VOYAGES DE JHEN (LES)
Carcassonne

Carcassonne. A lui seul, le nom de cette cité est empli d’histoire, de légende. En effet, lorsque Charlemagne assiégeait la ville fortifiée, les occupants de cette dernière, épuisés, étaient prêts à se rendre. Dame Carcas, la femme qui s’était mise à la tête de cette armée d’assiégés, joua une dernière carte en guide de baroud d’honneur, de pari osé : elle fit rassembler le peu de victuailles qui restaient dans les réserves et gava un porc. L’animal fut ensuite balancé du haut des remparts à l’attention de Charlemagne qui calcula alors que ces assiégés tiendraient encore (trop) longtemps s’ils étaient tant dans l’opulence, au point de narguer de la sorte leurs attaquants. Le roi fit alors lever le siège : Dame Carcas avait gagné ! On fit sonner les cloches de la ville pour saluer l’événement. "Dame Carcas sonne !" entendit-on alors…

Maintenant… Carcassonne, ce n’est pas que cela. C’est aussi l’histoire d’une titanesque construction, d’une traversée de différentes époques ou encore d’une restauration qui continue de nos jours pour préserver ce joyau inscrit par l’UNESCO au patrimoine de l’humanité.

Par sylvestre, le 1 janvier 2001

2 avis sur VOYAGES DE JHEN (LES) #3 – Carcassonne

A l’instar des "Voyages d’Alix", "Les voyages de Jhen" ne forment pas à proprement parler une série BD. On pourrait plus les considérer comme des hors-séries documentaires. Il faut dire que depuis que Jacques Martin fait vivre à ses héros des aventures dans des décors historiques, on peut dire qu’il est devenu historien spécialiste et il est carrément légitime qu’il ait envie de partager ses passions, son travail et sa documentation.

En faisant cela sous le format cartonné de ses autres BD, il fait ainsi entrer dans les bibliothèques des tomes encyclopédiques thématiques. Qui s’en plaindrait ?

Pour autant, si ce n’est pas une BD et si la maquette ressemble à celle d’un livre d’histoire, la part belle est faite aux illustrations. Quelques photos, bien sûr, mais surtout de superbes dessins qui sont autant de grandes fresques.

Ces dessins sont, pour ce tome, signés Nicolas Van de Walle. Très détaillés, ils remplacent en une seule vignette ce qu’une planche de 10 cases pourrait représenter tant les détails sont travaillés : où que l’on regarde, dans un coin ou dans un autre, on assiste à une scène à part. C’est bien là l’un des objectifs de Martin qui n’a pas voulu faire faire à ses dessinateurs de simples reproductions de cartes postales en faisant réaliser des tableaux vivants.

Nicolas Van de Walle le rapporte lui-même : Jacques Martin est toujours aussi pointilleux sur le moindre détail ou sur la justesse des perspectives. Un superbe dessin, donc, à la manière de Martin, afin de garder à l’œuvre de celui-ci l’homogénéité qu’on lui connaît.

Les couleurs sont, elles, signées par non moins de quatre personnes. Là, par contre, je n’accroche pas trop à tous les choix de palettes. Les couleurs, faites à l’ordinateur, sont parfois trop vives et dénaturent, à mon sens, les sujets…

Carcassonne a toujours inspiré les artistes. Au cinéma, dans la littérature, dans la BD aussi (les terres cathares ont sûrement fait couler désormais plus d’encre que de sang). On se rappelle d’ailleurs que la légende de Dame Carcas a été quelque peu détournée par Gaudin qui l’a adaptée pour un épisode de sa série "Galfalek" où il a remplacé le cochon par une vache.

Exercice strict d’avoir à représenter un site connu : pas le droit à l’erreur, mais exercice réussi pour Nicolas Van de Walle et Jacques Martin avec ce T3 des "Voyages de Jhen". Une belle invitation à pousser la visite en se rendant sur place !

Par Sylvestre, le 4 mars 2006

Si les dessins sont du point de vue esthétique assez réussis, les planches représentent plus un Moyen Age imaginaire dans la droite ligne de Viollet-le-Duc ou des auteurs romantiques, qu’un Moyen Âge tel que les historiens et archéologues contemporains tentent de reconstituer. Les auteurs ne semblent pas avoir tenu compte des recherches récentes sur Carcassonne et semblent n’avoir vu la ville que de manière très superficielle. Aussi, malgré le souci réel du détail on dénote quantité d’erreurs historiques ou topographiques et de nombreux anachronismes. Voyons quelques exemples.

La double page 6-7 porte pour commentaire "la ville médiévale apparaît comme une forêt de toîts d’où émergent les clochers des nombreuses paroisses". Pourtant "ils étaient un" sur le dessin, pour parodier les romains d’Astérix. Le seul édifice religieux représenté est la cathédrale, dont le porche roman -encore existant- est remplacé par un porche gothique. La chapelle de l’évêque Radulphe, dessinée également en gros plan page 15, est détachée de la cathédrale alors qu’elle fait en réalité corps avec. Le cloître de la cathédrale et l’église Saint-Sernin, deux édifices dont des vestiges sont encore bien visible et dont l’un apparaît en photo p. 34, sont absents de la reconstitution. Deux tours de l’enceinte extérieure (tour Cautière et tour Pouléto) sont pourvues d’un encorbellement qui n’a jamais existé. L’organisation des rues est assez éloignée de la réalité actuelle tant dans le tracé que dans la forme : la volonté de faire un dessin aéré a sans doute conduit les auteurs a exagérer la largeur des rues et des places pour mieux mettre en valeur les reconstitutions de maisons.

