Les mauvaises herbes

 
Née en Corée dans une famille très pauvre de cinq enfants, la petite Oksun a été confiée très jeune à un couple de restaurateurs. Travaillant très dur et ayant compris que jamais elle ne serait envoyée à l’école comme cela avait plus ou moins été convenu lorsque ses parents se sont séparés d’elle, Oksun a commencé à se rebeller, ce qui lui a valu d’être vendue aux tenanciers d’un bistrot.

Un jour, alors qu’elle revenait d’une course, Oksun a été enlevée par deux inconnus. Elle avait 16 ans. C’était en 1942, le Japon occupait la Corée. Oksun a alors été déportée en Chine où, avec d’autres filles, elle a dû se résigner à devenir esclave sexuelle pour les soldats de l’armée japonaise. Pendant des années, la jeune Coréenne a vécu dans la misère, dans la crainte, et honteusement exploitée par des hommes sans scrupules. Quand la guerre a pris fin, Oksun s’est retrouvée sans argent, abandonnée à des centaines de kilomètres de parents et de frères et soeurs potentiellement restés vivants en Corée où elle a décidé de retourner 55 ans après avoir quitté le foyer familial…
 

Par sylvestre, le 5 mai 2019

Notre avis sur Les mauvaises herbes

 
C’est dans une "Maison de partage" en Corée du Sud que l’auteure Keum Suk Gendry-Kim a rencontré Oksun Lee et l’a interrogée sur cette triste vie qu’elle a vécue pendant tant d’années loin de son pays natal et dans des conditions abominables. En un peu moins de 500 pages et en noir et blanc, l’entrevue entre la jeune artiste et la femme âgée prend forme et est richement entrecoupée de flashbacks.

C’est un pan de l’histoire coréenne qui fait encore tache dans les relations diplomatiques entre le pays du matin calme et son voisin le pays du soleil levant : quand le Japon occupait la Corée et faisait la guerre dans la région – notamment au Mandchoukouo -, le recours à ces bordels pour militaires était monnaie courante.

Les dessins des personnages sont réalisés avec des traits plus ou moins fins. De nombreux interludes graphiques font la place à des paysages qui sont eux plutôt réalisés à coups de pinceaux très larges, bien gras. Cela donne des tableaux très sombres, voire lugubres, alors même que la nature, à l’instar de la forte volonté et de l’humour de Oksun, sont là au contraire pour "donner le change" aux propos très noirs découlant de la vie qu’a vécu (on devrait dire subi) la Coréenne lorsqu’elle était plus jeune.

Un chapelet de malheurs, c’est bien ça qu’elle a vécu ! La séparation d’avec les siens, le travail, la pauvreté, la famine, la guerre, l’exploitation sexuelle, des déceptions amoureuses. Puis la pauvreté à nouveau, l’abandon, un mariage raté, et un retour en demi-teinte car une fois rentrées, les "femmes de réconfort" n’étaient pas bien vues, mal accueillies, car elles faisaient honte à leurs familles… Une malédiction… Un Au nom de tous les miens en mode coréen des années 40…

Ce n’est pas la première bande dessinée qui traite de ce sujet (on pense notamment à Femmes de réconfort aux éditions 6 pieds sous terre en 2007). De nombreux ouvrages sont parus, en réalité, sur ce thème. Des films, également. Et un musée existe même en Corée du Sud, qui est dédié à ce "phénomène social historique". Mais en Europe, peu de témoignages nous sont parvenus sur ce crime contre l’humanité ; probablement parce que nous ne sommes pas touchés par ce malheur dans l’histoire de nos familles. C’est pourquoi des livres comme celui-ci sont justement nécessaires : pour qu’on sache que ça a existé et qu’on puisse s’en offusquer, et pour qu’on comprenne mieux les tensions qui subsistent encore entre certains pays dans lesquels de trop nombreuses familes ont été déchirées…
 

Par Sylvestre, le 5 mai 2019

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