Sans même nous dire au revoir

 
Ce soir de décembre 2004, Kentarô Ueno travaillait à l’étage de sa maison où il a installé son atelier de mangaka. Il ne pouvait pas s’imaginer que lorsqu’il allait descendre les escaliers, ce serait pour retrouver sa femme allongée face contre terre, morte, terrassée par un fatal malaise…
 

Par sylvestre, le 19 novembre 2011

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Notre avis sur Sans même nous dire au revoir

 
Une chose est sûre, c’est que chacun d’entre nous va mourir. Qu’on soit pauvre ou qu’on soit riche, qu’on soit malade ou bien portant, qu’on vive d’un côté ou de l’autre sur la planète : un jour sera notre dernier jour. Après… il est clair que la mort n’est pas la même pour tout le monde. Certains meurent très vieux et certains meurent paisiblement quand d’autres au contraire décèdent très jeunes ou dans de terribles circonstances… Mais j’oserais dire que dans tous les cas, une fois que c’est fait, la personne concernée ne s’en soucie plus guère !

Il n’en est cependant pas de même pour ceux qui "restent" et qui pleurent un être cher. On peut le comprendre, surtout si le ou la disparu(e) était quelqu’un que l’on côtoyait au quotidien et qui laisse alors un vide d’autant plus grand… C’est ce que nous confirme le mangaka Kentarô Ueno qui, avec cette bande dessinée Sans même nous dire au revoir, nous raconte la triste expérience qu’il a vécue lorsqu’il a perdu sa femme.

C’est "à chaud" que l’artiste a voulu s’atteler à la réalisation de ce témoignage en images. Sans prendre de recul par crainte qu’il l’éloigne de la force des sentiments, des impressions et des souvenirs qui l’ont traversé pendant cette période à nulle autre comparable. Et c’est ainsi qu’en "poète contraint" (on gamberge, dans ces cas-là…), le mangaka a logiquement usé de nombreux effets et symboles pour être le plus juste possible dans ce qu’il avait à transmettre.

Kentarô Ueno est connu avant tout au Japon pour être un auteur de manga humoristiques : ça se ressent d’ailleurs dans son trait. Cela dit, le "grand écart" entre une prestation rigolote dans laquelle on l’attendrait donc et celle qu’il réalise avec Sans même nous dire au revoir se fait bien dans la mesure où le style réaliste tend à "ramener au sérieux" ce que certaines choses auraient pu dans un autre contexte faire basculer dans l’humoristique. Quoi qu’il en soit, c’est avec ce titre que les lecteurs francophones découvrent cet auteur ; la découverte du reste de son œuvre promet donc d’être surprenante, voire de paraître fade ou superficielle… La chronologie de sa bibliographie demandera naturellement à être prise en compte pour un juste jugement.

Il y a une grande honnêteté dans le témoignage que livre Kentarô Ueno au sujet du décès de sa femme et de ce que cela lui a inspiré : on y trouve de la tristesse, forcément, mais aussi parfois des idées décalées qui lui sont passées par la tête, comme par exemple lorsque le visage d’un karatéka lui revient en mémoire lorsqu’il voit le visage de sa défunte femme dans son cercueil !!! Quand on a ce genre de pensée dans des moments dramatiques, on a plutôt tendance à vouloir les chasser de son esprit. Le fait qu’il ne cache pas cette pensée qui lui a traversé l’esprit authentifie en quelques sortes sa volonté d’être vrai, d’être transparent, d’être le plus précis possible dans son témoignage. Ce n’est pas parce que la mort nous prend quelqu’un qu’on perd brutalement toutes ses références, tous ses réflexes, tous ses devoirs ou toutes ses habitudes.

Le fait que Kentarô et Kiho aient une fille qui a vécu ce jour J ajoute au côté dramatique. Tout comme l’ensemble de toutes ces petites choses auxquelles l’auteur a voulu se raccrocher. Car tant que le corps de sa femme était à la maison, dans son cercueil, il avait encore ce repère, aussi choquant soit-il. Mais de savoir que ce corps allait un jour ne plus être physiquement là, palpable, tangible, ça déstabilise. C’est pourquoi dans ces cas-là, on recherche ce qui va nous rappeler l’autre, on se met alors à élever au rang de trésor des éléments qui d’ordinaire n’étaient rien, comme des enregistrements sur la bande son d’un répondeur téléphonique, des Post-it écrits par le ou la défunt(e)… On se repasse des films qu’il ou elle aimait. On écoute de la musique synonyme de souvenirs communs, etc, etc… Tout cela est bien restitué dans cette BD.

Quand la mort frappe, on n’est jamais complètement prêt : d’un seul coup on fait la liste de tout ce qu’on n’a pas pu faire avec le ou la disparu(e), tout ce qu’on ne pourra plus jamais faire… Cela aussi est bien rendu. C’est fou. C’est brutal. Ça assomme. Ça fait réfléchir… Cette volonté enfin qu’a l’auteur de nous marquer, de nous rendre compatissants et compréhensifs en nous montrant quelques beaux souvenirs visibles qu’il a de la femme qu’il pleure : un dessin très réaliste qu’il avait fait d’elle, par exemple, ou des photos sur lesquelles on la voit. Du "vrai", quoi : pas du trafiqué pour honorer de manière exagérée la mémoire de Kiho…

C’est très sincère, très profond, très juste. Et c’est donc quelque part indispensable parce que personne n’est à l’abri de vivre un tel triste événement. Ce qui rend presque naturellement indispensable cette bande dessinée des éditions Kana qui vous marquera profondément.

Coup de cœur.
 

Par Sylvestre, le 19 novembre 2011

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