PHOTOGRAPHE (LE)
Conversations avec le photographe

L’élément commun au travail de chacun d’eux, c’est l’image, puisque l’un est dessinateur et l’autre est photographe. Mais une autre chose qui les liait était cette très forte amitié qu’ils cultivaient de longue date et qui les avait notamment amenés à travailler ensemble sur la série Le photographe. Emmanuel Guibert et Didier Lefèvre étaient sur la même longueur d’ondes, et c’est sur la base d’échanges qu’ils avaient enregistrés comme support pour leur travail que le premier a pu réaliser cet ouvrage rendant hommage à son ami trop tôt disparu et nous dévoilant la vision qu’il avait de la photographie et comment il avait choisi de vivre cette passion.
 

Par sylvestre, le 7 avril 2010

Notre avis sur PHOTOGRAPHE (LE) # – Conversations avec le photographe

Dans sa préface succédant à quelques photos, Emmanuel Guibert revient tout d’abord sur comment il a connu Didier Lefèvre, puis il nous le présente avant de donner quelques précisions sur l’ouvrage en lui-même et sur les conditions dans lesquelles il a été fait. Conversations avec le photographe est ensuite partagé en deux parties principales : celle nous permettant de "prêter l’oreille" à ces conversations entre les deux amis, et la seconde rassemblant de nombreuses photos inédites (prises bien évidemment par Didier Lefèvre) en nous invitant à les regarder à la lumière de tout ce qu’on vient de comprendre sur le travail du photojournaliste.

Mises en page avec la complicité de Frédéric Lemercier, les conversations sont retranscrites dans le respect du code couleur suivant : du bleu pour les questions d’Emmanuel Guibert, et du noir pour les réponses de Didier Lefèvre. Mais le jeu de questions-réponses n’est pas pour ainsi dire équilibré car les interventions d’Emmanuel Guibert finissent pour beaucoup par s’apparenter à de simples déclencheurs de tout ce que Didier Lefèvre a à dire sur sa passion pour la photo. Plus que de répondre à des questions, le photographe rebondit sur les dires de son interlocuteur pour partir dans des tas d’exemples, d’anecdotes, pour raconter son vécu, son expérience, ce qui présente grand intérêt. Les textes semblent ainsi avoir été retravaillés, compulsés, choisis pour qu’une fois livrés, Lefèvre ressorte beaucoup plus présent que Guibert. Nul doute que ce choix est calculé, et on le comprend bien : l ‘hommage est ainsi encore plus grand, et on rappelle que la photo et celui qui les prend restent le sujet principal du livre. CQFD.

Cette mise en avant du témoignage spécifique de Didier Lefèvre tendrait presque à reconnaître en lui une sorte de héros en son genre. Pas qu’il soit un pionnier ou qu’il fut véritablement original dans ses initiatives, mais parce qu’il apparaît désormais comme quelqu’un qui ne pourra plus être égalé, ceci dans la mesure où les moyens avec lesquels il œuvrait seraient aujourd’hui remplacés par d’autres, bien meilleurs (appareils photo, mais aussi moyens de communication – il en parle).

Didier Lefèvre a plein de choses à raconter. C’est normal. En une vie de photographe globe-trotter ayant couru différents fronts, on a forcément des tas de trucs à apprendre aux autres. Et dans le confort de la conversation entre amis, le photographe parle avec entrain et sincérité. De ses victoires, mais aussi de ses ratés. Et c’est vrai qu’on ne connaît pas Didier Lefèvre autant qu’un Ronis, qu’un Doisneau ou qu’un Arthus-Bertrand. On peut même trouver certaines de ses photos pas belles du tout. Mais c’est normal, c’est explicable, et il le fait bien, insistant sur l’équilibre à trouver entre l’esthétique de ce que montre la photo et les défauts de la prise de vue dus à l’ambiance, à la complexité et à la force du moment… Insistant aussi sur le côté personnel qu’il met dans son travail.

Beaucoup de choses sont passées en revues, largement et logiquement illustrées par l’expérience de Didier Lefèvre. Pourtant, quelques questions ne sont pas posées. Parce que rien ne les a appelées, ou parce qu’elles n’avaient pas lieu d’être, qui sait ? Par exemple, Lefèvre parle de fois où il était accepté en tant que photographe témoin du malheur de ceux qu’il côtoyait, mais pas (si ce n’est l’anecdote à Roissy) de fois où il aurait été pris à parti par des gens ne supportant pas qu’il photographie leurs problèmes. Cela dit, ces manques au questionnaire font "ces choses qu’on n’a pas eu le temps de demander à celui qui nous a quittés".

Différents hommages ont déjà été rendus à Didier Lefèvre, au moyen d’expositions ou par des auteurs comme Sfar (qui a inséré une photo de lui dans un de ses carnets). Autant d’hommages qui font vivre le souvenir, comme le font aussi désormais ces Conversations avec le photographe, document "rendu public" autant que personnelle démarche d’amitié par les co-auteurs, Emmanuel Guibert en tête.

Didier Lefèvre avait dédicacé à Angoulême en janvier 2006 aux côtés d’Emmanuel Guibert et de médecins MSF ayant participé avec lui à la mission en Afghanistan évoquée par la trilogie Le Photographe (Dupuis, Aire Libre). Ceux qui l’y avaient rencontré gardaient de lui sa dédicace. Aujourd’hui, cet ouvrage existe pour le rencontrer une fois de plus.

Pas une bande dessinée, plutôt un livre pour amateurs de photographie, Conversations avec le photographe est toutefois un complément riche de qualités et de sens pour ceux qui ont apprécié la série Le Photographe.
 

Par Sylvestre, le 7 avril 2010

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