Trop n'est pas assez

Pas d’argent, pas de papiers, pas de vêtements de rechange mais un sac de couchage deux places, c’est uniquement ce avec quoi Ulli et Edi, deux jeunes punks autrichiennes, ont prise pour partir passer l’hiver en Italie, loin de la froide capitale autrichienne. Un voyage initiatique où les nombreuses galères ne viendront pas entamer leur détermination à vivre ce qu’elles ont décidé de vivre et profiter pleinement de leur vie, envers et contre tout…

Par Placido, le 23 janvier 2011

Notre avis sur Trop n’est pas assez

Nihilistes, subversifs, enragés et opposés à toute institution ou tout mode de vie « normale », les punks créèrent un véritable mouvement culturel et musical, démarré en Angleterre ainsi qu’à New York en 1975. Une révolte sociale brève mais intense qui fit des émules partout en Europe dont en Autriche où on retrouve Ulli, jeune punk vivant avec ses amis à Vienne, passant son temps libre à traîner, fumer, se faire des tatouages… Mais à peine avons-nous le temps de prendre la température à Vienne que très vite Ulli fait la connaissance d’Edi et très vite, le projet de passer l’hiver en Italie apparaît. Le récit autobiographique a cette particularité fascinante de nous embarquer immédiatement avec les protagonistes, de nous impliquer dans l’histoire et déjà, nous vivons leur voyage comme une rude épreuve : faire du stop, traverser la forêt et éviter les contrôles policiers… La découverte de la première borne italienne sera un instant symbolique fort car à partir de ce moment, leurs aventures n’auront jamais aussi bien porté l’adjectif « punk». Un peu à l’image de cette musique, où on recherche avant tout de la spontanéité et de l’intensité (peu importe de savoir bien jouer du moment que l’on joue vite et fort), leur état d’esprit se résumera à vivre chaque jour comme si c’était le dernier.

On suivra donc ces deux copines, enchaînant les villes et les rencontres, encaissant sans reculer chaque déboire. Ulli vivra très mal les nombreuses rencontres qu’elles feront, les italiens voyant avant tout les deux adolescentes comme des objets sexuels. L’Italie dans les années 80 est encore très ancrée dans les traditions, la femme italienne est très bridée par la famille (elles doivent se marier tôt et être ménagère au foyer) alors que les hommes, avant de se marier sont très libres et courtisent la moindre jeune étrangère. Tout ce qu’ils pourront faire pour elles (leur donner de l’argent ou à manger, les héberger…) ne sera jamais gratuit : il faut ensuite satisfaire leur désir, qu’elles soient consentantes ou non. Et l’auteur ayant fait le pari de nous raconter chaque anecdote, chaque rencontre, le lecteur sera amené à subir jusqu’à ne plus en pouvoir l’attitude désastreuse et bouleversante de ces hommes. Mais leur périple connait heureusement des moments incroyables comme leur séjour à Rome, sur la place d’Espagne où ils rencontreront des punks et s’infiltreront en douce voir un concert des Clash. Ulli dira cette phrase « Nous étions enfin arrivés au Paradis ». Cette scène m’a beaucoup touché. Il y aura aussi le passage à Palerme, où on en apprendra plus sur le fonctionnement de la société italienne, d’autres thèmes seront abordés comme la prostitution, la drogue et bien entendu la mafia…

Les 450 pages contiennent un nombre incalculable de scènes, l’auteur n’ayant rien voulu nous cacher, nous raconte ses moindres faits et gestes et même si nous avons parfois le sentiment de nous perdre un peu, de douter de la pertinence de tel ou tel détail voire à l’inverse, d’être déçu que certains passages ne soit pas plus développés, le récit garde une puissance incroyable, une tension permanente bourrée d’émotions diverses allant de la rage à la liesse en passant par la peur ou la béatitude… Et chacun de ces sentiments, nous les prenons en pleine figure comme si nous étions nous aussi en Italie, avec elles.

Côté dessin, le noir et blanc propre à l’intimisme du récit est d’une simplicité trompeuse avec un très beau travail sur les expressions des visages et du regard. Les petites astuces graphiques utilisées pour décrire le ressenti d’Ulli sont également très appréciables.

En feuilletant la BD après l’avoir lu, on a comme le sentiment de ne revoir qu’une succession d‘embûches et de mauvaises rencontres, pourtant, en refermant l’objet, l’impression est tout autre, comme une sensation de volupté, d’avoir vécu quelque chose d’énorme, d’intense et d’unique… De punk !

Par Placido, le 23 janvier 2011

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