Ô dingos, ô châteaux !

Julie est une jeune femme un peu étrange, elle vient de passer cinq ans dans une clinique, elle se traîne des casseroles un peu encombrante et quand ce Michel Hartog veut l’engager pour qu’elle s’occupe du petit Peter, elle se dit pourquoi pas ! Car le boulot est assez simple et même si ce confort la déstabilise un peu elle se laisse prendre au jeu des petits déjeuners et des balades au parc, d’autant que le gamin assez revêche commence à se laisser légèrement dompter.
Et soudain, on vient les kidnapper, elle et le petit ! On les emmène en pleine campagne, on lui fait écrire une lettre incriminante, puis on on les conduit à l’écart pour organiser un faux suicide… Mais Julie prend les choses en main et s’enfuit avec Peter… Commence alors une cavale insouciante et désespérée…

Par fredgri, le 28 septembre 2011

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2 avis sur Ô dingos, ô châteaux !

Une nouvelle fois Tardi adapte du Manchette et nous livre là un album remarquable ! 90 pages de pur polar, 90 pages qui coupent le souffle devant ce périple, cette fuite désespérée. Mais ce qui marque très vite la lecture c’est cette narration épurée.
On retrouve bien le style de Manchette, cette façon de ne pas entrer dans une étude psychologique des personnages, de les observer extérieurement, de les voir perdre pied et tenter de s’en sortir (Manchette s’est toujours intéressé au behaviorisme, une approche en psychologie qui consiste à se concentrer uniquement sur le comportement observable de façon à caractériser comment il est influencé par l’environnement). Ici, les protagonistes réagissent aux incroyables pressions auxquelles ils vont devoir faire face, malgré eux, depuis que tout a lentement dérapé, les faisant basculer vers l’inconnu.

On s’échappe donc du schéma habituel pour glisser vers une sorte de road movie à plusieurs voix.

Il y a une certaine sécheresse dans cette écriture qui va progressivement instaurer une ambiance assez désenchantée. Il n’y pas forcément d’espoir et Julie, quand elle comprend enfin qu’elle n’est qu’un instrument, qu’une folle qu’on va manipuler et qui devra se laisser tuer, décide de prendre les choses en main sans bien savoir vers ou ça va l’emmener. Et ce qui est aussi intéressant dans cette histoire c’est que Manchette ne s’empêtre pas dans un récit revanchard ou la jeune femme se lance dans l’aventure pour régler des comptes, pour faire pencher la balance, non, ici il s’agit juste d’un geste de survie, pour se protéger, pour sauver ce gamin, et trouver un endroit sécurisant avec quelqu’un qui pourra les protéger. Et même le tueur qui se lance à leur poursuite ne fait pas d’état d’âme, il n’essaye pas non plus de se donner une quelconque mission, non, il a un contrat, il doit l’accomplir coute que coute, qu’importe les dégâts.

Les personnages qui se croisent dans cette histoire vont devoir, surtout, essayer d’aller jusqu’au bout de leur décision. Qu’ils ne soient que les instruments d’un plan machiavélique plus large ne les intéressent pas, d’ailleurs ils ne veulent pas régler des comptes, qu’importe.

Mais, malgré tout, les auteurs réussissent aussi à rendre ces deux fuyards très touchants. La relation qui se construit entre eux est de plus en plus touchante, et même si parfois les excès de Julie, cette "violence de survie" peuvent déstabiliser, il n’en demeure pas moins qu’elle dégage aussi une certaine finesse assez palpable.

L’intrigue est somme toute assez basique, un homme riche engage une jeune femme pour garder son neveu, ces deux derniers se font enlever mais ils réussissent à s’échapper, ils veulent rejoindre l’homme riche pour qu’il les protège des tueurs qui sont à leur trousse… Le roman, à la base, est assez court. Il a été écrit au début des années 70 et marqua une certaine rupture avec codes du roman noir. Dans la figure de Thompson, on pourrait presque, d’ailleurs, reconnaître une version vieillissante du samouraï de Melville, un personnage froid, organisé et efficace. Manchette rajoute une certaine angoisse maladive qui le tiraille quand il doit accomplir un boulot, par exemple.
Ajouté à cela le graphisme de Tardi, impeccable (même si parfois, le manque d’expression par-ci par-là alourdit un peu certaines séquences), qui sert très efficacement le récit de façon exemplaire. Avec de très belles ambiances en noir et blanc !

Un bel album qui se laisse dévorer intensément ! Parfait pour les fêtes !

Par FredGri, le 28 septembre 2011

A l’instar du Petit bleu de la côte ouest (Les Humanoïdes Associés puis Futuropolis) ou de La position du tireur couché (Futuropolis), Ô dingos, ô châteaux ! est une leçon d’adaptation. Ceci s’explique très certainement par le fait que l’œuvre de Manchette trouve une pleine résonnance dans celle de Tardi. Les deux hommes se sont bien connus et ont même collaborés ensemble à la réalisation de Griffu (Casterman), Tardi est donc parfaitement à son aise dans cet exercice ô combien périlleux.

Jean-Patrick Manchette est un auteur au style nerveux et épuré, mais paradoxalement foisonnant de détails. Fondateur selon ses propres termes du genre du néo-polar, il a contribué à renouveler le roman noir dans les années 70-80. L’approche de Manchette consiste dans ses romans à aborder une question sociale vue au travers du prisme du polar. Il choisit le polar pour son suspense et sa dimension populaire (ici à comprendre dans son sens le plus noble) et s’en sert comme vecteur de ses convictions politiques très fortement encrées à gauche. La violence explicite est spectaculaire, mais au final la vraie rugosité de son propos est à chercher au-delà de l’intrigue en elle-même – qui somme toute est toujours en soi diablement efficace chez Manchette. Et ce qui est important pour saisir cette dimension politique c’est le contexte dans lequel évoluent les personnages. On peut donc parler, comme le précise Fredgri, de behaviorisme dans la démarche de Manchette ; mais – à mon sens – en gardant tout de même à l’esprit que plus que la traduction de la psychologie des personnages, leurs comportements sont le reflet de la société et de ses travers.

Publier en 1972, Ô dingos, ô châteaux ! a reçu le Grand prix de littérature policière en 1973.

Mais revenons à présent sur le travail de Jacques Tardi. Le premier point qui fait une nouvelle fois la qualité de son adaptation est qu’il intègre pleinement le changement de support : Tardi parvient à garder l’essence même de ce qui fonde le roman de Manchette tout en occultant les scènes et les détails qui auraient alourdis le rythme de ses planches. Les mots de la BD sont ceux de Manchette mais plus que d’illustrer le récit, Tardi le met en scène. Par son dessin et sa grammaire, il suggère ce qui n’est plus écrit. Superbe.

Ô dingos, ô châteaux ! est un récit à la fois terrible, cruel et captivant pour lequel je partage entièrement l’enthousiasme de Fredgri. Et chose encore trop rare en BD et qui plus est dans le genre du polar, le personnage principal est une femme. Enfin pour terminer je me permettrais une petite note sur le personnage de Thompson qui n’est en rien un personnage melvillien car il manque la composante essentielle du destin (incompatible avec la vision de Manchette) mais passons ce détail.

Osez le récit de Manchette, osez le noir et blanc de Tardi, osez Ô dingos, ô châteaux !.

Par melville, le 28 septembre 2011

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