Page 8 dans une reconstitution de Carcassonne dans l’Antiquité, l’enceinte gallo-romaine est présentée comme elle apparait de nos jours. Les niveaux de fondation, notamment les massifs carrés qui constituent les socles des tours, sont visibles alors qu’ils étaient enterrés jusqu’au milieu du XIIIe siècle. Le nivellement des lices après la construction de l’enceinte extérieure ayant provoqué leur mise à jour.
Les reconstitution de la vie dans le château comtal au XIIe siècle, pages 18 et 19, sont bourrées d’anachronismes. Les ouvertures (portes et fenêtres) n’ont rien de médiéval, les dimensions des salles sont très exagérées, le mobilier comme les stalles ou les tapisseries sont de style gothique de la fin du Moyen Âge (XVe siècle) pour une scène censée se passer 3 siècles plus tôt.

Pages 24-25 une reconstitution du siège de la Cité par Simon de Montfort en 1209 montre la seconde enceinte qui sera pourtant construire un demi siècle plus tard… Un commentaire (à droite) qui parle de l’enclos fortifié du Temple et de la muraille de Charles V concerne Paris et non Carcassonne.

La double page 30-31, sur le siège de 1240 est très spectaculaire mais c’est une compilation de poncifs et d’erreurs. On y décèle plusieurs anachronismes. Pardonnons aux auteurs d’avoir fait figurer une catapulte antique, un engin de guerre qui n’est plus utilisé au Moyen Âge. L’erreur provient de Viollet-le-Duc qui en a fait une arme médiévale dans ses dictionnaires de l’architecture et du mobilier. Et depuis rares sont les reconstitutions de siège médiéval qui ne font pas figurer cet engin. A la place de la catapulte on utilise au Moyen Âge des engins à contrepoids bien plus performant, comme le mangonneau qui figure au premier plan. Mais ce mangonneau est placé à l’envers. Autrement dit les assaillants se tirent des boulets de pierre sur eux-mêmes. Cela montre que les auteurs ne connaissent pas bien le fonctionnement de ces engins. Autre anachronisme, l’enceinte (ici autour de la tour carrée de l’évêque) est présentée dans son état du début du XIVe siècle. Plus grave encore, au devant de l’enceinte figure un fossé en eau. Or il n’y a jamais eu de fossé à cet endroit où se trouve en réalité un talus en forte pente. Et s’il y a bien des fossés autour du château comtal et d’une partie de la Cité, ils n’ont jamais été mis en eau comme pour tous les châteaux et fortification perchés.

La double page sur l’Inquisition pages 36-37 relève encore pour beaucoup de l’imaginaire ou du fantasme. On y voit des hommes et des femmes nus soumis à toutes sortes de tortures par d’inquiétants moines cagoulés, le tout dans une cave sinistre éclairée seulement par une cheminée aux flammes diaboliques. L’ensemble semble inspiré par le Musée de l’Inquisition et de la torture, une attraction privée assez douteuse que l’on peut visiter dans la Cité. Si l’Inquisition est condamnable, ses méthodes ne se réduisaient pas à la torture. Le texte de la page 35 le dit lui même : "la torture bien qu’autorisée (…) était visiblement peu employée". De plus les inquisiteurs ne procédaient pas eux-même aux tortures contrairement à ce que montre le dessin. Leur état d’homme d’Église leur interdisait en principe toute violence sur autrui. La même remarque peut être faite à propos de la scène de flagellation de la page 39 où l’on voit trois moines en train de fouetter un homme au milieu de la cathédrale. La flagellation est une pénitence que l’on s’affligeait en général soit même en repentance, et plutôt à la sortie de l’église qu’à l’intérieur.

On pourrait faire quantité d’autres remarques du même genre, notamment sur les costumes des personnages.
En résumé, c’est plus l’image mentale que les auteurs se font du Moyen Âge qui a guidé le dessin, qu’un souci de reconstitution historique. Pourtant, les sources documentaires sérieuses n’étaient pas difficile d’accès, notamment le livre "Carcassonne le temps des sièges", vendu au château comtal. Ce guide contient notamment des reconstitutions tout aussi belles et infiniments plus sérieuses, dues au talent de Jean-Claude Golvin. Mais les auteurs des Voyages de Jhen ne semblent pas en avoir profité. On a l’impression que les auteurs se sont surtout inspirés des dessins publiés par Violet-le-Duc dans ses Dictionnaires, sans aucun souci de cohérence.

Bien sûr, le respect de l’histoire et la cohérence ne sont pas des obligations dans une oeuvre de fiction, que ce soit en bande dessinée comme dans le roman ou le cinéma. On peut par exemple relever quantité d’anachronismes dans les Astérix et Obélix. Mais ceux-ci sont volontaires et contribuent à l’humour. On a une toute autre exigence de rigueur dans une bande dessinée qui se présente comme un documentaire historique, d’autant plus que les anachronismes et les erreurs sont involontaires et pas toujours faciles à repérer pour quelqu’un qui n’est pas un spécialiste. "Carcassonne" est donc un volume raté des voyages de Jhen. C’est d’autant plus dommage que les auteurs ne manquent pas de talent : les textes sont clairs et rigoureux, les dessins assez beaux. Il aurait suffi de s’entourer du conseil de quelques spécialistes de Carcassonne au Moyen Âge pour réussir.

Par Gautlang, le 4 juin 2007

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