Un monde libre

 
Khalil est un Français d’origine algérienne. Dans la cité où il a grandi, il a vite compris que son avenir ne serait sûrement pas tout rose ; en se basant sur le fait que son présent, déjà, était plutôt dans les tons gris. La mère de Khalil avait été répudiée par son mari qui l’a abandonnée pour retourner vivre au bled. Le quotidien n’était donc pas facile, malgré les bons moments passés avec ses potes. Car régulièrement revenait à Khalil, en pleine poire, le fait qu’il était un "Arabe" : à son niveau ça se traduisait par des insultes, par des remarques qu’on lui faisait ou par des comportements que certains avaient envers lui. A plus grande échelle, ça se traduisait par l’analyse qu’il faisait de ce monde, de sa France, où les "Arabes" étaient les parasites en qui personne n’avait confiance et les boucs émissaires tout trouvés pour des policiers avides de se défouler en cassant de l’étranger.

A plusieurs reprises, la vie de Khalil fut bouleversée par des descentes de police dans son quartier. Une fois, ce fut son copain Bouba qui fut arrêté et qui mourut au poste. Une autre fois, son pote William fut mis en taule pour avoir blessé un policier. Une autre encore, c’est sa mère qui décéda car des émeutes au pied de son immeuble ont empêché les ambulanciers appelés au secours d’arriver jusqu’à elle…

Est-on foutu d’avance lorsqu’on est Français d’origine maghrébine ? Khalil ne pouvait pas se résoudre à le penser. En s’attachant à comprendre qui il était, d’où il venait, en se plongeant dans la lecture et en s’imposant une thérapie sportive pour que le bien dans sa vie fasse de l’ombre aux maux qu’il subissait, le jeune homme a réussi à voir les choses autrement… Et à rêver d’un monde meilleur, d’un monde libre…
 

Par sylvestre, le 16 mai 2014

Notre avis sur Un monde libre

 
Un monde libre n’est pas exactement une autobiographie, mais c’est une bande dessinée qui en a en tout cas l’énergie. Halim Mahmoudi n’y raconte en effet pas sa vie propre mais dans les situations qu’il croque, on sent affleurer des problématiques qui l’ont touché personnellement. Ceux qui connaissent Arabico retrouveront sûrement dans cette nouvelle réalisation des thèmes qui lui sont chers, et notamment : l’identité et la construction de soi.

Sur près de 130 pages, en noir et blanc, son personnage Khalil va vivre et évoluer. On le rencontre jeune mais on en apprendra aussi plus sur sa naissance. On le voit adulte, également, et on sait qu’il deviendra parent alors même qu’on aura appris ce qu’il en fut de la famille dans laquelle il a été élevé : un père absent, une mère qui meurt trop tôt et de manière dramatique, des frères et sœurs et des secrets de famille. On le suit dans sa vie, donc, mais aussi et beaucoup dans ses réflexions. La narration colle d’ailleurs de près à son mode de pensée et la BD, structurée en trois parties intégrant volontiers des flashbacks, se montre très… impulsive, sautant parfois d’une chose à l’autre un peu comme on passerait, en pensée, d’une idée à l’autre.

Les réflexions de Khalil portent entre autres sur sa condition de Français non accepté comme tel, sur sa condition de Français dont le faciès le réduit aux yeux de beaucoup trop à l’"Arabe". Dans les séquences montrant sa jeunesse, ça ferait parfois presque sourire : la période est traitée de manière "jeune", avec le vocabulaire, les situations et les comportements "qui vont bien". D’autres fois, c’est plus triste, comme lorsqu’on assiste à la découverte par sa mère de la fameuse boîte dans laquelle il rassemblait ces petits mots qu’il récoltait, sur lesquels des insultes et autres phrases désagréables étaient écrites… Quand Khalil passe en mode adulte, la réflexion se fait elle aussi plus adulte ; plein de modèles et de références s’invitent alors. Il change et voudrait que tout change autour de lui ; on aura un aperçu de son idéal en fin d’ouvrage.

Un autre thème fort est la police et son rôle dans les cités comme celle où vit Khalil. La police et ses bavures, la police et ses dérapages, la police et sa violence. Ambassadrice d’une République où tout est donc loin d’aller bien. La police comme une étincelle qui met le feu aux poudres et qui aura tout du long marqué la vie de Khalil en étant associée à la mort de sa mère, à la mort du voisin Bouba ou à la mise en prison de son pote Will… A l’échelle nationale à plein d’autres morts aussi bizarres qu’on pourrait les croire assassinats racistes. Oui, Un monde libre est aussi une vive critique de la société et de certains de ses travers. Des travers qui pourrissent la vie de tas de gamins d’origine étrangère et qui en perdent toute confiance en leur avenir.

Halim Mahmoudi en a, des choses à dire ! Comme ses textes, ses pages sont denses. Ses dessins, aussi, si l’on va par là ! Un noir et blanc nerveux, spontané, appuyé. Au point qu’on a l’impression, en fin de lecture, d’avoir lu le double des pages qu’on a effectivement parcourues ! L’auteur dit avoir mûri ce projet de roman graphique pendant deux ans… Un temps au cours duquel il a manifestement eu des idées nouvelles qui se sont bousculées et qu’il a voulu intégrer, pour être le plus complet possible, au risque que certaines transitions paraissent parfois un peu acrobatiques, que certaines séquences tombent un peu comme un cheveu sur la soupe, que d’autres soient trop longues, ou que la narration s’emballe !

Un monde libre est une BD à fleur de peau, une fiction forte aux accents bien réels, un ras-le-bol de situations injustes et un cri d’espoir lancé à l’attention de ceux qui se reconnaîtraient en Khalil. Se construire n’est facile pour personne, c’est un challenge encore plus grand pour ceux comme lui qui, en plus, partent dans la vie avec un manque de repères, de confiance, de reconnaissance.
 

Par Sylvestre, le 16 mai 2014

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