Une histoire de Sarajevo

Le « Fixer », que l’on pourrait traduire par arrangeur, c’est-à-dire à la fois intermédiaire, traducteur, informateur, possède un rôle important en temps de conflit : celui d’amener les journalistes étrangers sur des zones d’intérêt, de les mettre en relation avec des témoins plus ou moins clés, crédibles, préparés…
Alors que le conflit yougoslave et le siège de Sarajevo se terminent, Joe Sacco, jeune journaliste-bédéiste, rencontre Neven, un fixer bosniaque. Avec force anecdotes, celui-ci lui raconte ses faits d’armes mais aussi comment il a été difficile pour les autorités de son pays de constituer une armée légitime et unifiée à partir de milices. Ces groupes armés commandés par des chefs autoproclamés ont d’abord représenté des ennemis intérieurs, volant, violant et harcelant des populations qu’elles étaient censées protéger… Au cours de plusieurs voyages qu’il effectue en Bosnie, le journaliste tente de comprendre à la fois cette guerre et qui est vraiment ce fixer.

Par geoffrey, le 2 septembre 2014

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Notre avis sur Une histoire de Sarajevo

Fin 1995, à son arrivée dans Sarajevo en plein siège, Joe Sacco s’accroche aux basques de Neven, un personnage complexe et louche qui lui conte la guerre. A ses côtés, on découvre une ville multiculturelle et attachante. On comprend aussi bien vite que ledit « fixer » n’a qu’une idée en tête : soutirer le plus de Deutsche Mark possible des poches du jeune journaliste-bédéiste.
Sur la forme, la BD de Sacco fonctionne mieux que bien. Gorgée de détails, chacune des cases des 105 planches est une belle réussite. Proche d’un Robert Crumb, son style mi-réaliste mi-caricatural (il se représente lui-même avec un gros nez et de grosses lèvres) en noir et blanc se révèle efficace.

Sur le fond toutefois, il y a d’abord ce choix de raconter une histoire décousue avec ses multiples allers et retours dans le temps parfois difficiles à suivre. Puis, la contre-enquête de Joe Sacco et son journalisme gonzo n’arrivent pas à convaincre entièrement. En refermant l’album, une impression de flou domine. Les personnes mentionnées ont-elles réellement existé ou ne sont-ils que fiction ? Quant au personnage louvoyant de Neven, est-ce un fameux conteur ou un affabulateur ? C’est un interlocuteur peu crédible, très certainement. Sur la dernière planche, Sacco tente bien, quoique peut-être trop manifestement, et donc maladroitement, de lui acheter une stature.

Instructif grâce aux dates inscrites sur les planches, on peut connaître le rythme de travail et l’organisation de l’auteur. On peut deviner comment son opinion a évolué entre 1995 où, jeune reporter, il prend tout ce que lui dit Neven pour argent comptant, et 2001 où il découvre que le personnage a perdu toute prestance, tout pouvoir médiatique et dont même les faits d’armes sont discrédités par d’anciens soldats. Toute véracité devient alors aussi douteuse et insaisissable que le personnage.

Malgré ces faiblesses, l’œuvre de Joe Sacco, sortie 10 ans après la fin du siège de Sarajevo et de la guerre de Bosnie (1992-95), réussit à donner une image davantage nuancée du conflit que bien des reportages télévisuels. Après tout, si ce n’est pas toute la vérité sur la guerre, c’est quand même une histoire de Sarajevo.

Par Geoffrey, le 2 septembre 2014

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