Les Equinoxes

Sur la couverture se croisent des personnages qui ne se connaissent pas, ils ne se regardent pas, mais sans réellement s’en rendre compte commencent déjà à habiter le même espace, avec comme figure centrale cette photographe, de dos qui observe le monde qui l’entoure, qui s’arrête le temps d’un ou plusieurs portraits…
Quatre tableaux, quatre saisons, des personnages qui se cherchent, qui font le point, qui vivent leur solitude à leur façon, en suivant le temps qui passe…

Par fredgri, le 1 octobre 2015

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Notre avis sur Les Equinoxes

J’écoutais récemment une interview de Cyril Pedrosa qui présentait à sa façon, très délicate, pleine de gestes souples, ce qui l’avait amené à réaliser cet album, de cette façon !
Et évidemment il s’est mis à parler de Virginia Woolf, des Vagues, ce magnifique roman qui présente des monologues intérieurs ponctués par des interludes qui décrivent un paysage côtier à différentes heures de la journée. En lisant ce livre l’effet est saisissant, les interludes prennent progressivement de l’ampleur, une sorte de résonance vis à vis des autres chapitres… Si Pedrosa fait cette correspondance ça n’est pas juste pour une question de forme, car même si Les Équinoxes se partage aussi en quatre chapitres principaux découpés en plusieurs sous chapitres séparés par des pauses narratives ou l’on découvre une jeune photographe saisir des inconnus, s’imaginer leurs pensées par le biais de textes en prose, cet imposant album se construit bel et bien sur des personnages qui s’interrogent sur eux même, sur leur place dans le monde, sur leur rapport aux autres, sur ce qu’ils sont. Et de ce point de vue le rapport à Woolf est évident, et pas seulement vis à vis des Vagues !

Cyril Pedrosa propose donc ici une "œuvre" profondément polyphonique, qui vit sous nos yeux, chacun gagnant sa voix propre, le graphisme changeant au grès des atmosphères, des humeurs, se superposant, dessinant un univers complexe très touchant, nimbé d’une émotion vibrante. D’autant qu’encore une fois l’artiste ne tombe pas dans le pathos trop facile, il laisse à ses personnages la marge suffisante pour s’exprimer, garder leurs secrets. Car même s’il ne livre pas leurs pensées, même s’il reste en retrait, juste et sobre, il nous offre un regard vibrant de subtilité sur ceux qui habitent cet album. Un homme pense, le graphisme change, se fait flou, transparent, nous ne savons pas ce qui lui traverse la tête, mais l’univers évolue, se charge de couleur, il s’efface, revient…

On est loin des grands scénarios très premier degré, ici nous nous arrêtons sur des quotidiens sans histoires particulières, si ce n’est des existences singulières qui décident petit à petit de s’interroger sur elles mêmes. Toutefois, tout est extrêmement bien rythmé, avec une structure minutieusement ciselée, un découpage qui nous entraîne dans des fragments captivants et très enrichissants.
Peut-être que Pedrosa a tendance à accumuler les effets de forme, pour le coup ! Qu’on peut parfois être quelque peu perdu par la multitude de pistes narratives qui se chevauchent. Car même si je suis complètement émerveillé par cet ensemble, même si chaque élément est sublime et touchant, j’avoue que parfois cela donne aussi la légère impression d’avoir droit à un plat un chouilla trop riche.

On commence par des intermèdes "poétiques et lyriques" introduisant les quatre saisons, on y est transporté en pleine préhistoire, dans les traces d’un jeune garçon qui vit seul, qui découvre la nature. Le traitement graphique est bien sur magnifique, deux cases par page, silencieuses, qui mettent l’accent sur le regard, sur l’espace, sur les impressions !!!
Puis les différentes parties sont régulièrement interrompues par une jeune photographe, de dos, elle aussi silencieuse, qui marche dans la rue, prend le métro, regarde les gens qui l’entourent, s’arrête sur un inconnu et le photographie… Le portrait change, ouvre sur une pensée secrète qui se décline dans un texte, un monologue introspectif, nous entrons…

On se rend compte que l’essentiel est dans le regard, le geste, on glisse le long des planches…

On vous le dit dès maintenant, mais Les Équinoxes de Cyril Pedrosa fait déjà partie des grandes œuvres de la Bande Dessinée, de celles qui marquent, les plus intimes et touchantes. Un album éblouissant qui nous amène à changer notre regard non seulement sur le médium, mais certainement sur ce que nous pouvons être amené à être nous même !

Le très gros coup de cœur de l’année, vous êtes prévenus !

Par FredGri, le 1 octobre 2015

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