Rusty Brown

Nous commençons cette lecture en rencontrant le jeune Rusty Brown qui est en primaire. C’est un garçon très réservé qui a l’habitude de se construire un monde imaginaire autour de la complicité qu’il a crée progressivement avec une poupée représentant Supergirl. Il finit même par penser avoir lui même une super ouïe, allant jusqu’à se dessiner un costume… Il est le souffre douleur des caïds de l’établissement qui fait aussi collège et lycée, jusqu’au moment ou arrive Chalky, un jeune écolier nouvellement arrivé dans la région ! Ensuite, nous focalisons sur le père de Rusty: Woody, qui enseigne au lycée et écrit à ses temps perdus des récits SF. Puis nous suivons Alison, la sœur de Chalky, qui découvre l’établissement et tente de se faire des amis… Puis il y a Jason Lint, celui qui se moque de Rusty, nous découvrons sa vie de son enfance jusqu’à un âge très avancé ! Et finalement, nous suivons Joanna Cole, la maîtresse de Rusty…

Par fredgri, le 17 novembre 2020

Notre avis sur Rusty Brown

Pour apprécier véritablement ce volume, il faut oublier le résumé que je vous ai fait, juste au dessus ! Car c’est un déroulé factuel qui ne reflète qu’une infime partie de ce que ce volumineux album raconte !

Comme à son habitude, Chris Ware nous plonge dans une incroyable mosaïque ou tous ses personnages commencent par se croiser au gré de la journée, dans l’établissement scolaire qui va servir de cadre au début ! Les récits s’entrelacent et l’on découvre ainsi le quotidien de tous. Qu’il s’agisse de Rusty et son père, de Chalky et sa sœur qui vivent chez leur grand-mère, de Joanna qui enseigne imperturbablement depuis des années, répétant chaque jour les mêmes gestes, de Jason Lint qui est en pleine rébellion… Petit à petit, Ware installe son cadre, commence à digresser et insiste sur la pesante solitude des uns et des autres !
Car en effet, le fond de l’intrigue nous parle de cette incommunicabilité qui enveloppe tous ces personnages. Ils essayent de se retrouver, de percer le mystère de la vie qui les amène à se figer dans le temps, ne voyant qu’à peine ce qui se déroule autour d’eux. L’un écrit des nouvelles de SF en n’assumant pas cet aspect "imaginatif" de sa personnalité, en allant même jusqu’à cacher ses publications à sa famille. L’autre est une vieille fille qui apprend à jouer du banjo, qui participe à des activités bénévoles avec l’église, sans pour autant arriver à ne plus être complètement seule… Ou encore Jason qui veut attirer l’attention de son père, qui finit par devenir son double en vieillissant !

On est troublé par la profondeur de cette histoire multiple, surtout dés le moment ou Ware se focalise sur les uns après les autres, rythmé par une narration expérimentale d’une très grande virtuosité !
Chris Ware s’est fait le maître de cette façon de raconter ses albums, de jouer sur des mises en pages audacieuses, ou les cases se renvoient aux autres avec des fils conducteurs, variant de taille, s’amusant avec les ellipses temporelles, sur les non-dits, les silences, les textes… La démonstration est vraiment impressionnante et pleine de finesse. Même si je pourrais reprocher ce sentiment de froideur technique qui nous prend à la gorge au bout de quelques pages !
Car oui, c’est beau, oui c’est remarquablement écrit et c’est bouleversant d’un bout à l’autre… Mais la mécanique de Ware est peut-être trop précise, trop bien huilée… Les différents personnages s’étiolent dans leurs illusions et dans leur existence en pleine déliquescence, tels des pantins qui ne peuvent résolument rien changer à ce qui les entoure… Impassibles, froids !

Toutefois, ces destins qui se dessinent devant nous ne sont pas complètement vains, loin de là. Chris Ware ne nous présente pas des personnages qui se lamentent sur leur sort, mais il dresse le portrait d’une humanité qui, même si elle ne rêve pas à un futur glorieux, n’en est pas moins décidée à s’affirmer, à sa mesure, selon ses aspirations.
Qu’il s’agisse de Woody, de Joanna, de Jason ou même de Chris (qui se met donc en scène dans son propre album !!!), ils avancent, se remettent en question, posent un regard sur leur existence, sur leurs rêves, ils font peut-être le constat d’un échec, mais il est résigné, presque désillusionné !
La vie est bien telle qu’on la fait !

Cependant, la mise en scène de Ware, en insistant sur la forme, transcende ces récits en les transformant presque en spectacle visionnaire. Sa mise en scène met l’accent sur les détails, les petits gestes qui se répètent, sur les silences qui sont souvent bien plus parlant que des mots. Et cette richesse graphique transformerait presque ces vies réalistes et ternes en véritables aventures du quotidien ou l’on se perd, fasciné par ce qui se déroule sous nos yeux !

Initialement paru dans les Acme Novelty Library 16, 17, 19 et 20, on découvre malgré tout une centaine de pages inédites qui viennent agrémenter ce pavé de 356 pages.

C’est une nouvelle fois très impressionnant et incroyablement immersif. Certainement l’une des sorties phare de cette fin d’année.

Si jusque là, l’œuvre de Chris Ware vous semblaient "dépressive", avec "Rusty Brown" elle apparait moins sombre, tout de même !

Très conseillé !

Par FredGri, le 17 novembre 2020

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