Racines

Devant sa feuille, un écrivain est en pourparlers avec son inspiration. Il a bien des idées qui lui viennent à l’esprit, mais les mots qu’il met dessus l’égarent dès qu’il les couche sur le papier ou lui font se poser des questions de plus en plus compliquées qu’il ne sait pas par quel bout prendre.

Le radiateur de la pièce fuit. Le bruit du goutte à goutte capte l’attention de l’écrivain jusqu’à lui faire attendre le "plic" suivant. Réussira-t-il à organiser ses pensées, ou se laissera-t-il manœuvrer par cet entêtant métronome ?

Et puis il faut bien poser son crayon sur le papier pour commencer à écrire. Mais plutôt que des mots, ce sont des formes géométriques qu’il produira, comme lorsqu’on griffonne un bout de papier en même temps qu’on parle à quelqu’un au téléphone. Un point, puis un cercle à colorier, des volutes… Et voilà qu’il joue avec sa feuille de papier, la maltraite… la fait vivre : quelques coups de ciseaux et quelques trous, et voici un masque. Peut-être le masque de celui dont l’auteur voulait parler, son autre moi ?

Se idées et ses phrases lui échappent et les lettres qui auraient pu composer ses mots l’assomment, l’engloutissent et le font glisser au-delà de ce qu’il aurait jamais pu vouloir décrire…
 

Par sylvestre, le 2 mars 2010

Notre avis sur Racines

"Chaque histoire qui débute est la preuve qu’une autre vient de se terminer." Ce qui est bâti l’est toujours à partir de quelque chose qu’on a au préalable déstructuré… L’auteur Pierre Duba nous hypnotise avec des phrases comme celles-là et nous présente un personnage (lui ?) dans une phase de création qui tourne à des flots d’intériorité auxquels il se livre plutôt qu’il semble les maîtriser. Pierre Duba qui a touché aussi à l’image filmographique fait succéder cette bande dessinée Racines à deux autres ouvrages qui n’en étaient pas, affichant que son plaisir est dans la communication et dans le sensitif plutôt que dans un concret trop facilement palpable. Et il nous entraîne en même temps que son "héros" dans des délires explorant l’intérieur de l’être, façon voyage fantastique et onirique.

Les textes des premières planches sont intrigants et peu nombreux. Mais sont-ils intrigants seulement parce qu’on les raccroche à des scènes réalistes ? Ils laissent en tout cas la place, petit à petit, aux images qui alors prennent seules le pouvoir, reléguant les lettres formant les mots au rang d’éléments graphiques. Une case où il nous semble pouvoir lire "PROUT" nous fait faire la mise au point, nous fait essayer de chercher des indices dans les vignettes suivantes. En vain, apparemment. Tout est assez labyrinthique. A dessein, manifestement. On s’accroche avec curiosité à la première piste proposée, puis on se rend compte qu’on la perd. Par manque de points de repère. Et quand vient la deuxième, qui nous échappe aussi, puis la troisième, on capitule vite : la barque continue sans nous…

Soit l’expérience est trop longue, soit il faut avoir une bonne connaissance de l’œuvre de Pierre Duba pour le suivre dans cette dérive intellectuelle. Car, par exemple, pour les lecteurs lambda dont je suis, ces lapins qui interviennent à un moment donné ne sont qu’un sable mouvant de plus dans lequel sombrer alors que ceux qui se rappelleront les avoir vus dans un autre des livres de l’auteur auront quelque chose à quoi se raccrocher…

Le livre est en très grand format. Les dessins sont très expressifs, très forts, et nous aident à plonger plus vite dans l’oeuvre. Cependant le prix de l’ouvrage est peut-être un peu trop élevé. Pas pour l’objet-livre qu’il est, en grand format, papier glacé et pages couleurs… Non. Mais peut-être un peu trop élevé pour se risquer dans ce voyage graphique qui pourrait avoir un arrière-goût d’errance incompréhensible. A vous de voir, donc : on ne ressent pas tous les mêmes choses.

Ah, et il ne faut pas que j’oublie de vérifier mes radiateurs…
 

Par Sylvestre, le 2 mars 2010

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