Mangez-le si vous voulez

En ce mois d’août 1870, l’aimable Alain de Monéys, nouveau premier adjoint de Beaussac, est de bonne humeur. Après avoir planché sur le projet d’assainissement de la Commune et désirant régler certaines affaires avant de partir pour la guerre contre la Prusse, il prend le chemin de la foire aux bestiaux d’Hautefaye. Tout en trottinant avec son cheval en direction des festivités, Alain de Monéys a une parole gentille envers les bonnes gens qu’il dépasse. En arrivant sur les lieux, il se rend témoin d’un face-à-face tendu entre son cousin Maillard, dépité par les nouvelles tragiques du front, et un groupe de festivaliers passablement avinés. Surpris par les invectives, le premier adjoint de Beaussac a des mots qui sont immédiatement mal interprétés. La foule se rapproche alors d’Alain de Monéys et commence à le secouer. Autant dire que la bonne journée qu’il croyait passer va se transformer en une véritable et folle boucherie.

Par phibes, le 8 septembre 2020

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Notre avis sur Mangez-le si vous voulez

Sous le couvert de ce sous-titre ô combien énigmatique tiré d’une parole qui aurait été prononcée par le premier magistrat d’une Commune française au 19ème siècle se découvre un album qui se veut une adaptation d’un roman écrit par Jean Teulé en 2009 et qui se rapporte à un fait macabre qui s’est réellement déroulé. C’est Dominique Gelli qui s’est donc saisi de cette terrible histoire et qui, en auteur complet, a décidé de nous donner une version illustrée de ce drame.

On ne pourra qu’être subjugué par ce récit qui, à la suite d’une mauvaise interprétation de paroles, va nous rendre témoin de la montée en puissance d’une folie meurtrière de masse incroyable et qui va s’abattre injustement sur un personnage qui ne le méritait pas. Au fil des pages, on concèdera que l’auteur qui est resté fidèle au roman d’origine, fait enfler habilement son récit jusqu’au point de le faire basculer dans une sauvagerie extrême, sans aucune limite.

A partir de quelques petits mots lâchés au deuxième degré, il décrit parfaitement cette foule en délire qui vit mal la défaite de son pays et qui rejette, pour ne pas dire vomit, sa colère sur un pauvre innocent et ce, sous certains regards indifférents. Pour bien faire sentir cette escalade de violence, Dominique Gelli utilise un très bon châpitrage qui a également l’avantage de nous situer par rapport à ce lynchage dans le village d’Hautefaye et plus tard au procès qui en a suivi.

Le poids des mots vient bientôt rejoindre le choc des situations. L’auteur a, pour ce faire, choisi un dessin en noir et blanc de belle finesse campant le cadre historique et instaurant une ambiance assurément sombre qui trahit le drame. Grâce à ses ombres estompées très prégnantes et ses pointes de couleurs vives qui mettent en exergue l’horreur, cette mise en images marque abominablement les esprits. Le message est très fort, horrifique, traduit subtilement le délire des bourreaux et l’énorme souffrance de ce pauvre hère qui passe par des métaphores effroyables.

Une adaptation des plus remarquables, noire et sans concession, qui traduit parfaitement ce que l’homme est capable de faire à son prochain sous le coup d’une colère extrême bête et injustifiée. A lire et surtout, à ne pas mettre entre toutes les mains.

Par Phibes, le 8 septembre 2020

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