Trompe la Mort

A 85 ans, Marcel tourne un peu en rond dans son village. Une promenade, un tour au jardin, un clin d’œil au cimetière qu’il aime à narguer… Voilà le quotidien de ce vieil homme passablement râleur. Mais ce jour là, une visite à la brocante réveille ses souvenirs. Il aperçoit un clairon sur une étagère. L’instrument est en piteux état et il ne fait guère de doute qu’il a vécu la guerre. Comme lui. Marcel, il était clairon justement quand les Allemands ont brisé les espoirs français en même temps que la ligne Maginot.

Le vieillard se met alors en tête de retourner sur les lieux du drame, là où il enterra son clairon en 1940 et où il fut capturé par les nazis. Marcel demande alors à sa petite fille, Andréa, de le conduire là-bas. Ca tombe bien, le lieu est sur la tournée de la jeune femme, qui a créé son « taxi clairière », clin d’œil aux taxis brousses africains. Elle parcourt ainsi la campagne avec son camion, desservant les petits hameaux et les villages perdus par les routes communales. Bon, elle l’avoue elle-même, « forcément, faut pas être pressé. »

Par legoffe, le 1 janvier 2001

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Notre avis sur Trompe la Mort

Cet album a certainement une saveur particulière pour le talentueux Alexandre Clérisse. Pour sa deuxième bande dessinée, il choisit de parler de son grand-père, qui fut clairon et prisonnier de l’Allemagne hitlérienne. Bien sûr, la trame de l’histoire est différente, mais le fond de vérité est bien là. Clérisse n’en a pas fait un monument solennel aux anciens combattants, mais un hommage appuyé à l’humanité, à ces gens simples qui partaient la peur au ventre, loin des discours patriotiques bien lissés que l’on distribuait à l’envie les premiers mois qui précédèrent les combats. Loin parfois de l’image glorieuse aussi que l’on véhicule encore, bien des années après.

Oui, il faut être courageux pour affronter la guerre, mais qu’est-ce qu’un héros ? Voilà un statut bien lourd à porter. C’est, en tout cas, le sentiment que fait ressortir le livre qui se partage entre l’aventure présente de Marcel (sa recherche du clairon) et ses souvenirs de 1940. Et, loin du récit sombre que l’on aurait pu imaginer, nous avons là un ouvrage optimiste et drôle. Clérisse dépeint de sacrées personnalités. Il y a – bien sûr – Marcel, toujours ronchon, qui parle et reparle de la guerre à sa petite-fille qui, elle, est plutôt altermondialiste et baba-cool. La guerre, c’est un concept qui la dépasse… Le duo est donc mouvementé, mais on sent tout l’amour et l’attachement que l’un porte à l’autre.

Et que dire des passagers du bus, qui semblent se laisser guider sans trop se poser de questions, avec un concept de transports qui se veut à des années lumière des principes régis par nos sociétés modernes. Point d’horaire à respecter ici ! Autant dire que ça fait du bien de souffler avec eux le temps de la lecture.

Nous rions aussi du politicien récupérateur d’Histoire, qui espère faire carrière avec ses faux hommages et sa vision très personnelle d’une guerre dont il ne connaît rien. L’auteur tient ainsi à rappeler qu’il faut savoir prendre du recul et parfois jouer de l’Histoire officielle et de ses récupérations à des fins discutables.

Enfin, Clérisse nous replonge dans la guerre, avec ses réalités et ses soldats apeurés. Pourtant, même là, il est difficile d’être triste. Marcel et ses frères d’armes livrent des figures attachantes et avancent dans un univers très coloré, dans une campagne ensoleillée qui ne ressemble pas vraiment à un front. L’auteur réalise ainsi une sacrée prouesse, en rendant hommage à ces hommes partis à la guerre mais sans jamais sombrer dans la tristesse, bien au contraire.

Outre les dialogues, les dessins participent aussi beaucoup à l’ambiance générale. Ils ont originaux et appartiennent indiscutablement à Clérisse. Ils interpelleront sans aucun doute, avec leur coté moderne teinté d’une ambiance rétro. Voilà un Trompe la Mort qui trompe aussi l’ennui et permet une escapade semblable à nulle autre dans le Nord de la France.

Par Legoffe, le 14 juin 2009

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