RAPPORT DE BRODECK (LE)
L'autre

Brodeck est un rescapé des camps, il en garde le souvenir d’une perpétuelle humiliation, d’avoir été réduit à l’état de simple animal… Il en est revenu meurtri et profondément marqué par la bestialité humaine… Les années ont passé et un jour débarque au village un inconnu, jovial, sympathique. Il passe son temps à traîner deçi delà, à dessiner dans les montagnes, les animaux, la nature, mais petit à petit cette singularité dérange… Qui est cet homme ? Que prépare-t il ?
Vivant en reclu avec sa femme, sa petite fille et la vieille qui s’est occupée de lui depuis son enfance Brodeck se voit soudain proposer de rédiger un rapport pour les autorités, ou il racontera comme les villageois en sont venus à devoir absolument tuer cet étranger, celui qu’on surnommait "L’autre", "L’Anderer"… Brodeck a néanmoins du mal à s’investir dans cette mission, devant lui surgissent ses anciens cauchemars, ce besoin de ne plus fermer les yeux…

Par fredgri, le 24 avril 2015

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Notre avis sur RAPPORT DE BRODECK (LE) #1 – L’autre

Ce Rapport de Brodeck nous entraîne dans le silence des montagnes, des petits villages perdus au milieu des bois enneigés ou le moindre inconnu devient sujet de curiosité, d’inquiétude et de danger.
En adoptant le livre de Philippe Claudel paru en 2007, Manu Larcenet se réapproprie cet univers sombre et tendu, il en extrait une matière brute à base de paysages enneigés, de visages burinés, inquiets, marqués par la vie rude et sans concession. Il ponctue ses planches d’instantanés de la faune locale, de paysages froids et secs. Petit à petit on entre dans l’univers de Brodeck, ce regard porté sur la vie, sur ce qui l’entoure, cette mélancolie muette ou l’on devine le passé qui hante cet homme, ce rescapé écorché vif qui ne souhaite que la tranquillité, avec les siens !

Mais Brodeck est observé, ceux qui lui ont confié cette mission espèrent de lui une absolution officielle… Ils se sont déchargés sur lui, lui ont délégués cette tension et maintenant il faut mettre des mots, enfermer ce secret qui les a poussé dans leurs derniers retranchements d’êtres humains, cette zone qui peut transformer tout homme qui a peur en bête sauvage. Les regards se font alors pesants et Brodeck se souvient de ses années de captivité ou il fut contraint de se comporter comme un chien pour survivre face à ses geôliers, monstres anonymes qui abusaient de leur bestialité pour le soumettre, lui et les autres…

Larcenet griffe ses planches d’un magnifique noir et blanc, c’est une véritable claque que l’on prend en entrant dans cet univers sans fioriture, aux noirs omniprésents portés par le trait extrêmement lourd et tendu de l’artiste.
Il installe une ambiance particulièrement pesante ou les uns et les autres s’observent froidement, du coin de l’oeil, les visages inexpressifs et couverts de rides laissent transparaitre la peur et l’inquiétude, le tout plongé dans un hiver qui n’en finit pas…
Mais Larcenet teinte l’ensemble d’une certaine forme de poésie glacée, rythmée par les mots de Brodeck qui nous plonge dans sa litanie sans fin, nous livrant ses inquiétudes, ses doutes.

Mais en contre partie, je ne trouve justement pas que l’ambiance soit résolument plombante, on est principalement dans un lieu ou l’on ne saisit pas tout les éléments, ou très vite les choses dérapent sans qu’on ne puisse y changer quoique ce soit, mais on reste en retrait, à l’exemple de Brodeck lui même. On a envie, animé d’un voyeurisme malsain, de savoir ce qui est arrivé à cet étranger, bien que l’on devine les grandes lignes assez rapidement, mais comme le narrateur on ne veut pas plonger tout de suite dans cette mélasse nauséabonde !

Larcenet conclue avec brio ce premier volet hypnotique et fascinant qui démontre, comme si c’était nécessaire de le faire, qu’il peut se tenir fièrement aux côtés des grands du noir et blanc comme Comez, Chabouté…
Je retourne admirer quelques planches une dernière fois !

Par FredGri, le 24 avril 2015

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