KRAZY KAT (VF)
1930 - 1934

Ce deuxième volume rassemble tout les sunday strips de Krazy Kat qui vont du 5 Janvier 1930 au 8 Juillet 1934, incluant une sélection de daylies de 1931.
Nous y retrouvons donc le petit monde du comté de Coconino, le chat Krazy qui rêvasse en pensant à la souris Ignatz qui passe son temps à lui balancer des brique à la tête, mais le policier Pupp veille. Néanmoins, très vite, derrière ce canevas se glisse un univers bien plus complexe et profond qu’il n’en a l’air…

Par fredgri, le 3 novembre 2013

Notre avis sur KRAZY KAT (VF) #2 – 1930 – 1934

Il y a un an les Rêveurs ont proposé un premier volume de Krazy Kat en français. Un pari audacieux, étant donné qu’il s’adressait d’une part à un public d’initiés, déjà conquis, parfaitement au courant de l’importance de ce monument de la Bande Dessinée mondiale, et d’autre part l’album voulait aussi sensibiliser toute une génération de curieux qui ont ou non entendu parler de Herriman, de Krazy et d’Ignatz… Les Rêveurs ont alors voulu réintroduire ce strip en France avec une traduction à la hauteur du pari !
Contre toute attente, ce premier volume a été un succès immédiat, la presse a couvert d’éloge cette initiative, les albums se sont vendus très rapidement, nécessitant même une réimpression dans la foulée.
Krazy Kat revenant en force, enfin, tandis qu’une nouvelle génération découvrait cet incroyable univers…

C’est difficile d’écrire un avis sur Krazy Kat, car nombreux sont ceux qui s’y sont penchés, il y a eu énormément de dossiers consacrés à ce chef d’œuvre, d’analyses, de lectures commentées, tous les plus grands critiques ont loué les mérites de ce strip, son innovation, faisant même parfois le parallèle avec d’autres grands maîtres de la langue et de la forme comme Joyce, par exemple… Mon but n’est donc pas ici d’aller tenter de faire la même chose, mais plutôt de commenter cette lecture, cette découverte de ce second volume !

Alors, comme pour le précédent volume, quand on commence à lire les premières planches on se rend compte du monumental travail qu’a abattu Marc Voline pour aborder le langage si particulier de ces personnages et l’adapter en français. Le traducteur s’est documenté sur l’auteur, sur ses gouts, sur le contexte de l’époque… Puis, avec les Rêveurs, ils ont travaillé main dans la main avec les éditions Fantagraphics qui ont publié les versions originales. Les uns ont confié les films originaux, les autres ont tenté de respecter au plus près le matériau original (jusqu’à créer une typo informatique qui ressemble incroyablement à la typo initiale !)…
Et le pari est réussi, haut la main, rendant, pour l’occasion, un vibrant hommage au comté de Coconino et ses habitants, à ce nonsense et cette profondeur qui se glisse dans chaque strip. Mais au delà de ça, une nouvelle fois, cet album c’est surtout l’occasion, pour nous, lecteur français, de découvrir ce remarquable univers, agrémenté d’un article introductif de Bill Blackbeard, de notes en fin de volume, le tout emballé par une reproduction exceptionnelle ! Blackbeard revient sur l’histoire du strip, sur son impact et son importance, un article parfait pour appréhender la lecture qui va suivre !

Le travail des Rêveurs est important et capital car, jusque là, Krazy Kat était assez pauvrement traduit, ou très succinctement. Ne permettant pas au strip de véritablement percer et de se faire remarquer. Il faudra, aux Etats Unis, l’acharnement de l’éditeur américain Fantagraphics, de travail d’archivage de Bill Blackbeard et Derya Ataker pour tout rassembler, archiver et restaurer (le projet a été initié par Eclipse Comics, Blackbeard et Turtle Island Press au début des 90’s, avant d’être repris par Fantagraphics en 2002). Cette volonté de réhabiliter ce strip culte a permis ensuite de lancer toute une dynamique de restauration d’un énorme patrimoine qui nous a donné ensuite des intégrales Peanuts, Popeye, Prince Valiant, Pogo, Mickey etc. Mais encore maintenant, "Krazy Kat" reste une référence d’initiés, un nom qui circule, nimbé d’admiration, de mystère, qui intrigue, qui fascine.

J’ai pour ma part commencé ma découverte de cet univers par les tout débuts des sundays en 1916. J’avais entendu parler de ce strip au détour d’interviews d’auteurs complètement conquis, qui en parlaient avec beaucoup de zèle, insistant sur la profondeur des idées de Herriman, sur sa richesse graphique, sur la force de ses métaphores et le pouvoir absurde de ses histoires. Dès le début je suis resté admiratif devant l’audace, la complexité des textes de Krazy Kat qui sont pleins de sonorités, d’argot, de mélange de langues. Il faut parfois les lire à voix haute pour se laisser glisser dans ces ambiances. D’emblée j’ai compris que non seulement j’entrais dans un monde très particulier, avec ses propres codes, très loin des archétypes que je connaissais jusque là, mais aussi que j’avais devant moi un vrai monument de la BD !

Et c’est d’autant plus surprenant qu’en effet le schéma de base de Krazy Kat est des plus simples, une souris qui balance des briques sur la tête du chat qui l’aime… Et à partir de ce simple schéma Herriman va réussir à construire tout un monde, avec sa propre logique ! Il s’amuse, il joue avec les mots, avec les références, avec la forme même de la planche, livrant ainsi une œuvre très complexe qui a très vite été saluée par la critique et qui a marqué à jamais l’histoire de la BD. Même si le public n’a pas forcément reconnu tout de suite le mérite de Krazy Kat. S’il n’y avait eu le soutien de Hearst dès le départ, peut-être n’y aurait même jamais eu de sunday pages (on raconte que le magnat de la presse aimait tellement ce que livrait Herriman qu’il lui donna tout de suite tout les droit de KK, qu’il lui paya même un excellent salaire jusqu’au bout (on parle de 750 $ par semaine…), et ce malgré les réticences des différents éditeurs en chef qui recevaient les lettres sceptiques des lecteurs !) !

Dans ce second volume, on retrouve la mise en page moins formatée des premières années et c’est tout simplement magnifique. On a même le plaisir de découvrir une sélection de dailies de 1931 ! D’ailleurs, c’est peut-être le grand manque de ce type de projet, les dailies qui sont majoritairement occultés de ces restaurations ! Jusque là, même aux States, seuls quelques dailies de 1920, de 1914 ou comme ici de 1931 ont réussi à nous être montrés. Cela sera peut-être le prochain projet de Fantagraphics (avec les storyboards de Herriman qu’ils nous promettent depuis 2010 !)…
A voir !

Mais quel incroyable projet éditorial. Soulignons que la maquette de la couv est à nouveau du fait de Manu Larcenet qui continue de livrer ici un très bon boulot, très épuré, très beau !

Au risque de me répéter, mais j’insiste, c’est important de se souvenir et de redécouvrir ces bijoux de la BD qu’on avait eu longtemps tendance à oublier. Mais au delà de ça il s’agit ici de se régaler avec ces "Essentiels", de revenir aux bases, à cette époque ou les auteurs façonnaient le média lui même, qu’ils établissaient les codes, qui construisaient un monde entier…
Le Rêveurs méritent donc bien leur nom et il convient de les remercier pour continuer l’aventure avec ce magnifique second volume qui remporte déjà, à priori, le même succès que son prédécesseur !

A lire absolument !

Par FredGri, le 3 novembre 2013

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