceneario.com: D’autres projets ?

Eric Summer: oui mais que je ne mettrai pas en application pour le moment car j’ai trop de travail ; je suis en tournage jusque fin mars, et Angeline me prend tout le temps qu’il me reste. Et tant que c’est un tel investissement, il est hors de question que je démarre autre chose. J’aimerais bien, pourtant. Mais j’attendrai que les conditions soient réunies pour que je me consacre à ces projets BD comme ils le méritent.

Adeline: Oui, moi j’ai un projet qui commence à prendre forme et un autre un peu plus lointain. J’ai un peu de temps jusqu’à mi mars, alors je mets les bouchées doubles.
Il y a une histoire sur les rapports hommes-femmes, dans la tranche des trentenaires, et le deuxième est plutôt historique.

Sceneario.com: Seule au scénario?

Adeline: oui, toute seule.

Sceneario.com: Et le dessinateur? Surprise ou pas encore choisi ?

Adeline: Si, si choisi. C’est quelqu’un que j’ai rencontré ici, un vrai coup de foudre amical, avec une vraie reconnaissance du travail et de l’univers de l’autre. On a les mêmes références, on flashe sur les mêmes choses, on a les mêmes films en tête…
Je me suis retrouvée avec des gens qui sont de ma génération et qui ont les même trips que moi. Il m’arrive de me promener et d’acheter des jouets pour mon fils ou pour moi. La semaine dernière je me suis achetée des goldoraks, mon fils a cru que je plaisantais lorsque j’ai dit que c’était pour moi. J’ ai besoin de ce côté très ludique de la BD, où on est gamin avec un regard d’adulte. On peut se payer des jouets avec les moyens d’un adulte en ayant l’émerveillement d’un enfant. j’aime ce pont entre l’enfance et l’âge adulte.

Sceneario.com: Et en dehors de la BD, d’autres choses en cours?

Erci Summer: oui, ce projet de long métrage, Fuckin’ Day correspondant aux deux premiers tomes de la BD Angeline, mais il est chiffré à quelques 12 millions de dollars US ; c’est donc un assez gros budget. En plus je suis français habitant au Canada avec un scénario écrit en anglais, c’est plutôt pas simple. j’ai un producteur au Canada qui s’est cassé les dents en essayant de le monter. Je suis sur une nouvelle piste avec un autre producteur. Tous les espoirs sont permis. Je suis par ailleurs actuellement en tournage jusqu’à fin mars de deux téléfilms de la série de TF1 “Alice Nevers, le juge est une femme” avec un gros casting et beaucoup de scènes d’action et de suspense. Ensuite il y a d’autres projets pour la télé, dont l’adaptation d’une célèbre BD… Mais chut ! Et aussi un projet de film franco-français cette fois, pour le ciné. C’est une comédie fantastique, et on a de très bons retours sur le scénario, même si dans ce milieu il faut constamment se méfier.

Adeline: Je recommence les tournages en mars, donc pour le moment j’en profite pour écrire, et je m’occupe de ma famille et de mes amis. J’en profite pour prendre le temps de vivre, je me suis mis au pilotage d’avion, j’ai repris l’escalade. j’ai tendance à ne faire que bosser, et donc en ce moment je prends le temps. Lorsque je me ressource ainsi, ça se ressent sur mon travail ensuite, toute l’énergie que j’ai puisée dans la détente ressort dans mon travail.
Je travaille sur une pièce de théâtre, mais comme j’ai eu une commande pour une boite de production, on répond à la demande. Mais je suis à fond sur les deux projets BDs, sur un scénario et sur une pièce de théâtre, sans oublier un court métrage avec des enfants.

Sceneario.com: Vous êtes arrivés sur Sceneario.com de quelle manière?

Eric Summer: Tout simplement en faisant une recherche sur Angeline, et comme j’ai trouvé le site extrêmement bien fait, j’y retourne régulièrement, et comme j’habite le Canada, et que l’on a les BD souvent très en retard, je suis toujours à la recherche d’infos concernant des albums. Et c’est vrai que Sceneario.com est l’un des deux endroits sur le net sur lequel je vais très souvent (le deuxième étant EncycloBD) en priorité. Je ne peux que vous demander de continuer, car c’est sur des sites comme Sceneario.com que l’on rencontre de vrais passionnés. Et si en plus notre album est bien chroniqué, c’est la cerise sur le gâteau !…

Publicité