Le serpent d'Hippocrate

Il s’appelle Alain Mangeon, médecin de métier et se doit, aujourd’hui, de répondre devant la justice de ses actes malheureux passés. En effet, durant l’année 90, ce dernier a fait la connaissance d’Isabelle Sbikowski à la suite d’une consultation anodine. Cette dernière est femme de militaire, donc souvent esseulée quand son mari part en mission dans le Golfe. Aussi, ne tarde-t-il pas à tomber sous le charme de la jeune femme au point d’en devenir son amant. Celle-ci s’ouvre à lui et lui fait part progressivement de ses problèmes personnels. De ses inquiétudes d’abord, ensuite de la maltraitance de plus en plus forte dont elle est l’objet lorsque son mari revient pour chaque permission et enfin de ses nombreux déboires. Ses terribles révélations ont pour conséquence d’émouvoir son confident qui, n’en tenant plus, décide de voir comment, à son niveau, il peut aider Isabelle. Mais cet appui qu’il va lui apporter va l’obliger à déroger au serment qu’il a fait en devenant médecin. Mais jusqu’à quel point ?

Par phibes, le 5 février 2011

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Notre avis sur Le serpent d’Hippocrate

Auteur passionné quant aux univers un tant soit peu fantaisistes dans lesquels il navigue en solo (cf. les trois tomes de James Dieu), Fred Pontarolo signe à nouveau aux éditions Futuropolis pour un one-shot cette fois-ci aux accents dramatiques. S’inspirant d’un fait malheureusement réel, il nous plonge dans les déboires affectifs et moraux d’un médecin de campagne épris aveuglément d’une femme et dont la destinée va basculer sinistrement.

A la suite d’un préambule bref et sans appel, l’auteur campe les ambiances de son récit par l’évocation "extraordinaire" de l’affaire soumise devant les jurés. Afin de conforter cet effet de manche, un retour en arrière de plusieurs années nous est proposé pour en saisir la genèse. Structurant son récit moyennant un "chapitrage" concis (au nombre de 6 plus un épilogue), Fred Pontarolo étale simplement les bases de son récit en présentant ses personnages (peu nombreux) et organise rapidement leur rencontre à partir de laquelle l’intrigue va progressivement enfler.

Force est de constater que le caractère de ces derniers a été méticuleusement étudié. Alain Mangeon nous fait saisir son émoi vis-à-vis de sa nouvelle dulcinée, prêt à aider et à donner naïvement de lui-même par rapport à l’adversité, jusqu’à tout sacrifier, à mettre en balance ce pour quoi il s’est engagé professionnellement. Isabelle est un personnage plus complexe, au travers duquel le drame intervient. Elle fait preuve d’une psychologie ambiguë et a le don, de par des malheurs dont elle fait état, d’attiser la compassion et le don de soi. Enfin, Paul Sbikowski, le massif personnage qui subit les péripéties, se veut subtilement contrasté entre son apparence physique et son caractère réel.

La spirale infernale à laquelle on assiste est excellemment menée et nous entraîne tortueusement jusqu’à plus profond d’un drame annoncé. A l’image d’Alain, le lecteur est appelé à entendre les vicissitudes conjugales insoutenables d’Isabelle et à se révolter comme lui devant de tels actes. On en vient presque à comprendre ses décisions radicales, prises dans le cadre d’une agonie oppressante. Mais, il y a un revers à son histoire qui nous sera opposé judicieusement, froidement et imparablement, via l’enquête policière, et qui ne pourra que laisser un goût de fiel dans la bouche.

Au niveau dessin, le travail effilé de Fred Pontarolo est superbe. Jouant audacieusement sur les proportions, il use d’un trait sans fioriture empli de sensibilité, s’appréciant dans un encrage bien doucereux. La montée en puissance de la tragédie se perçoit remarquablement, auréolée par les expressions de détresse d’Isabelle, les métaphores graphiques sombres et les cogitations explicites d’Alain. La colorisation qui accompagne le tout et qui varie astucieusement selon l’intensité des moments est des plus réussies.

Un récit extraordinaire, tragique et fielleux sur une descente aux enfers irréversibles bien marquante réalisé par un Fred Pontarolo en pleine forme.

 

Par Phibes, le 27 février 2011

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