Le match de la mort

Eté 1942 – Dans une Ukraine occupée par les Nazis, une sélection de joueurs ukrainiens va devoir affronter l’équipe de la Luftwaffe. Malgré les pressions reçues, ils décident de joueur le match sans retenue, quelque soient les possibles conséquences d’un succès face aux Allemands.

Par v-degache, le 16 octobre 2022

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Notre avis sur Le match de la mort

Les Espagnols Pepe Gálvez (Mille vies de plus, Otium éditions, 2020) au scénario et Guillem Escriche au dessin reviennent sur le célèbre Match de la mort qui opposa le 9 août 1942 une sélection locale de joueurs ukrainiens, baptisée le FC Start, à la Flakelf, équipe de la Luftwaffe. Les Nazis sont finalement battus 5 à 3, et, quelques jours plus tard, une partie des joueurs ukrainiens est arrêtée, et certains exécutés.

Après une première partie de l’ouvrage consacrée à la constitution de l’équipe, les auteurs en viennent au ballon, et au fameux succès, avant de traiter la chute et la mort d’une partie de cette équipe qui rentrera par la suite dans l’Histoire. Certains travaux d’historiens ainsi que des enquêtes journalistiques ont depuis remis en question la causalité entre la victoire face à la Flakelf, et l’arrestation puis l’exécution de certains joueurs, montrant que ce match de foot a été exploité par la propagande soviétique d’après-guerre qui a fait de Troussevitch, Klimenko, Kouzmenko, et Komarov des martyrs. En effet, ceux-ci appartenaient avant-guerre au Dynamo Kiev, club lié au NKVD, la police politique soviétique, et leurs activités extra-footballistiques avaient de quoi sérieusement inquiéter les Nazis, ce qui a pu entrainer leur perte.
Le duo d’auteurs hispaniques instille ce doute sur les exécutions, gardant dans le récit la volonté des Nazis de stopper définitivement ces joueurs qui alignaient les succès, mais incluant aussi dans le scénario les activités politiques des joueurs du Dynamo comme possible motif d’arrestation et de mise à mort. L’intervention à la mi-temps du match, où un SS aurait promis la mort en cas de victoire des Ukrainiens, est aussi euphémisée dans la BD.

On suit la formation et la progression de l’équipe dans un Kiev occupé, alors que les Nazis poursuivent leur progression à l’Est, et que les Einsatzgruppen sévissent à proximité. Le dessin réaliste aux couleurs froides et aux visages fermés de Escriche participe à poser une ambiance pesante tout au long du récit. Pas d’exagération de l’héroïsme des protagonistes, ni de la portée de cette victoire. Ils sont là pour survivre, et rejouer au football est une échappatoire à cette mort qui plane sur les territoires conquis, mais aussi une forme de résistance face à l’occupant.
Former une équipe, retrouver cette solidarité après avoir subi la déshumanisation des camps de concentration, sont un moyen de vivre à nouveau, qu’importe si battre les Allemands peut entrainer des représailles.

Le match de la mort parvient à proposer un traitement nuancé de cette opposition rentrée depuis dans la légende et le mythe. Bien recontextualisé dans un Kiev où l’on collabore également avec le IIIème Reich, et où la politique raciste du Reich peut être parfois hésitante quant à l’attitude à adopter face à certaines populations à l’Est (le roman de Jonathan Littell, Les bienveillantes, évoquait déjà ces doutes et questionnements des spécialistes des questions raciales du Reich face aux territoires soviétiques conquis), l’ouvrage n’est pas qu’une BD sur le sport, les planches purement footballistiques étant au final peu nombreuses, mais un véritable album politique et historique tentant de faire revivre toute la complexité de son sujet.

Le match de la mort est une belle réussite de récit mêlant sport, résistance, héroïsme, et propagande. A se procurer absolument pour découvrir cet épisode de la deuxième guerre mondiale qui attise encore aujourd’hui controverses et débats !

Par V. DEGACHE, le 16 octobre 2022

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