Woman on the River

"Les Dieux avaient envoyé l’orage. En ouverture du final de ma vie. Ils s’étaient inspirés des clips multicolores qui passaient maintenant à la télé." Sur cette introduction acerbe fondée sur une narration à la première personne qui guidera toute l’histoire, se dévoile un tableau aux graphismes hallucinés propres aux ouvertures de Matthias Schultheiss. Le narrateur, dont on ne connaîtra pas le nom, nous livre alors son passé de tueur à gages, le crime qui l’a conduit en prison, son incarcération et surtout les jours qui ont suivi sa libération. Passé au vert, il découvre un bonheur fragile malgré le passé qui le hante. Des jours heureux qu’il doit notamment à ses nouveaux voisins auprès de qui il expérimentera l’amitié, la générosité, l’estime de soi et même l’affection presque paternelle qu’il portera à leur enfant.
Mais ce bonheur éphémère est mis à l’épreuve lorsque, au cours de l’une de ses tortueuses insomnies, le criminel repenti voit défiler sur la rivière où il médite un yacht "blanc comme la promesse d’un monde en paix". A bord, l’une de ses anciennes victimes devenue l’épave d’elle-même et dont il aura le malheur de s’éprendre. Un destin ironique, où la mort s’annonce sous l’allégorie d’une onde circulaire tracée par les agitations d’un poisson… ou la trajectoire d’une balle.

Par Rill, le 16 octobre 2012

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Notre avis sur Woman on the River

Un an auparavant, Schultheiss nous bousculait avec un one shot sulfureux, Daddy. Son dessin expressionniste mettait en scène les errances d’un messie désabusé et plus enclin aux shoots à l’héroïne qu’au prosélytisme, frappé de cécité pour avoir renoncé à ramener les hommes auprès d’un Dieu le Père devenu trop cynique. Une œuvre troublante qui plaçait la barre haut pour ce nouveau polar au ton infiniment plus lyrique.
Le défi est ici relevé. La trame est certes moins extravagante, mais elle n’a pas l’ambition d’un Daddy voué à la réflexion, voire à la provocation sur les fondements du catholicisme et de notre société.
L’histoire se veut ici simplement poétique, et le personnage créé par Schultheiss nous touche par sa sensibilité brut de décoffrage, bête virile en quête de tendresse qui rappelle parfois the Wrestler de Darren Arronovsky. On retiendra des scènes particulièrement saisissantes comme celle où le narrateur, qui hier encore abattait un inconnu pour quelques billets, se voit transformé par sa nouvelle relation avec un enfant auquel il ira jusqu’à inculquer son dégoût pour les armes.
Les graphismes, quoique d’une qualité parfois inégale, ont gagné en maturité. On salue en particulier les traits fluides et expressifs, plus proches du ressenti que du réalisme, les jeux d’ombre et de lumière, et l’atmosphère âcre portée par un vert omniprésent tantôt radieux, tantôt opaque et maladif, à l’image du héros.

Un récit d’ambiance en somme, qui narre avec une mélancolie et un lyrisme puissants les règlements de compte entre un truand reconverti et son passé.

Par Rill, le 16 octobre 2012

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