Un printemps à Tchernobyl

Le 26 avril 1986, dans la centrale Lénine à Tchernobyl, en Ukraine, le réacteur n°4 explose et la libère d’importantes quantités d’éléments radioactifs dans l’atmosphère, contaminant l’environnement et les habitants dans un large périmètre.
En 2008 l’association Dessin’acteurs décide de créer une résidence d’artiste aux alentours de la zone interdite, afin de permettre à des artistes de témoigner des conditions de vie sur place. Emmanuel Lepage et un ami illustrateur Gildas acceptent donc d’être les premiers à inaugurer l’opération. Ils prennent le train et se rendent sur place, afin d’y rencontrer des gens, de visiter, de vivre deux semaines là-bas…
Progressivement, Emmanuel s’immerge dans ces lieux, et de rencontres en visites il se demande quelle est la raison de sa présence, quelle est la fibre de son engagement sur place, que doit-il témoigner !!!

Par fredgri, le 10 septembre 2012

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Notre avis sur Un printemps à Tchernobyl

Ce voyage qui s’organise devant nos yeux de lecteur, c’est un voyage qui commence par des doutes, par le questionnement fondamental d’un artiste sur les limites de son engagement, sur cette nécessité de témoigner à tout prix. Oh, ces doutes ne durent pas très longtemps, ou en tout cas ils n’entravent pas réellement la décision de partir, néanmoins ils permettent de vraiment comprendre la portée d’une telle démarche et la profondeur du regard de cet artiste sur un drame qui a ravagé toute une zone, anéantissant de nombreux espoirs et des milliers de vies.

L’album commence donc par une partie plus "didactique", qui nous relate concrètement les évènements et quelques répercussions. Après tout nous n’entrons pas dans un banal voyage, ici il s’agit d’aller se plonger en pleine catastrophe industrielle, on parle de Tchernobyl !
Je me souviens, quand il y a eu l’explosion, nous étions resté pétrifiés par l’ampleur de "l’évènement" et des possibles retombées radioactives partout. Bien sur, petit à petit, s’est construit une sorte de mythe de la peur autour de tout ça, on a commencé à parler d’enfants difformes, de maladies inconnues etc.
Bref, nous étions dans l’ère du nucléaire qui flanche, dans toute son horreur. Et c’est avec ces images d’Épinal en tête que j’ai en quelques sorte commencé cette lecture. Non pas que je m’imaginais réellement quoique ce soit d’avance, mais je crois que je retenais mon souffle.

Le travail de témoignage effectué par Lepage et ses "compagnons de route" prend alors tout son sens. Jusqu’à un certain point, ils sont allés voir pour nous quels étaient les effets de cette apocalypse qui a déferlé, ce jour là, partout dans la région, dans le monde. Mais ce qui devient rapidement remarquable dans cet album, c’est que d’une part on n’est pas dans un banal journal de route qui relate froidement les faits, les évènements au jour le jour, loin de là, ici on est avant tout aux côtés d’un homme qui découvre les lieux, qui témoigne de ses impressions, bien plus que de la réalité elle même, on est dans une approche d’un homme qui vibre, qui a parfois peur, mais qui s’amuse de temps à autre, qui prend le temps de se promener, de se rendre compte qu’il y a de la couleur, des rires, de la vie pleine de générosité, sans pour autant oublier que derrière ces façades il y a le tic tac du dosimètre et les chiffres qui augmentent rapidement selon si on est sur le bitume ou sur un sentier. D’autre part, nous vivons tout ça par le biais d’un homme qui témoigne de ce qu’il ressent, qui découvre l’ampleur de ce drame, on entre nous aussi dans ce qui demeure encore maintenant l’un des pires cauchemars de la fin du vingtième siècle, un tournant de l’ère industrielle !

Lepage a la subtilité de ne jamais tomber dans le pathos, de ne jamais forcer les émotions, il reste toujours dans une vision juste en reconnaissant avoir été aussi touché par la beauté des alentours, par la bonté des gens qu’ils ont croisés. Plus on avance, plus on s’échappe des fameuses images d’Épinal évoquées plus haut. Certes, il y a tout de même une réalité, des villes abandonnées, sinistrées, il y a cette radioactivité qui les oblige à se méfier pratiquement de tout, même de cette nature qui peut séduire. Toutefois, on sent la couleur se glisser de-ci de-là au milieu des cases en gris (comme le témoigne la magnifique couverture !) avec parfois le simple plaisir de dessiner assis dans l’herbe ou dans un coin de marché en observant les gens qui passent.

C’est ce qui m’a le plus marqué avec ce très bel album.
Bien sur, le propos principal reste ce soucis d’informer les lecteurs sur la situation sur place, d’alerter et sensibiliser. Malgré tout, Lepage montre aussi qu’au milieu de cette grisaille il y a des gens qui vivent, il y a une génération qui grandit, qui s’amuse, que la vie reprend peut-être le dessus aux alentours de la "zone". Évidemment, il reste beaucoup de misère là-bas, de résignation, la contamination a touché pratiquement tout le monde et chacun porte ce poids au quotidien, d’autant que cette catastrophe n’a pas uniquement un impact, dirais-je, écologique, c’est toute une infrastructure économique qui a sombré, tout un "pays" qui s’est éteint avec ses espoirs de créer un idéal communiste plus humanisé, par exemple, et la population locale a du mal à se relever au jour le jour de cette "déflagration", mais l’artiste ne se perd pas complètement dans cette grisaille, il laisse la couleur gagner du terrain et c’est très touchant !.

Emmanuel Lepage continue donc de faire voyager ses pinceaux pour dessiner le profil d’un pays blessé, tout en s’interrogeant sur lui même, sur sa vision du monde, de ses engagements. On est bel et bien dans un album de BD car il y a aussi un soucis de mise en situation, ne serait-ce que par le fait qu’il se représente lui même, qu’il ne se cantonne pas de simplement sortir des illustrations. Mais, en contre partie, il nous offre régulièrement des extraits de ses carnets de croquis, magnifiques reflets d’un coin de bois, d’un sentier observé de loin, ou encore une centrale détruite qui se profile tel un spectre noir !!!!

Vous l’aurez compris, c’est magnifique et bouleversant, de bout en bout. Une incroyable expérience de lecture qui m’a particulièrement chamboulé.

Un album à découvrir, à parcourir sans hésitation… Un album qui ne devrait pas vous laisser insensible !

Merci monsieur Lepage !

Par FredGri, le 10 septembre 2012

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