La terre, le ciel, les corbeaux

A la fin de la seconde guerre mondiale, en Russie, sur une île proche de la côte transformée en prison, un allemand se prépare à se faire la belle. En silence et avec un barda de fortune, il se faufile entre les murs, suivi par un autre prisonnier, italien d’origine. Après avoir écarté toute menace, les deux hommes se retrouvent bientôt au pied de l’ancien monastère et filent sur le lac gelé à destination de la rive. Ils tombent sur une sentinelle russe qui, après avoir été désarmée, se voit obligée de les suivre. Sous une tempête de neige, ils parviennent à atteindre un cabanon pour y reprendre quelques forces. Là, après quelques échanges difficiles, ils décident de partir au petit matin vers le sud aidé en cela par le russe. Commence ainsi une longue errance à travers un pays figé par la froidure, une errance éprouvante durant laquelle l’italien Attilio, l’allemand Fush et le russe Vanta vont devoir apprendre à s’entraider à la fois pour échapper à leurs poursuivants et pour vaincre la morsure des éléments.

Par phibes, le 10 janvier 2022

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Notre avis sur La terre, le ciel, les corbeaux

Le couple Teresa Radice et Stefano Turconi, à l’origine des romans graphiques comme Le port des marins perdus, Amour minuscule, Les filles des marins perdus, revient à nouveau sous les projecteurs à la faveur d’un nouveau one-shot paru chez Glénat dans sa collection Treize étrange.

Cette équipée nous plonge dans l’ambiance douloureuse de la seconde guerre et s’attache tout particulièrement sur le sort partagé par trois hommes de nationalités différentes en quête d’une liberté commune. Le récit se veut d’une consistance impressionnante, tant la scénariste a souhaité étayer son histoire en adoptant une narration verbeuse et sensible portée essentiellement par l’un des protagonistes, Attilio. Ce dernier nous offre son témoignage lors de cette escapade dramatique, une déposition d’une force captivante, bercée entre souffrance et volonté de survivre.

Teresa Radice trouve la sensibilité qui sied à cette évocation tourmentée, usant de propos d’une crédibilité impressionnante, éludant toute forme d’héroïsme et d’animation exacerbées, restant dans une sobriété confondante. La scénariste mène son histoire sans la précipiter, s’attachant à bien décrire les pérégrinations de ses personnages, en les faisant progressivement se rapprocher malgré la barrière de la langue et leur permettant de s’épancher largement sur leur passé comme Attilio, sur leurs petits secrets, sur leurs prises de conscience.

De fait, comme emporté par cette fuite en avant dont l’aboutissement est incertain, on se prend au jeu de cette évocation angoissante. Sous le couvert d’une menace imminente d’une guerre toujours présente, les fuyards font des rencontres qui viennent apporter un soupçon de bienveillance bien utile pour atténuer la souffrance.

Il va de soi que la prestation de Stefano Turconi apporte beaucoup à cette équipée réfrigérante. En effet, l’artiste s’est employé à la représenter via des dessins tout en couleurs directes d’une beauté singulière. D’un semi-réalisme bien maîtrisé, il trouve la juste expression pour évoquer la guerre dans ses dispositions les plus dures tout en lui donnant une certaine beauté trahie par les superbes paysages enneigés. On saluera aussi la gestion de ses personnages dont les pérégrinations et leurs nombreuses expressions parviennent à les rendre attachants.

Une histoire à la fois belle et désarmante qui conforte haut la main le talent conjugué de deux auteurs qui savent nous faire frémir.

Par Phibes, le 10 janvier 2022

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