Shangri-la

Quelque part dans le futur. Scott travaille sur la station USS Tianzhu, ou s’est réfugiée l’humanité après que la Terre ai été déclarée inhabitable. Son travail est simple, il doit enquêter au sujet d’étranges bulles d’antimatière qui se manifestent sur des stations satellite, sans raisons apparentes ! Cependant, on lui demande en contre partie de garder secrètes ses découvertes et l’avancée de ses investigations. Ce qui n’est pas pour plaire à la résistance qui tente à la fois de démontrer les magouilles de la multinationale Tianzhu (voulant dénoncer sa volonté de pousser les gens à la surconsommation pour générer du profit, afin de les asservir plus facilement…), mais aussi de trouver un moyen de revenir à un ordre plus social !
Petit à petit, Scott se laisse gagner par les arguments de ce groupe, tandis qu’il découvre l’énormité du plan de Tianzhu…

Par fredgri, le 28 septembre 2016

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Notre avis sur Shangri-la

Présenter ce très ambitieux album, c’est compliqué ! Car d’une part il y a plusieurs parties bien distinctes qui nous embarquent dans des époques très différentes, qui imposent une lecture plus subtile que ce qu’on peut découvrir au premier abord ! Ensuite, il y a une multitude de thèmes qui s’entremêlent (la manipulation des populations, les expériences génétiques, l’homme qui se prend pour Dieu…), qui complexifient le tout, qui rendent aussi cette lecture passionnante, voir même exigeante !

On avait jusque là pu voir que Mathieu Bablet aimait soigner ses ambiances et ses décors, qu’il jouait très habilement avec l’espace de ses cases, avec un soin tout particulier pour les aérations, tant dans ses histoires que graphiquement. On se souvient de son magnifique diptyque Adrastée, de cette lenteur narrative, de cette histoire qui glisse doucement, qui prend son temps, avec ce héros contemplatif… Avec Shangri-La, l’artiste pousse encore plus loin le processus créatif en y rajoutant un fond très étudié, allant même jusqu’à dresser des parallèles entre cette utopie spatiale qui dérape et notre société actuelle qui vit au rythme des mouvements sociaux et de la mainmise ultra libérale.

"Shangri-La" fait directement référence au roman "Les Horizons perdus" de James Hilton adapté par Frank Capra en 1937. On peut y suivre des passagers d’un avion qui vient de s’écraser et qui découvrent une étrange lamaserie perdue au milieu de l’Himalaya. Le lieu semble hors du temps, baigné dans une douce chaleur qui contraste avec le froid et les tempêtes de neige qui font rage autour… A Shangri-La, le principe est simple, les quelques "Elues" font tout pour préserver les habitants de la vallée en faisant abstraction du pouvoir, de l’argent, de toute forme de conflit. Le but étant clairement de faire régner la paix et le bonheur pour tous, sans distinction aucune.
Dans l’album de Mathieu Bablet, la société qui se construit dans cette station, tente de suivre le même concept, sauf que cette fois, au lieu d’un groupe de dirigeants désintéressés il y a une multinationale qui a très bien compris que la population sera bien plus docile si on lui fournit tout ce qu’elle peut avoir éventuellement besoin en terme de biens de consommation, qu’on lui assène régulièrement des messages publicitaires pour l’amener à consommer sans se poser de question, tout en vantant les mérites de cette société et de ce système qui les entourent et dont ils doivent surtout être reconnaissants.
Tout semble être parfaitement assimilé et accepté, cependant, progressivement, ce système à priori parfait montre ses limites d’une part, mais ses défauts et dérapages plus particulièrement ! Car, mine de rien, il est aussi basé sur un ensemble de hiérarchisations qui installent une société qui se déséquilibre passivement. Les "animoïdes", par exemple, (un métissage animal/humain) sont cantonnées à des tâches subalternes et doivent sans cesse supporter les railleries racistes des humains qui se considèrent évidemment comme supérieurs. On voit même apparaître des manifestations anti-animoïdes, critiquant une main d’œuvre qui prend illégitimement la place des humains (si vous suivez mon regard…) !
Dans le même temps un projet mégalomaniaque de terraformation est en cours sur Titan depuis près de 300 ans. Le but est d’amener la vie sur le satellite de Saturne et de créer, dans l’absolu, une nouvelle race d’humains adaptée à cet environnement. Les concepteurs du projet font directement référence à Dieu (d’où le nom de Tianzhu, d’ailleurs, qui signifie "Dieu" en chinois, histoire d’amener l’idée d’une autorité omniprésente qui dirige ses ouailles, pour leur bien, dans l’illusion d’un mode de vie, de pensée équilibré et sain !)

Bablet aborde donc tout un tas d’idées dans un ensemble qui se tient pourtant très bien. Certes, on a différents niveaux de lecture, mais l’histoire peut très bien s’apprécier sans forcément avoir besoin de trop creuser.
Néanmoins, il adopte une narration très particulière. La toute première partie est sensée se passer bien après les évènements de la seconde, par exemple, et la dernière bien après. Je n’ai pas trop envie d’entrer dans les détails à ce sujet, car je ne veux pas trahir le processus narratif de Mathieu Bablet, mais c’est très audacieux et quelques peu déstabilisant aussi. Un peu comme le découpage de "2001, l’odyssée de l’espace" qui amène des lectures différentes de l’histoire, des thématiques plus poussées, des sous-textes absolument passionnants !
Car, même si Shangri-La peut se lire au premier degré, il est agréable de se rendre compte qu’il y a aussi tout un aspect légèrement plus cryptique qui peut s’apprécier en creusant davantage !

Mais bien au delà de l’incroyable richesse scénaristique de cet album qui restera dans les mémoires, il faut revenir sur le graphisme de Mathieu Bablet ! Un dessin extrêmement précis et détaillé, avec des décors d’une grande diversité ou l’espace a une vraie importance, les hommes se perdant facilement au milieu des innombrables structures métalliques, voir même de l’extérieur, de l’immensité de la station et de la Terre autour de laquelle elle est en orbite.
L’artiste joue très habilement avec tout ces contrastes. L’homme qui évolue dans ces couloirs au dessous des écrans géants qui retransmettent les publicités, les émissions qui insistent sur les messages à bien garder en tête. Des pions au milieu de tout le reste, des fourmis qui se contentent d’un minuscule succédané d’appartement, vague cellule individuelle, très étroite, avec le strict minimum.
Malgré tout, je trouve, encore une fois, que Mathieu Bablet pèche un peu sur ses personnages, surtout en comparaison de ses magnifiques décors. Ils ont du mal à exprimer des sentiments, heureusement qu’il y a un vrai sens du cadrage, de la mise en page, très inventifs, pour contrebalancer ce léger "défaut" !

Ce jeune artiste a déjà un palmarès très impressionnant, qui démontre une très belle maitrise de son art.
On referme la dernière page, encore éblouit par ce voyage, par ces planches absolument sublimes ! Un petit chef d’œuvre en passe de devenir un classique. Ne vous y trompez pas, ne passez pas à côté de Shangri-la !

Très conseillé, bien sur !
Le gros coup de cœur de cette rentrée !

Par FredGri, le 28 septembre 2016

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