Le Voyage de Marcel Grob

Marcel Grob, 83 ans, est arrêté dans la nuit et amené devant un juge d’instruction. Ce dernier lui annonce qu’il enquête sur son passé et qu’il sera jugé pour son appartenance à la Waffen SS. Le vieillard nie avoir jamais fait partie de l’armée allemande.

Mais le juge lui montre des documents accablants. Grob finit donc par avouer, mais il précise qu’il n’a pas été volontaire pour entrer chez les SS. Il fait partie des nombreux jeunes Alsaciens enrôlés de force, les « malgré nous ».

Le juge lui demande de raconter son histoire, que Marcel Grob tente de le convaincre de son innocence.

Ses souvenirs le ramène longtemps en arrière, le 27 juin 1944. Il n’a alors que 17 ans. Il s’en souvient pourtant comme si c’était hier. Il est accompagné de son ami Antoine Guebwiller. Ils partent pour la gare et n’ont alors encore aucune idée de ce qui les attend…

Par legoffe, le 18 février 2019

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Notre avis sur Le Voyage de Marcel Grob

Voilà une BD qui aura fait grand bruit ces derniers mois, au point que l’éditeur est tombé en rupture de stock et qu’il a été nécessaire de la rééditer.

Il faut dire que ce récit historique aborde un sujet particulièrement sensible, qui pose souvent plus de questions qu’il n’apporte réellement de réponses.

L’un des deux auteurs – Philippe Collin – est d’autant plus touché par cette histoire qu’elle est celle de son grand-oncle, qu’il a bien connu. Ou plutôt, qu’il pensait avoir bien connu, grâce aux réunions de famille, aux vacances passées avec lui…
Jusqu’à ce jour où, alors qu’il n’a qu’une vingtaine d’années, il apprend que Marcel a été, pendant la guerre, un SS. Le choc est d’autant plus fort, et l’impact d’autant plus grand, que le vieil homme refuse de parler de son passé au petit neveu qui l’interroge. Pour Philippe, l’affaire est donc claire. Il décide donc de ne plus lui parler. Il ne le reverra jamais.

Mais, il y a quelques années, Philippe Collin découvre de nouvelles informations qui changent sa perception. Il fait alors des recherches complémentaires. C’est à partir de ces éléments qu’il décide d’écrire cette histoire, aidé de Sébastien Goethals, qui va intervenir autant au scénario qu’au dessin.

A eux deux, ils tentent de retracer, avec le plus d’objectivité possible, le parcours du soldat Grob et, à travers lui, le destin des « Malgré nous ». Il s’agit des Alsaciens et Mosellans qui furent enrôlés dans l’armée allemande à partir d’août 1942, l’Alsace et la Moselle ayant été annexés et considérés comme faisant partie du territoire germanique.
En règle générale, il fallait toutefois être volontaire pour entrer chez les Waffen SS. Mais, là encore, les certitudes s’effondrent devant les faits, et c’est sans doute ce qui a plus motivé Collin à écrire cette histoire.
En effet, au bord de la défaite, les Allemands modifièrent leurs méthodes de recrutement et intégrèrent des milliers de jeunes nés français dans les colonnes de leurs régiments de terreur. Grob rejoignit ainsi la funeste 16e Division SS de panzer grenadiers, la Division Reichführer.

Pour autant, fallait-il voir en ces jeunes des victimes ou bien des criminels de guerre, au regard des actes qu’ils avaient commis ? Le lecteur devient, finalement, un peu le juge du livre et part dans une sombre expédition qui mène, notamment, des bords de la Mer Baltique aux combats en Italie.

Au fil des pages, les personnalités se dévoilent. Ces jeunes vont apprendre qu’ils peuvent prendre la vie. A des soldats ennemis, bien sûr, mais aussi à des civils, dont des femmes ou des enfants. L’épisode italien est particulièrement marquant. Précisons que, si tout est raconté de manière explicite, le style quasi monochrome des planches limite la vue du sang. C’est peut être aussi bien car les faits sont déjà suffisamment bouleversants et choquants.

Mais le plus abjecte est peut être de savoir que nombre de responsables de massacres, comme celui de Marzabotto, ont pu mourir de leur belle mort, chez eux et non en prison. Combien, ainsi, auront été jugés de façon trop clémente, tandis que d’autres ne seront jugés que tardivement, voire jamais.

Les auteurs nous livrent ici leur vision du destin de Marcel Grob. Tout est interprétation en fonction de leur ressenti et du parcours qu’ils ont pu reconstituer. Mais l’histoire de ce jeune homme de 17 ans ressemblera forcément à celle de nombreux « malgré nous ».

Difficile, dès lors, d’endosser aussi facilement qu’on l’imaginait la robe du juge. Elle ne serait pas simple à porter.
Mais nous pouvons au moins nous plonger, grâce aux auteurs, dans le contexte de l’époque. La reconstitution est graphiquement très réussie. Il y a une vraie force dans les planches, une intensité dans les personnages. Certes, plusieurs sont dans doute montrés sous un jour moins défavorable qu’on aurait pu l’imaginer. Peut-être aurait-il été intéressant de donner plus souvent la parole à ceux qui n’avaient pas de scrupules, qui croyaient en leur action, afin d’avoir une vision plus équilibrée ?

Simple à dire, pas forcément simple à réaliser alors que le livre fait déjà près de 180 pages. On voit bien, néanmoins, certains SS parler avec plaisir de leurs tueries. Nous voyons aussi des soldats de la Wehrmacht prisonniers dénoncer leurs « camarades » SS comme étant des voyous et la honte de l’armée allemande. Pourtant, la Wehrmacht elle-même (l’Histoire le révélera plus tard) aura, plus d’une fois, appuyé l’action de la SS.

C’est une aventure terrible qui nous est racontée ici. Terriblement humaine, devrais-je ajouter. En cela, elle rend ce livre marquant et troublant. Elle me rappelle les premières strophes d’une chanson de Jean-Jacques Goldman, « Né en 17 à Leidenstadt ». En quelques mots, il avait déjà posé des questions essentielles…

Par Legoffe, le 18 février 2019

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