Le photographe de Mauthausen

 
Prisonnier dans le camp nazi de Mauthausen, l’Espagnol Francesco Boix a su donner un sens à sa captivité. Ayant eu la chance d’occuper un poste "privilégié" (il travaillait dans le laboratoire photographique du camp), il en a profité pour organiser des exfiltrations de photos afin qu’une fois sortis, des hypothétiques survivants puissent témoigner de l’horreur qui avait régné dans la place.
 

Par sylvestre, le 17 octobre 2017

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Notre avis sur Le photographe de Mauthausen

 
C’est l’histoire vraie d’un homme qui n’avait plus rien à perdre et qui, malgré le risque qu’il prenait d’entraîner avec lui d’autres gens à leur perte, a oeuvré en voulant servir l’intérêt général plutôt qu’en ne pensant qu’à lui. François Boix a été interné dans un camp "d’extermination par le travail" en Autriche, à Mauthausen, où de nombreux compatriotes avaient été envoyés aussi.

Les quelques notions de photographie qu’il avait alors, ajoutées à une énorme chance, lui ont permis d’intégrer un groupe de travailleurs privilégiés : plutôt que de mourir de fatigue et de mauvais traitements dans la carrière de pierres que les nazis exploitaient dans le camp, François Boix est devenu le photographe particulier d’un cadre nazi dont le plaisir était de mettre en scène la Mort avant de l’immortaliser sur la pellicule. François Boix avait ainsi accès à du matériel et était un témoin privilégié de ce qui se passait à Mauthausen : ses fibres de résistant communiste et de reporter lui ont commandé de profiter de sa situation pour accumuler en cachette des doubles des photos qu’il tirait dans l’idée de les envoyer à Moscou où la propagande soviétique pourrait alerter le monde entier et aider à nuire aux nazis.

Restait qu’une fois les photos tirées, cachées, et accumulées, il fallait les faire sortir du camp. Ce qui sous-entendait avoir bien organisé son coup, avoir des complices à toutes les étapes, y compris à l’extérieur où le récipiendaire devait en plus être quelqu’un de confiance… C’est l’histoire de ce "vol orgabnisé de photos" qui est raconté dans cette superbe bande dessinée Le photographe de Mauthausen.

Les photographies prises pendant la seconde guerre mondiale sont légion. Beaucoup sont d’ailleurs devenues célèbres ; voire tristement célèbres. La photographie était un art mais était aussi devenue pendant la guerre une arme de propagande que chacun des belligérants utilisait. Les nazis étaient en outre des archivistes hors pair qui listaient tout ; prendre d’innombrables photos a alimenté leur lugubres registres tout comme ça a aidé ensuite, après leur chute, à comprendre des tas de choses.

Le cas des photos volées de Mauthausen n’est pas unique. On se souvient du film hongrois Le fils de Saul dont une séquence rendait hommage à des détenus qui, au péril de leurs vies, ont réussi à obtenir un appareil photo et à prendre en cachette quelques clichés qu’on peut voir reproduits en très grand format dans le camp d’Auschwitz, en Pologne. Ces clichés furent très peu nombreux et c’est là que l’oeuvre de François Boix est remarquable puisque c’est près de 20000 négatifs qu’il aurait réussi à exfiltré du camp dans lequel il fut détenu ! "Aurait", car on apprend que 19000 des 20000 n’ont jamais été retrouvés à ce jour… N’empêche qu’un millier a pu être porté à la connaissance du grand public : cette source d’information est un témoignage unique en son genre et extrêmement précieux !

L’histoire dans cette BD ne s’arrête pas à Mauthausen. On suit ensuite François Boix à Nürenberg où il a pu déposer en qualité de témoin. Cette séquence est une épreuve terrible de plus qu’il a dû endurer : ses photos n’ont pas été accueillies avec l’intérêt qu’il espérait. Elles n’ont servi directement qu’à confondre une seule personne et n’avaient pas eu l’impact qu’il voulaient qu’elles aient puisqu’à la même période que le sien, d’autres camps avaient été libérés et moult photos avaient déjà fait le tour du monde…

Après la centaines de planches de cette bande dessinée scénarisée par Salva Rubio, mise en images par Pedro Colombo et mise en couleurs par Aintzane Landa, un cahier supplémentaire richement illustré d’une soixantaine de pages apporte des éclairages et des précisions sur l’histoire qu’on vient de lire ainsi que sur la manière qu’ont eue les auteurs de s’approprier le sujet.

Terrible histoire mais histoire vraie ! Récit de tranches de vies dans un camp auquel nous autres francophones ne sommes pas "habitués" puisque ce sont surtout des Espagnols et des Russes qui auraient été envoyés là-bas. Travail d’une grande qualité et lecture d’une grande importance : cet album Le photographe de Mauthausen des éditions Le Lombard est un ouvrage nécessaire, un ouvrage à découvrir sans hésitation.
 

Par Sylvestre, le 17 octobre 2017

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